Il y a des choses qui ne changent pas à Miami, pour autant que je puisse en juger à mon 16ème voyage dans la métropole du Sud-Floride pour visiter mon fils musicien. La délicieuse météo printanière, les affinités électives avec le trumpisme, la folie immobilière qui fait pousser toujours plus haut, toujours plus dense rendant le trafic automobile toujours plus infernale.
Miami Vice et Bloody Miami nous rappellent que les gangsters sont toujours là, même si « Miami est devenue la plaque tournante de tout ce qui est chic, fougueux et coloré »….Vouée à l’anéantissement si l’on en croit le risque submersif qui transformera tôt ou tard Miami Beach en une cité engloutie.
En attendant, ici on vit intensément le présent et on boit. Les femmes boivent, les latinos boivent, les séniors boivent, les jeunes, je ne sais pas. Le rosé de Provence bouscule le pinot grigio, la Budweiser est délaissée, le malbec d’Argentine devient tendance. Les hygiénistes et les producteurs bio sont aux abonnés absents, même si les NA- No Alcool- Sud-africains pointent leur nez.
MERCI À ROBERT PARKER
Le symbole de cette Amérique, premier pays consommateur de vin au monde (source OIV) est une chaîne de supermarchés – superstores- totalement dédiée aux vins et spiritueux, TotalWine & More– America’s #1. Vous ne connaissez pas ? Rien d’étonnant si l’export de vin aux USA n’est pas votre activité première. Les producteurs et les négociants-exportateurs européens connaissent bien TotalWine avec ses 300 magasins répartis sur tout le pays qui pèse 6 Md$ (vente en ligne incluse).
Quand les deux frères David et Robert Trone, originaires du Maryland décidèrent en 1991 de lancer leur chaîne de distribution de vins et spiritueux, Robert Parker régnait en maître sur la critique œnologique en favorisant outrageusement le goût boisé et le bordeaux.
Ça tombait bien, les frères Trone partageaient les mêmes goûts et se sont développés dans le sillage du grand critique.
DEMANDEZ ANNE, LA BORDELAISE
Le magasin de North Miami (14750 Biscayne Blvb) est l’un des poids lourds de la chaîne avec ses 8000 références en vins, bières et spiritueux. Je le fréquente depuis 15 ans et j’ai pu observer sa prospérité grandissante, année après année. Déambuler dans ses allées aux mille bouteilles, l’œil accroché par une myriade de signaux colorés et séducteurs, décoder les chiffres mystérieux qui sont les notes attribuées aux vins, voilà un plaisir que les amateurs partagent avec les chineurs.
Saisir un vinyle ou une BD, regarder la photo, la pochette, le titre, c’est comme saisir une bouteille dans sa caisse ou son rayon et l’observer sous toutes ses coutures. Rien que du bonheur !
D’ailleurs, je ne suis pas le seul à apprécier la balade dans les rayonnages surchargés de belles quilles. Can I help you ?
Le vendeur conseiller n’est jamais loin et n’aime pas trop voir le client tripoter ses bouteilles.
Heureusement, Anne est dans les parages. Anne est une française alerte, vive et séduisante, chief taster ici depuis 5 ans, après une carrière dans le négoce à Bordeaux.
Elle est facilement reconnaissable à sa photo et à ses coups de cœur qui ornent des dizaines de bouteilles. Évidemment, on parle des tariffs Trumpiens. Nos acheteurs ont rentré beaucoup de bordeaux, fin 2024, nos prix ne devraient pas bouger pour le moment. Quel vin recherchez-vous ?
LE PRESTIGE FRANÇAIS EN OREGON
Je comprends vite qu’il ne faut pas lui faire perdre son temps. Mes amis et moi on est dingue des pinots noirs de la Willamette Valley. Sourire entendu, Anne m’entraîne vers un immense rayon dédié aux pinots noirs ; les Californiens affichent une centaine de références, et tout au bout il y a celles de l’Oregon. Le pinot noir de la Valley est considéré comme le plus « bourguignon » d’Amérique. La raison est connue et on rendra hommage à la Maison Joseph Drouhin de Beaune et notamment à Véronique qui s’est installée ici en pionnier il y a 50 ans. Les viticulteurs locaux se sont empressés d’adopter leurs méthodes – sélection parcellaire, extraction réduite, vieillissement en fût de chêne – et voilà comme s’est construite une belle réputation.
Je m’apprête à saisir le Roserock Drouhin Oregon 2022 en faisant la grimace pour son prix, lorsque Anne intervient : prenez plutôt ce Samuel Robert Winery 2022, Samuel a longtemps travaillé avec Véronique. Vous verrez, c’est très bien fait et le domaine est maintenant référencé en winery direct chez nous. À 14,90$ la quille, on achète. Ce Samuel Robert a emprunté tous les codes bourguignons pour le meilleur et pour le pire comme cette étiquette barbante et faussement prestigieuse.
On le préfère avec sa superbe Jeep dans ses vignes ! Juste un mot sur ce nouveau concept de Winery Direct dont Anne est une ardente propagandiste. TotalWine souhaite privilégier les liens directs avec les (gros) domaines pour sécuriser ses approvisionnements et se démarquer des enseignes bas de gamme, type Wal-Mart, Aldi ou Publix qui vendent du vin industriel toujours moins cher.
On fait déguster à nos clients les nouveautés en winery direct avec des offres promotionnelles. Attention, nos conditions sont exigeantes et parfois des domaines sont déréférencés. Juste un exemple plaisant pour les Nantais : ce muscadet Sèvre&Maine 2020 de la maison Guy Saget en winery direct, vendu sous les 14$. Gros succès.
CINQUANTE NUANCES DE BIO
Il y a peut-être des idées à prendre, comme cette conception très « élastique » du bio, proposé par la maison de négoce Louis Latour : made with at least 70% organic ingredients. Chez nous on dit « bio » ou « pas bio » mais pas 50% bio, 70% bio.
Si je comprends bien, la Maison Latour s’engagent à freiner – mais pas à stopper- la quantité de produits phytosanitaires dans leurs vignes bourguignonnes Qui contrôle ? Quelles garanties apportent-ils ?
Une telle étiquette déclencherait chez nous les foudres de l’Agence Bio et un scandale national.
Attention, à l’heure du pragmatisme trumpiste, la négociation des droits de douane sur les vins et spiritueux pourrait nous imposer le bio à géométrie variable.
LEÇON DE MARKETING
Voilà Pablo, mon collègue chief taster pour les vins espagnols et sud-américains. Il a sélectionné de très belles choses en Rioja.
Pablo me montre la couverture de Wine Spectator consacrée à la région viticole Rioja. Le magazine mensuel est la référence mondiale des revues dédiées au vin et spiritueux. Largement diffusé il est connu pour ses dégustations régionales, ses portraits, ses analyses sectorielles et surtout son « Top 100 des vins de l’année. » En faire partie comme la Famille Perrin récemment, vous place d’emblée dans l’élite vigneronne mondiale. Sans être complotiste, je vois un lien entre le dossier Rioja du magazine et la promotion des vins de Rioja au magasin. Un exemple : la Bodega Tobia Rioja Seleccion de Autor 2022, tempranillo blend noté 92 est vendu ici 30$ avec une promo de 20%. Pablo vous dit que c’est bon, Wine Spectator le recommande, TotalWine l’a en stock et, cerise sur le gâteau, vous le propose avec une jolie remise. Qui résisterait ?
Il n’y a pas de fatalité à la mévente du vin.
Jean-Philippe