Une superbe récolte. Les producteurs de Quarts de Chaume sont unanimes pour qualifier la vendange 2015. Une vendange par tris successifs qui n’était pas encore achevée à la Toussaint, lorsque l’idée m’a pris de passer quelques jours au château de Suronde près du hameau de Chaume, au cœur de l’Appellation Quarts-de-Chaume grand cru.
Rappelons ici l’essentiel : nous sommes sur un terroir de coteaux argilo-caillouteux d’une quarantaine d’hectares– le tènement de Chaume- sur lequel est planté le chenin blanc aussi appelé pineau de Loire depuis 1000 ans.
Comme dit l’histoire mille fois racontée, le seigneur voisin de la Grande Guerche, dont subsiste un château en ruine, se faisait remettre le quart de la récolte pendante sur les vignes qui sont sur les revers du coteau du midi en paiement des moniales de l’abbaye du Ronceray d’Angers.
Le Layon, qui serpente au pied des coteaux,
dégage des brumes matinales favorisant l’apparition du botrytis- la pourriture noble- sur les raisins en sur-maturité déjà bien desséchés par le soleil automnal et les vents soutenus sur les hauteurs.
On ne se lasse pas de courir ces vignes au feuillage jaune doré, avec ses grappes résiduelles couleurs vieux-cuivre, joliment fripées pour certaines, parsemées de grains verts pour d’autres.
Il faut le coup d’œil pour savoir si on cueille la grappe maintenant ou si on attend le prochain passage me dit Sébastien, le chef d’exploitation de Suronde. Il est dans les vignes avec ses vendangeurs pour un cinquième et peut-être l’ultime passage. Du fait main, forcément couteux, qui grève le coût de fabrication du Grand Cru.
Quand vous ajoutez à cela les rendements très faibles, les millésimes médiocres, les méthodes commerciales souvent désuètes et un public qui se détourne des vins liquoreux, vous comprenez mieux pourquoi sous la façade rayonnante du Grand Cru se cache un fond quelque peu lézardé. Les langues se délient si on garantit l’anonymat : On perd de l’argent avec le Grand Cru, c’est clair, mais on a tous des vignes ailleurs. A Savennières en particulier, sur la rive nord de la Loire ; un vignoble aussi planté en chenin qui produit un blanc sec réputé, tiré par des crus recherchés comme le Clos Papillon ou l’AOC Roche aux Moines.
L’appellation a connu une période chahutée ces vingt dernières années : d’abord un feuilleton juridique autour de l’AOC Chaume, contestée par l’un des propriétaires exploitants du Quarts-de-Chaume, le Domaine des Baumard. En final, il a gagné, c’est-à-dire que l’INAO a perdu, quelle gifle ! Le conflit a laissé des traces profondes au niveau réputation, aussi l’INAO s’est montré bon prince en « offrant » à l’AOC en 2011 la qualification de Grand Cru – la seule dans le Val de Loire- assortie d’un cahier des charges très exigeant. Ajoutons à cela les nombreux domaines qui ont changé de main ces dernières années – près de la moitié de la surface de l’AOC ; les acheteurs étant attirés par les stocks importants et leurs perspectives de plus values.
De nouveau noms sont apparus dans le paysage :
Alain Château, Guillaume Mordacq, Patrick Baudouin, Florent Fournier. Querelle des anciens et des modernes ? Les clivages sont différents : il y a les pour et les contre l’agriculture bio, les pour et les contre la cryo-sélection, les pour et les contre la vente en grande distribution, les pour et les contre la promotion collective, etc. Il manquerait ici une figure emblématique et incontestée de propriétaire-négociant qui tirerait l’AOC vers l’excellence qu’elle a connue dans le passé ; une sorte de locomotive comme en voit en Bourgogne, en Rhône Nord ou même à Vouvray me dit Jean-Claude Bonnaud, rédacteur en chef du magazine le Vin Ligérien.
Et le vin, dans tout ça ?
Cette Quintessence 1996 du château Belle Rive avec son étiquette érotico-Belle Epoque, m’a plongé dans des délices profonds avec sa robe ambre baltique, ses arômes explosifs de figue, d’ananas et de mangue et sa longueur de nuit d’hiver à Saint- Petersbourg.
Jean Philippe