Et si l’assurance verte aidait à réduire les phytos dans les vignobles…

Dans le cadre d’un living lab viticole aquitain, des producteurs, une compagnie d’assurance et un acteur public ont conçu une nouvelle forme d’« assurance verte ». L’objectif : permettre l’expérimentation d’un nouvel outil d’optimisation de la protection phytosanitaire des vignes, par la couverture des pertes potentielles.


De nouvelles technologies sont régulièrement mises au point pour optimiser la performance de l’agriculture, tout en réduisant son impact sur l’environnement. Mais les agriculteurs ne sont pas toujours prêts à prendre le risque de les tester ou de les mettre en œuvre à grande échelle.

Avec le soutien d’une « assurance verte » intervenant en cas de pertes, deux caves coopératives viticoles se sont portées volontaires pour participer à une expérimentation. L’idée ? Tester et améliorer un outil d’optimisation de la protection phytosanitaire proposé par l’Institut technique de la filière (IFV). Résultat : sur quatre années, les fongicides ont été réduits de 30 à 55 %. Cette approche a été permise par une approche living lab adoptée au sein du territoire d’innovation VitiREV.

Des travaux complémentaires, menés cette fois auprès de 412 viticulteurs français, montrent que ce dispositif pourrait en fait intéresser un grand nombre de viticulteurs. À l’heure d’imaginer nos futurs systèmes agricoles et alimentaires, cette initiative allie deux leviers plus que jamais d’actualité : les dispositifs living lab pour faire émerger des solutions nouvelles, et la nécessaire prise en compte du risque vécu par les producteurs au moment de les expérimenter.

Risque d’expérimenter

Dans la réalisation des transitions attendues par la société, un sujet trop peu évoqué est celui du risque encouru par les agriculteurs au moment d’expérimenter de nouvelles pratiques. En l’absence d’informations fiables, de mauvaises anticipations peuvent freiner la phase d’expérimentation nécessaire avant toute tentative de déploiement. L’utilisation d’un outil d’aide à la décision visant à limiter les produits phytosanitaires en est l’illustration. Supprimer un traitement ou réduire une dose comporte toujours une grande part d’incertitude, avec des conséquences parfois dramatiques sur les récoltes. Une approche globale couplant problématiques agronomiques et financières est nécessaire.

L’ambition de l’initiative aquitaine tient justement à cette approche living lag choisie pour traiter l’enjeu de la réduction des pesticides. Celle-ci consiste à associer une diversité d’acteurs concernés – agriculteurs, chercheurs, mais aussi administrations, associations, entreprises, consommateurs, etc. Ensemble, ils conçoivent et expérimentent des solutions dans les conditions réelles des fermes et de leur territoire. Cette approche a été déterminante pour impliquer d’autres acteurs clés de l’équation : une collectivité (la Région Nouvelle-Aquitaine) et une compagnie d’assurance (Groupama). Car ceux-ci pouvaient soutenir, au moins temporairement, la prise de risque associée à l’adoption d’un outil de réduction des traitements phytosanitaires.

Si les risques climatiques font actuellement l’objet de contrats d’assurance subventionnés dans le cadre de la politique agricole commune (PAC) – l’assurance multirisque climatique –, les pertes de récolte dues aux maladies et nuisibles ne sont, elles, pas assurées. L’utilisation de produits phytosanitaires reste un outil majeur pour se prémunir des risques de maladies et de nuisibles avec des effets secondaires conséquents sur la santé et les écosystèmes.

L’assurance maladie de la vigne

Au cours des quatre années d’expérimentation, les partenaires ont affiné le « protocole de traitement assurable » à suivre en fonction des prescriptions de l’outil d’aide à la décision testé. Ils ont également affiné les conditions de l’assurance. Avec quels résultats ? Une baisse de 30 à 55 % de fongicides sur les parcelles en expérimentation – 75 hectares en moyenne par an –, par rapport aux autres parcelles suivies en parallèle. Et ce, sur des parcelles conduites en agriculture biologique comme en agriculture conventionnelle.

Les pertes de production attribuables aux maladies ont été limitées à moins de 5 % les trois premières années. Ces bons résultats ont incité les coopératives à mettre progressivement davantage d’hectares en jeu, et l’assureur à réduire les cotisations d’assurance. Néanmoins, une des parcelles a connu des pertes importantes au cours de la dernière année ; ce qui a donné lieu à des versements d’indemnités par l’assureur. Cet épisode a rappelé que les recommandations de l’outil étaient très dépendantes de la qualité des données fournies en amont des préconisations : observations des agriculteurs, prédictions météorologiques, etc.

Une majorité de viticulteurs français favorables

Sur la base de cette initiative, des travaux complémentaires, menés cette fois à l’échelle nationale, ont permis de mesurer l’intérêt des viticulteurs français. L’objectif de cette étude était de mesurer l’impact à grande échelle de ce type de dispositif couplant outil d’aide à la décision et assurance du risque sanitaire.

« Ce dispositif peut être intéressant pour inciter les viticulteurs à baisser les intrants »,

commente un viticulteur enquêté.

Elle montre qu’entre 48 % et 60 % des 412 viticulteurs français interrogés se disent prêts à souscrire à une assurance verte. Une préférence est constatée pour des indemnisations sur la base de l’évaluation des pertes réelles par un expert, plutôt qu’une assurance indicielle. Avec l’assurance indicielle, les pertes sont estimées sur la base d’un indice de pression fongique locale, mesurée par exemple dans des parcelles de vigne témoins proches. L’enjeu reste de réduire les coûts. Cependant, les pertes réelles peuvent être parfois supérieures et parfois inférieures à celles des vignes témoins.

Vers 25 % de surfaces bio d’ici 2030 ?

Les viticulteurs interrogés préfèrent également une adhésion individuelle volontaire plutôt que via des fonds mutuels à cotisation obligatoire. Cette dernière approche a pourtant été testée récemment sur des vignobles du Veneto (Italie). Parmi les profils de producteurs les plus intéressés par l’assurance verte se trouvent les agriculteurs en conversion vers l’agriculture biologique. Ce dispositif pourrait donc être un potentiel moyen de soutenir leur conversion et ainsi d’atteindre les objectifs de l’Union européenne de 25 % de surfaces bio pour 2030.

« Il est urgent de prendre conscience de la toxicité des produits phyto et de réduire les quantités utilisées au juste nécessaire. L’image du monde agricole en dépend »,

rappelle un autre viticulteur.

Ces résultats sont encourageants pour imaginer des dispositifs d’accompagnement d’innovations comme celles développées localement par les acteurs de living labs. Concernant l’assurance verte en particulier, si les dépenses publiques se concentraient sur l’augmentation du niveau d’indemnisation que peuvent couvrir les assureurs, elles n’interviendraient alors qu’en cas de pertes réelles. Les dispositifs actuellement en place comme les mesures agroenvironnementales de la politique agricole commune (PAC) génèrent, eux, des dépenses publiques systématiques, indépendamment des pertes réelles.

Cela rend ce nouvel instrument de politique publique particulièrement attractif pour soutenir des pratiques pour lesquelles les agriculteurs ont tendance à surestimer le risque de pertes. Au-delà de l’objectif étudié ici, qui est de sécuriser l’apprentissage vers des itinéraires moins intensifs en produits phytosanitaires, l’instrument peut s’adapter à d’autres pratiques expérimentées dans le cadre du développement de l’agroécologie.


Cet article a été rédigé avec Marc Raynal, ingénieur à l’Institut français de la vigne et du vin (Gironde).

Ces recherches ont bénéficié du soutien de l’Agence nationale de la recherche (projet Vitae) et de la Région Pays de la Loire (projet BEHAVE).The Conversation

Yann Raineau, Chercheur en économie, Inrae; Cécile Aubert, Professeur d’économie, Université de Bordeaux; Marianne Lefebvre, Enseignante et chercheuse en économie, Université d’Angers et Pauline PEDEHOUR, Maître de conférences en Sciences économiques , Université d’Angers

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.

Image à la Une : crédit JA Mag édité par Jeunes Agriculteurs

Ecrit par Yann Raineau, Cécile Aubert, Marianne Lefebvre, Pauline Pedehour
Catégories : le métier

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