Christophe Boudu n’a rien d’un voyageur immobile. Ce vendéen conseiller, dégustateur talentueux et formateur en œnologie nous a fait découvrir le vignoble mexicain « le plus ancien du Nouveau monde », le vignoble moldave Noroc Moldova ! et l’AOC Pierrevent « l’appellation qui vit cachée ». Il nous raconte aujourd’hui l’histoire d’une première mondiale à Mâcon en Saône et Loire ; comme si nous y étions !
Quand une ville décide d’ouvrir les fenêtres sur le monde. Il y a des événements qui naissent de l’évidence et d’autres dans l’audace.

Ce vendredi 14 novembre 2025, j’ai eu l’honneur d’y participer en tant que juré. Une première mondiale pour les organisateurs, pour les dégustateurs et pour la ville elle-même, comme on peut le voir sur cette vidéo.
La veille, au Bar des Arts, je déguste un Mâcon Serrières rouge et je regarde les affiches du concours recouvrir les quais de Saône. Ici, personne n’a trop l’habitude de voir surgir un événement de cette ampleur. On s’interroge, on sourit, on doute un peu : pourquoi ici ? pourquoi Mâcon ? pourquoi maintenant ?
La serveuse curieuse ose me demander si je suis là pour ça. Ma réponse l’impressionne puis la réjouit et je mesure déjà que je suis un privilégié. Parce qu’intégrer le jury du Premier Concours des Grands Vins du Monde c’est entrer au moment précis où une histoire commence. Une responsabilité, une chance rare.
UN RENDEZ VOUS AMBITIEUX
Mâcon n’est pas seulement une ville bourguignonne attachée à ses traditions viticoles. Depuis 70 ans elle porte un savoir-faire reconnu dans l’organisation de concours nationaux. Le Concours des Grands Vins de France à Mâcon fait autorité dans le milieu contrasté des concours des vins.
Ses équipes, presque exclusivement bénévoles, fonctionnent avec sérieux, précision et humilité. Ce concours mondial n’est pas né d’un coup de tête : c’est le prolongement naturel d’une culture de rigueur.
Mais tout de même… quel contre-pied pour une ville modeste que de convier le monde entier à sa table. Ce n’est pas le poète Alphonse de Lamartine aussi historien et homme politique du XIXème siècle qui nous contredira. Ni « Zizou » Antoine Griezmann le prodige du football international, tous deux natifs de Mâcon.
UN CONCOURS POUR REFLÉTER LE MONDE

La crédibilité : un jury international sélectionné, exigeant et impartial : 84 dégustateurs venus de 18 pays : sommeliers, œnologues, journalistes spécialisés, professionnels aguerris.
L’ouverture : ne pas récompenser un style, une école, un pays. Mais s’ouvrir à des profils inattendus, à des pays émergents, à des expressions culturelles multiples.
La pérennité : le premier concours ne sera réussi que si les jurés souhaitent revenir et si le monde du vin notamment les viticulteurs s’empresseront de présenter leurs cuvées pour la prochaine édition.
Faire dialoguer un riesling allemand avec un vin orange croate, un blanc japonais avec un Bordeaux, un rouge ukrainien avec un Barolo… C’est un défi pour les sens, mais aussi un acte de confiance envers et pour la diversité.
QUAND LE SILENCE DEVIENT LANGAGE
Le matin du concours, la grande salle lumineuse du parc des expositions s’ouvre dans une ambiance olympique : la carte du monde sur les écrans et des dizaines de drapeaux représentant les pays participants. Les vins en concurrence sont anonymisés sous les chaussettes de dégustation aux couleurs du concours, elles attendent leur moment. Le monde du vin, d’habitude si bavard, retient son souffle !
Place au discours inaugural de Charles Lamboley coprésident du Concours. Béata Vlinkova marraine invitée d’honneur représentant la sommellerie Slovaque. Puis une certaine émotion accompagne le décompte de déclaration de l’ouverture officielle du Premier Concours Des Grands Vins du Monde.

Quatre nations, six visions, six histoires, six façons d’écouter le vin. Mon numéro de jury : 111. 18 vins à déguster, à comprendre, à noter, à juger en toute impartialité !
Notre tentative ? Comparer l’incomparable, en instaurant un langage commun pour donner du sens à la diversité.

Lui succèdent blancs d’Alsace, de Suisse et puis des rouges de la rive droite bordelaise. Toujours apportés à la table avec maestria par les étudiants en oeno-viti de l’ AgroBioCampus Davayé.
Chaque vin est jugé à l’aveugle pour ce qu’il est, sans contexte, sans réputation pour le protéger. Nous notons, nous comparons, nous nous laissons surprendre.
Le silence s’impose, mais parfois le regard croisé suffit pour comprendre que l’autre jury a ressenti la même vibration.
Un autre plaisir de ce concours réside dans l’échange : Jacques notre ami suisse nous distille quelques précisions utiles sur la géographie viticole du pays, Mattéo, son analyse des marqueurs du sauvignon en Haut Adige et Rachel ,sommelière française, ses précieux et judicieux accords mets et vins. C’est passionnant, nous y sommes, au cœur de cette exploration recherchée, mais pas calculée. Des instants infimes mais qui disent tout : un respect mutuel, un enthousiasme partagé, une expertise assurée. La conscience d’être à un endroit et de vivre une expérience qui pourrait compter.
DIVERSITÉ MONDIALE

Passer d’un blanc floral à un rouge structuré d’altitude, d’un vin doux pâtissier à un blanc cristallin d’inspiration alpine : chaque verre est un voyage, un bout de monde, une histoire condensée.
Il arrive que les vins touchent autrement : par une pureté, un équilibre, une énergie. Ces moments restent gravés parce qu’ils dépassent la technique : ils réveillent un terroir, un paysage intérieur.
ÉCOUTER SES BIAIS, ÉLARGIR SES REPÈRES
Être juré, c’est confronter son palais à des profils de vin qu’on ne rencontre pas dans son quotidien. Cela interpelle l’acceptation de deux mouvements simultanés :

Une progression professionnelle car comparer des vins du monde sur une base commune ouvre une vision panoramique : évolution des styles, tendances émergentes, montée en précision de certains pays. C’est un exercice qui renforce l’expertise.
Un concours mondial, c’est comme une salle de classe planétaire. Et en tant que juré du « premier jury », on comprend que notre rôle dépasse l’exercice sensoriel, nous devenons un maillon fondateur et posons aussi une première pierre.
C’est la fin du suspense. Chaque acteur va découvrir le palmarès officiel, en un temps record grâce à cette organisation parfaitement rôdée qui fait la renommée de Mâcon. A notre table une médaille d’or pour un Saint Émilion grand cru –le château Vieux Grand Faurie 2022– et cinq médailles d’argent partagées entre Suisse et Japon.
Ce n’est pas une joie bruyante : plutôt un sourire intérieur, une certitude tranquille d’avoir été juste.
La diversité des vins récompense et reflète la richesse et le dynamisme du monde viticole contemporain : des domaines confirmés, fidèles à leur précision, à la créativité de régions émergentes, parfois étonnantes. Des styles et/ou des assemblages audacieux, assumés, maîtrisés. Alors voir certains pays moins connus comme l’Ukraine ou l’Arménie accéder à la lumière est un plaisir personnel particulier.
LE LANGAGE UNIVERSEL DU VIN
Au déjeuner qui suit les dégustations, les discussions s’élargissent et s’animent. Les cartes de visite s’échangent naturellement : Slovaquie, Croatie, Japon. On va se revoir. Le langage du vin est universel et les idées se croisent.
Puis une visite de la Cité des climats de Bourgogne, et en soirée une superbe dégustation de huit portos de la Quinta do Tedo vont agrémenter cette journée formidablement bien orchestrée par l’équipe organisatrice. Privilégié, je suis placé à la table de Bernard Rey le président du Concours. Occasion unique d’évoquer ouvertement les enseignements de cette première édition. Et la question surgit d’elle-même : J’ai l’impression qu’en plus de parler vin et dégustation on a parlé culture, ce concours n’est-il pas finalement un lieu d’échange d’idées ? lui demandais-je.

AIGUISER MES PERCEPTIONS
Le lendemain, dans le calme de mon esprit, je laisse décanter les rencontres, les arômes, les vibrations. Certains vins réapparaissent, comme des éclats sensoriels persistants.
Certaines conversations notamment avec ce Canadien à l’accent typique, permet de dire sa fierté : J’y étais dès le début. Je partage ce sentiment. Participer à ce premier concours aura été pour moi un recentrage, une manière d’aiguiser mes perceptions, un rappel de ce que le vin porte de culture, de mémoire, de dialogue, une gratitude profonde d’avoir pu donner ma voix, mon palais, mon écoute.
L’EXPÉRIENCE TRANSFORME LE REGARD

Et c’est précisément cette conscience qui peut transformer cette première édition non comme un aboutissement mais comme un commencement. Et si la vraie question n’était pas : «Pourquoi organiser ce salon à Mâcon ?» mais plutôt : Pourquoi n’existait-il pas déjà?
Christophe