Un guide Michelin des vins : une vraie fausse bonne idée ?

Le célébrissime guide Michelin va proposer un guide des domaines viticoles. La diversification peut sembler logique. Après les mets, les vins… Toutefois, l’environnement concurrentiel est tel que rien ne dit que le nouveau guide connaîtra le même succès que son glorieux aîné. À l’ère des réseaux sociaux et des influenceurs, quelle place peut espérer occuper un enième guide professionnel ?


Dans un secteur déjà saturé de guides, d’experts, de revues spécialisées et de prescripteurs en tout genre, le guide Michelin annonce son entrée sur le marché de la notation des domaines viticoles. Erreur stratégique en perspective ou poursuite d’une diversification réussie ? Si la question reste ouverte pour le moment, on peut se demander si le guide Michelin ne se trompe pas (légèrement) de cible. Car la notation de la dimension œnotouristique des domaines semblerait a priori bien plus pertinente pour ce guide, né en 1900, qui évalue le secteur de l’hospitalité depuis 1926 (pour les restaurants et depuis 2024 pour les hôtels).

Un marché des experts déjà très concurrentiel

Le segment de l’expertise viticole est dominé depuis plusieurs décennies par une série d’acteurs spécialisés. Parmi les plus connus, on trouve le Wine Advocate (fondé par le célèbre Robert Parker), le Wine Spectator (la revue américaine spécialisée sur le vin qui touche 3,5 millions de lecteurs), la célèbre experte anglaise Jancis Robinson et la revue britannique Decanter (qui organise un concours international des vins bien connu), ou pour la France, La Revue du Vin de France et le Guide Hachette.

Chacun d’entre eux possède des méthodologies stabilisées et une légitimité historique auprès des particuliers mais aussi auprès des professionnels (détaillants, négociants, importateurs). Ce monde de l’expertise dans le vin et tous ses enjeux sont décrits de façon détaillée dans un article académique. Il souligne notamment le rôle central que ces acteurs jouent dans la formation des prix, en particulier pour les vins fins. L’entrée d’un nouvel évaluateur généraliste, en l’occurrence un guide gastronomique, même prestigieux, se positionnerait face à des experts techniques dont le cœur de métier est déjà parfaitement installé. La voie est donc étroite pour Michelin.

Un déplacement vers les communautés de consommateurs

Plus grave, le guide Michelin se positionne en tant qu’expert traditionnel dans un monde où les consommateurs privilégient désormais l’information issue de leurs pairs plus que de celle émanant des experts. La littérature académique démontre cette prédominance nouvelle des consumers geeks qui alimentent par dizaines de millions les notes agrégées de sites comme Vivino ou CellarTracker.

À l’instar de l’hôtellerie et de la restauration, ces notes et commentaires de consommateurs tendent à supplanter l’influence des experts traditionnels. Ce sont ces notes qui font les prix du vin à présent, plus que celles des experts, y compris dans le haut de gamme. Cette tendance de fond réduit considérablement l’espace de marché potentiel pour le guide Michelin. Son entrée sur le marché de l’expertise du vin se fait donc à contretemps de l’évolution du marché.

Des critères de notation encore flous

Dans ce contexte, la capacité du guide Michelin à imposer une nouvelle grille d’évaluation reste incertaine, d’autant que les cinq critères annoncés demeurent flous : la qualité de l’agronomie, la maîtrise technique, l’identité, l’équilibre, la constance. Le vocabulaire est imprécis, trop général, sans métrique ni méthode avancée pour saisir des critères souvent qualitatifs et éminemment subjectifs.

Cela nuit à la lisibilité et à l’objectivité de la démarche. Au final, qu’apporte cette nouvelle grille de lecture ? Que mesure-t-on exactement ? La qualité du vin, les processus menant à la réalisation du vin ? Le guide Michelin navigue entre le monde de l’expertise de processus (agronomique) et de produit (œnologique). Ce positionnement ambigu pourrait ne pas être compris par les utilisateurs potentiels.

Un atout : le capital de marque international

Pour autant, la stratégie du guide Michelin n’est pas sans fondement. Elle s’appuie sur une notoriété mondiale et une audience internationale à fort pouvoir d’achat. Le guide espère donc capter dans un premier temps sa propre clientèle. La force de la marque est ainsi son argument majeur, et l’on sait l’importance de la marque dans le monde du luxe. Cette reconnaissance constitue notamment un levier puissant pour attirer des consommateurs étrangers en quête de repères simples, particulièrement dans des régions viticoles complexes comme la Bourgogne ou Bordeaux où le guide débutera son activité de notation viticole.

Le capital réputationnel du guide Michelin comprend aussi son savoir-faire en matière d’évaluation. Avec ses étoiles, le guide manie depuis 1926 un système d’évaluation multicritères opaque mais néanmoins reconnu et respecté. Notons d’ailleurs que tous les experts du vin développent un système qui leur est propre et dont la transparence n’est pas la première qualité.

Dès lors, d’un point de vue économique, la notation des domaines viticoles peut être interprétée comme un mouvement logique de diversification horizontale. Michelin capitalise sur sa compétence centrale – la construction de standards de qualité – pour pénétrer un secteur adjacent à celui de la gastronomie.

En attendant l’évaluation œnotouristique

Cette stratégie de diversification peut toutefois être interrogée. Le guide Michelin possède un savoir-faire et une réputation dans l’hospitalité. L’œnotourisme apparait alors comme le secteur lié au vin le plus pertinent. Le guide Michelin, fort de son expertise en matière de destinations, d’expériences et de services, aurait pu s’imposer de manière naturelle sur ce terrain en évaluant des critères, tels que la qualité de l’accueil, le parcours/la visite du domaine, la cohérence de l’offre touristique, la gastronomie locale associée, l’expérience globale du visiteur, etc. Autant de critères sur lesquels la compétence est déjà présente et l’avantage concurrentiel incontestable.

Legend 2025.

En outre, l’industrie œnotouristique représente aujourd’hui un marché en expansion rapide : 18 % de croissance moyenne annuelle en Europe, selon le Global Wine Tourism Report (2025) de la Commission européenne. L’œnotourisme (et le tourisme gastronomique, très souvent liés) sont totalement alignés avec l’histoire du guide Michelin et avec les attentes de la clientèle internationale premium qu’il capte déjà en partie.

A minima, une stratégie tournée vers l’œnotourisme aurait dû constituer une étape vers l’évaluation des vins et des vignerons. Le risque d’aller directement sur l’évaluation du vin est double. C’est d’abord le risque de dilution de crédibilité lié à un manque de légitimité. Mais aussi le risque d’arriver bien trop tard, à contre-courant des tendances, dans un marché du vin en plein essoufflement. La force de la marque suffira-t-elle ? L’avenir nous le dira.The Conversation

Jean-Marie Cardebat, Professeur d’économie à l’Université de Bordeaux et Professeur affilié à l’INSEEC Grande Ecole, Université de Bordeaux

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.

Image à la Une : karelnoppe/Shutterstock

Ecrit par Jean-Marie Cardebat
Catégories : médias, librairie, tech

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