Une Américaine dans nos vignes

Cet appel inattendu de mon copain Hugues à La Rochelle : connaitrais-tu pas trop loin d’ici un vigneron où je pourrai emmener ma belle-fille américaine ? Elle bosse dans un domaine dans l’Etat de Washington et voudrait découvrir un bel endroit bien de chez nous. J’avais pensé à St Emilion mais ils ne sont pas vraiment disponibles…

J’avoue que je n’ai pas hésité longtemps : Allez donc aux Hauts de Talmont, elle ne sera pas déçue : la vue est merveilleuse, le cadre historique, le domaine ultra moderne et l’équipe jeune et accueillante…

un domaine « familial » mais façon US

Hugues m’avait déjà offert l’occasion de déguster une production limitée de Browne Family Vineyards, des cabernet sauvignon très travaillés au chai et parfaitement élevés en vieilles barriques de Rye et de Tequila.

Des vins très équilibrés, avec un nez légèrement poivré, une finale plutôt chocolatée, et que n’aurait sans doute pas reniés Robert Parker, mais qui, de mon goût d’Européen, étaient trop chargés et bien loin du fruit !

Il faut juste préciser que le domaine Browne Family, c’est trois vignobles de 120 ha chacun, soit la surface totale de ceux du groupe Pernod Ricard en France, on ne joue pas dans la même cour !

Ils sont situés en Oregon et dans l’Etat de Washington à quatre heures de route depuis Seattle ou par vol direct vers l’aéroport de Walla Walla.

pour en savoir plus sur les vins de l'Etat de Washington

L'État de Washington est une jeune région viticole et déjà la deuxième plus grande région des États-Unis pour les vignes. On y cultive plus de 80 variétés de raisins. Les producteurs et vignerons de Washington travaillent en tandem pour produire une combinaison de styles de vin du vieux monde et du nouveau monde. Il y a plus de 1 000 domaines dans cet état dont la surface du vignoble varie de 40 ha à 480 ha.

Surnommé l'Evergreen State avec un climat quasiment méditerranéen, l'Etat est séparé verticalement en deux par la chaine de montagnes des Cascades qui bloque les précipitations sur son versant Ouest (d'où des forêts luxuriantes et tropicales) et rend quasiment désertique le versant Est sur lesquels se trouvent les vignobles.

La chaîne des Cascades est constituée de volcans actifs, un sol donc riche en minéraux, qui s'est mélangé avec les sols meubles et sablonneux du bassin du fleuve Columbia au fil du temps. Les vignobles de Washington n'ont jamais été atteints par l'épidémie de phylloxéra.

Ces vignobles dépendent des rivières de la région, la Yakima, la Columbia, la Walla Walla et la Snake, qui leur fournissent une irrigation vitale.

Cependant les vins de la côte Ouest comme les vins européens n'échappent pas à la crise : tout d'abord les changements générationnels font que la consommation baisse. Ensuite,  l’inflation accrue par la présidence Trump pèse sur les consommateurs. Enfin, suite aux taxes mises en place par la Maison Blanche, le rejet par les voisins canadiens de tout ce qui vient des Etats-Unis...

Et on parle aujourd'hui d'arrachage : peut-être 30 000 ha en Californie...

Résultat, souligne Sud Ouest : La baisse de la demande pousse les producteurs de vin sous pression à s’approvisionner ailleurs. Car aux États-Unis, une bouteille peut être étiquetée comme « vin américain » même si sa fabrication en cuve utilise une partie de vin déjà prêt, produit à l’étranger. 

La curiosité aidant, je suis allé me glisser dans la visite à Talmont-sur-Gironde pour saisir l’étonnement et la surprise d’Alicja, américaine d’origine polonaise, devant ce Tiny vineyard de 8 ha, un petit bijou à mes yeux !

choc de cultures

Tôt ce matin d’automne, je lis plutôt une expression dubitative dans les yeux d’Alicja -ou est-ce le décalage horaire ?- face à la très discrète entrée du domaine signée de l’agence d’architecture Christophe Biecher. Je soupçonne qu’elle a du mal à imaginer être devant le bâtiment principal d’un vignoble !

C’était la volonté de se faire discret pour s’insérer dans un paysage classé en zone de protection du patrimoine expliquera plus tard Pierre-Louis notre jeune accompagnateur-globe trotter.

Direction le pied des falaises où la présence de fossiles permet de dater les lieux : époque de Jurassic Park ? Non bien plus tard : -65 millions d’années. Il suffit de se baisser pour en ramasser. Une datation qui ne lasse pas d’étonner notre américaine !

Les vignes sont posées sur une veine de calcaire campanien supérieur, la période de la disparition des dinosaures et des ammonites. Ce type de calcaire permet de retenir l’excès d’eau des précipitations et de la restituer à la vigne en période de fortes chaleurs…Une pompe naturelle en quelque sorte qui fonctionne quand il le faut.

Alicja me confirme que la présentation du sous-sol ne lui est pas étrangère. Près de l’océan Pacifique, dans cette région du monde où volcans et limons se sont mélangés, la géologie fait partie des caractéristiques des vineyards expliqués aux visiteurs mais plutôt dans les salles de dégustation pour mieux souligner le caractère unique des associations des cépages avec leur sous-sol.

un choix qui interpelle

Retour au dessus de la falaise au milieu des rangs de vignes. Pierre-Louis décrit l’implantation aérée des rangs de colombard (4200 pieds/ha) et plus loin de merlot, perpendiculaires aux vents dominants pour parer les éventuelles attaques des maladies, notamment du mildiou. Alicja pointe quelques manques parmi les rangs. Là où l’Esca a frappé : Oui, on replante petit à petit mais toujours en sélection massale précise Pierre-Louis.

En 2011 les Hauts de Talmont ont osé la biodynamie, un modèle cultural fondé sur la conviction que la terre est un être vivant qui doit être à la fois protégé et sollicité. Nous sommes au bord de l’Atlantique, alors que sur la rive d’en face dans le Médoc, ou encore à quelques kilomètres de là à Blaye, commence l’appellation bordelaise plutôt rétive à ces pratiques vertueuses au motif souvent évoqué qu’il y a des entrées maritimes. Pourtant la demande des consommateurs ne décroit pas pour ce type de vin…

Depuis ces années, le domaine est certifié Bio, Biodyvin et Demeter. Le seul dans la région à cumuler les trois certifications. Alicja reconnait que les domaines qui pratiquent la biodynamie dans l’Oregon et l’Etat de Washington se comptent sur les doigts de la main, même si l’hiver les températures y sont plutôt modérées et la neige rare. Pourtant la conscience écologique et les enjeux de santé ont une influence également sur les consommateurs américains. Les Etats-Unis jouent à leur échelle un rôle croissant : d’après la revue E-Tasting, les vins biologiques et naturels gagnent du terrain sur les linéaires américains…

pédagogie positive

Une dizaine de rangs plus loin, Pierre-Louis tient à nous faire gouter  des grains de merlot pour en apprécier la maturité et la concentration. Une preuve d’un bel ensoleillement ces derniers jours alors que l’été a été plutôt compliqué pour les vignerons avec des rendements en baisse.

Deux de ses rangs ont été réservés aux 79 élèves de l’école maternelle et primaire de Cozes, le village voisin, qui les ont vendangés à l’aide de petits sécateurs à bout rond. C’est un exemple de rapprochement citoyen initié par le domaine avec les jeunes de la commune. Une façon de leur permettre de s’ouvrir à la connaissance de l’agriculture et de la vigne dans le cadre de la communauté locale. Mais c’est aussi une sortie traditionnelle chaque année avec la participation active des enseignants et des parents.

Bien sûr l’opération n’a pas été parfaite et il reste encore quelques grappes accrochées trop en hauteur pour les enfants !

Pour le coup je comprends à la mine d’Alicja qu’aux USA, on ne se permettrait pas d’emmener les petits dans les vignes : nous ne voulons pas promouvoir l’alcool auprès des jeunes enfants.  J’imagine une armée d’avocats plaidant le préjudice subi au plus jeune âge ! De quoi produire plusieurs saisons sur Netflix…

au rythme des planètes

A l’entrée du chai une dalle carrelée arborant des signes du zodiaque interpelle notre Américaine qui l’immortalise sur son portable. Pierre-Louis précise que c’est à cet emplacement que Lionel Gardrat, le vigneron de l’équipe, effectue ses préparations de biodynamie.

L’idée est de dynamiser les sols grâce à des forces cosmiques qu’il faut contrôler avec des préparations spécifiques réalisées à partir de produits 100% naturels d’origine végétale, animale ou minérale, comme la préparation 500 de bouse de corne ou la préparation 501 de silice de corne selon un calendrier lunaire très précis. Car la lune montante favorise la montée de la sève, c’est le printemps lunaire, période où il faut greffer et vendanger. Alors que la lune descendante, automne lunaire, c‘est le moment de la taille.

Sans être des adeptes des théories de l’anthroposophe Rudolph Steiner, de nombreux vignerons tiennent compte aujourd’hui de ce calendrier, tant pour la production que pour la dégustation, comme nous l’avait raconté Olivier Cazenave, vigneron en biodynamie à Libourne, ou à une plus grande échelle Gérard Bertrand dans les Corbières. La dimension ésotérique n’échappe pas à Alicja même si je la sens perplexe…

vinification naturelle

Au chai en revanche, elle se retrouve en terrain connu : ce jour là, Lionel Gardrat effectue les remontées de merlot du matin. Une opération plutôt astreignante répétée 2 fois par jour pendant 10 jours.

C’est aussi l’occasion de nous faire gouter un verre de bourru : un moût en cours de fermentation alcoolique tiré d’une autre cuve. Le jus de colombard est trouble et encore fruité. Il laisse présager la cuvée d’un vin vif et acidulé. Appelé Colombard n°2, il sera vinifié en cuve inox, contrairement au Colombard n°1 qui effectue une fermentation malolactique en fûts de chêne.

Alicja grimpe par la coursive tout en haut de la cuve pour visualiser l’épaisseur du chapeau sur lequel le jus de merlot qui a été pompé ruisselle en entrainant avec lui les tanins, les molécules colorantes, les précurseurs d’arômes. Pas de levure ajoutées, seules celles qui habillent les peaux de raisin. Car, précise Lionel Gardrat c’est à la vigne que le vin se fait. Pas au chai.

la pièce maîtresse

Plus tard la visite se poursuivra par une dégustation de l’ensemble de la gamme. Les recherches de Lionel Gardrat en matière de vin naturel ne passent pas inaperçues et Alicja notera que le domaine semble bien à l’écoute de sa clientèle dont la demande évolue vers des vins plus légers, à faible teneur en alcool.

Et à la boutique située au coeur de Talmont sur Gironde -85 habitants- l’un des plus beaux villages de France sur un emplacement unique, c’est l’ensemble de l’offre, son design et sa présentation claire et soignée par un habile jeu de lumière qui va la frapper. Jean-Louis Laboissière, maître des lieux précise : nous avons voulu une mise en scène forte pour starifier les robes des vins ! La boutique, c’est la pièce maîtresse du domaine, celle que lui envient tous les vignerons de la région. De fait, en fin de saison, il n’y a plus grand chose à vendre.

En sortant Alicja me fait cette remarque : quand on est dans un endroit aussi touristique, j’accueillerais bien à la boutique des artistes locaux, des livres sur la région ou tout autre produit au cas où quelqu’un voudrait acheter autre chose que du vin.

C’est sûr que lorsque l’espace n’est pas compté, on peut tout se permettre !

François

Merci encore à Michel Guillard, Lionel Gardrat et leur équipe parfaitement multilingue qui a pu assurer une visite détaillée et riche en détails techniques.

 

 

Ecrit par Francois SAIAS
--------------------------------------------------------------- Réalisateur documentariste pendant de nombreuses années, François a gardé la curiosité de son premier métier et s'est investi depuis dans le monde du vin, ses rouages, son organisation, ses modes de fonctionnement.
Catégories : domaines et châteaux , France , USA

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