Chez les trumpistes

Je me dépêche d’écrire cette histoire vécue avant que les souvenirs ne s’estompent, d’autant que les effluves d’alcool et les coups de butoirs du décalage horaire n’arrangent pas la mémoire. Bref, nous sommes à Naples en Floride, une grosse ville cossue donnant sur le golfe du Mexique- ou d’Amérique ? – à 120 miles de Miami.

Naples a été consacrée par Times Magazine il y a quelques années : «meilleure destination au monde pour sa retraite ». Réputation confirmée pour les retraités (très) aisés.

Mon fils Vincent et son groupe musical the French Horn Collective avait signé un contrat avec le Pelican Isles Yacht Club pour la fête annuelle du club senior. Le groupe musical (chanteuse, violon, trompette, contrebasse, guitare) avait spécialement travaillé un répertoire susceptible de créer des émotions chez les 75 ans et plus, à base de standards majoritairement français : Sous le Ciel de Paris, C’est Si Bon, les Feuilles Mortes, Fly me to the Moon (F. Sinatra), rehaussés par l’Happy Jazz Music de Django Reinhart et Michel Legrand.

Allez, je t’embarque pour Naples, Padre, on partagera la conduite. Vive l’aventure !

Je n’avais pas envisagé la situation délicate dans laquelle j’allais me trouver entre 19 et 22h ce vendredi soir au milieu d’un groupe de gens pas forcément très amicaux avec un Européen.

Mon fils m’ayant aimablement présenté comme son papa, la manager m’avait alors gratifié d’un large sourire mais ne s’était pas souciée de mon bien-être durant le spectacle.

Qu’est-ce que j’allais faire ? Je me sentais grave dans la peau d’un usurpateur, d’autant que tout le monde portait un badge.

Me voilà déambulant par-ci par-là lorsque je tombe sur le stand de dégustation de vin ; quatre vins de Toscane s’offraient aux bouches séniors, fatiguées par trop de sollicitations. Petit échange professionnel avec l’animatrice qui se voit débordée par une affluence soudaine et accepte mon aide pour le service des rouges (Chianti Classico). Un homme m’adressa alors la parole : Monsieur, ma femme est française, vous savez !

Et voilà la glace rompue. Odile, une femme avenante au brushing travaillé est originaire de Bourgogne. Elle a connu avec son mari la mondialisation heureuse et les joies de la supply chain (Singapour, Shanghai, Indonésie, Europe du Nord).

Après la dégustation c’est tout naturellement qu’elle se dirige vers le buffet italien chargé d’antipasti, elle se saisit d’une assiette et ma foi…..je fais pareil !

J’avais l’impression que tous les yeux étaient braqués sur moi, caméras de surveillance inclus.

Ça n’a pas loupé, un individu à l’œil noir s’approcha en affirmant péremptoirement : The best wines in the world are from California! Je prends un air dubitatif, imbu de ma petite culture œnologique et réplique que les pinots noirs d’Oregon sont excellents et sortent souvent en tête des dégustation. Vous savez qu’on a 10 milliards de déficit avec les vins européens ? Les tariffs à 20% vont rétablir les choses.

Et me voilà au cœur de la dialectique trumpiste. Il faut créer des chocs pour inverser les tendances défavorables. Les californiens produisent 80% des vins US, Ils ont de belles marques comme Josh, Robert Mondavi ou Caymus Vineyards. Ils vendent localement mais n’exportent guère alors qu’un boulevard leur était ouvert.

Les amateurs se rappelleront du Jugement de Paris – la fameuse dégustation de 1976 lorsque des vins californiens totalement inconnus avaient battu les plus grands bordeaux lors d’une dégustation à l’aveugle d’anthologie.

C’était il y a 50 ans, depuis les vins californiens n’ont cessé de dégringoler en Europe, comme les Buick ou les Cadillac pour les automobiles.

Vins de cépages suralcoolisés « riches en arômes et en tannins », vendus trop chers, bio inexistant, vignes cramées…

Bien sûr, je ne me risquerais pas à critiquer ouvertement ces vins car ma situation est bien trop instable, si l’homme découvre que je suis un pique-assiette, je me fais lyncher et surtout je risque de faire du tort au contrat musical de mon fils. Venez par ici, c’est Ryan il est toujours excessif !

Odile me prend le bras et m’entraîne vers l’orchestre. A ce moment-là la douce voix d’Airleen chante : quand il me prend dans ses bras, quand il me parle tout bas, je vois la vie en rose…

Nous échangeons un regard, peut-être aurions-nous pu rejoindre les couples de danseurs si une pensée idiote ne s’était pas incrustée dans ma tête. A combien vont-ils taxer la chanson française?

J-Philippe

Image à la Une : ©Pelican Isle Yacht Club/Facebook

Ecrit par Jean-Philippe RAFFARD
--------------------------------------------------------------- Toujours volontaire pour une virée dans le vignoble du bout de la Loire, du bout de la France, du bout de l’Europe ou du bout du monde, là où il y a des vignerons, là où il y a du bon vin. Jean Philippe n’oublie pas sa vie antérieure en marketing-communication pour lever le voile sur le commerce du vin et l’ingéniosité des marchands.
Catégories : USA

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