Génération Vignerons vous embarque à des milliers de kilomètres pour plonger au cœur d’une région « verte » connue pour son héritage culturel, historique et gastronomique : Gifu.
La prefecture authentique
C’est à Gifu que vous retrouverez les éléments clés de la nature : des eaux pures et des forêts. La région est couverte à 80% de forêts et de montagnes à haute altitude, jusque 3000 mètres, surnommées les « Alpes japonaises ».
Cette préfecture japonaise est renommée pour son authenticité mais aussi pour la possibilité de rencontrer de nombreux artisans locaux, entre menuisiers, céramistes et aussi traditionnels producteurs de saké, qui ont su, contrairement à d’autres régions, conserver la dimension familiale.
Ici les traditions se perpétuent : vous pouvez assister aux nombreuses célébrations annuelles, regarder un spectacle de kabuki (théâtre japonais), ou encore déguster des poissons rares d’eau douce, les ayu, pêchés par les cormorans depuis 1300 ans. Le ayu est servi grillé avec une pointe de sel et un zeste d’agrume local comme le kabosu pour un accord en harmonie avec le saké de la région.
de l’eau douce, très douce
Architecturalement, Gifu se distingue par ses célèbres maisons aux toits de chaume, notamment dans le village de Shirakawago dans le nord, classé au patrimoine mondial. Elle est aussi connue pour sa coutellerie ainsi que l’art du papier japonais washi ou encore ses céramiques.
On trouve ici les eaux les plus pures et douces (entendez très peu minéralisées), offrant des conditions favorables au brassage du saké, une tradition transmise depuis plusieurs générations. Comptez une cinquantaine de brasseries dont quelques-unes riches de plusieurs siècles d’histoire et méthodes de production. La douceur de l’eau de Gifu, issue de ces «Alpes japonaises», apporte une rondeur aux sakés offrant à tout dégustateur une entrée en bouche délicate avec sa légère sucrosité.
L’eau utilisée tout au long de la production du saké, tant pour humidifier le riz que pour le laver mais aussi pour allonger la boisson fermentée obtenue et en atténuer son taux d’alcool, joue un rôle majeur dans l’équilibre final des saveurs : la très faible teneur en minéraux, contrairement à nos eaux françaises, influence le niveau de stress provoqué auprès de la levure.
C’est depuis ces réserves souterraines d’eau que les brasseries produisent leurs sakés. Les rivières coulent sur plus de 3323 kilomètres à travers Gifu.
Les brasseurs utilisent plusieurs variétés de riz, comme le riz local de Hidahomare ou le Yamada-nishiki connus pour leur grande qualité.
accords nature et saké
Les producteurs ont développé avec les éléments de la nature des sakés s’accordant parfaitement avec les poissons et les viandes locales.
Gifu est une des rares préfectures du Japon sans accès à la mer, axant ainsi ses produits locaux autour des poissons d’eau douce et les viandes dont celle du bœuf de Hida (appelée hida-gyū) connue comme l’une des plus prestigieuses du Japon.
Provenant de bœufs élevés dans les montagnes de Takayama, cette viande est connue par sa délicatesse et son goût fondant.
épicentre de l’histoire japonaise
La préfecture de Gifu a, au cours de son histoire, joué le rôle d’un véritable carrefour stratégique et culturel, surtout durant l’époque Sengoku (1467-1615), une période marquée par de nombreux conflits entre seigneurs de guerre locaux, toujours dans l’objectif militaire de contrôler le pays.
Les amateurs de chanbara, genre cinématographique de cape et d’épée décliné ici en version «sabre», retiennent d’ailleurs son histoire dont l’une des figures emblématiques est le très célèbre Nobunaga Oda. Nobunaga était un guerrier japonais connu comme un des plus importants unificateurs du Japon. Cette initiative de paix a été poursuivie plus tard par deux autres hommes forts de l’histoire japonaise de cette époque, Hideyoshi Toyotomi et Ieyasu Tokugawa, repris notamment dans la fiction primée Shogun.
La cour impériale japonaise voyait en Nobunaga un chef militaire capable de mettre fin aux guerres civiles et le nomma ainsi deuxième ministre, lui conférant l’une des fonctions les plus élevées du gouvernement de l’époque.
Ce seigneur ambitieux, désigné plus tard comme « daimyo démoniaque », s’installera dans le château de Gifu, connu sous le nom d’Inabayama-jō en 1567. La ville aurait été rebaptisée “Gifu” après son arrivée, selon ses influences auprès d’un moine zen de concepts chinois de prospérité et de sagesse. Gifu sera également connue dans l’histoire pour la bataille de Sekigahara (1600), dont l’issue transforma le pays avec la victoire d’Ieyasu Tokugawa et l’instauration de son shogunat, un gouvernement militaire féodal, qui durera plus de 250 ans.
du riz…au saké
Ainsi, lorsque vous dégustez du saké de Gifu, vous valorisez l’héritage des traditions mais vous plongez aussi au cœur d’une histoire vieille de plusieurs siècles. La riziculture fut importée du continent asiatique trois siècles avant J.C.
Le riz a occupé une des places essentielles de l’alimentation nippone, invitant la population locale à vivre au rythme des cultures des rizières et la récolte de cette céréale devenue sacrée.
Au printemps, les plants de riz sont mis en terre sous les prières des habitants pour de futures récoltes abondantes. A l’automne, la saison des moissons démarre, marquée par de nombreux festivals dont celui de doburoku : à cette occasion, les offrandes aux Dieux sont nombreuses pour remercier des cadeaux reçus de la nature.
Le saké japonais est ainsi une des offrandes principales, fruit du travail laborieux des habitants au cycle des saisons de l’année : on offre ce célèbre saké doburoku, très opaque et d’un blanc laiteux au moût non filtré.
concours de dégustation
Les producteurs de sakés de Gifu s’unissent pour faire connaître leurs produits au-delà des frontières en participant notamment à des concours de dégustation en France comme le Kura Master, se tenant chaque année à Paris. La brasserie de Gifu Yamada Shoten s’est d’ailleurs vue récompensée du Prix du Président en 2023.
La Fédération des Associations de Brasseurs de saké de Gifu se trouvait aussi en France le 21 octobre dernier au sein du renommé restaurant parisien la «Dame de pic» pour proposer à sa clientèle un menu de sept plats français accordés avec les sakés de six brasseries de Gifu.
formation au saké
De mon côté, j’ai eu l’honneur en tant que formatrice d’animer un séminaire à l’IFCO, une école destinée aux futurs sommeliers, en leur partageant la culture du saké, les ressentis à la dégustation et les caractéristiques uniques de la région de Gifu.
Les kuramoto présents à mes côtés pouvaient partager directement leur passion et leurs traditions qui font de chaque brasserie son identité propre, par ses usages du type de riz, de l’eau, du développement du kôji-kin, cette moisissure qui saccharifie l’amidon du riz en sucre pour ensuite pouvoir fermenter.
D’une transparence limpide à un blanc laiteux, toute la diversité des sakés y était représentée, fruit d’un travail ancestral long et minutieux de la main de l’Homme. C’est pourquoi le 4 décembre 2024, l’UNESCO a décidé d’inscrire le saké sur sa liste du patrimoine culturel immatériel de l’humanité. Cette reconnaissance permet de mettre à l’honneur l’importance de cette boisson nippone dans la société et aussi la culture japonaise.
le saké n’échappe pas à la tendance
Pourtant, entre deux dégustations, un maître brasseur me glisse que la consommation de saké a chuté fortement. La bière a conquis le cœur de la nouvelle génération japonaise détrônant la célèbre boisson nippone. Une histoire qui ressemble à celle de la France où les brasseries de bière ont soudainement fait leur apparition pour le plaisir des néo consommateurs en quête de fraicheur. Alors, la solution pour les brasseurs nippons est de se tourner vers l’export, à la conquête des Européens. L’histoire, la culture, le story telling pourront peut-être conquérir la fascination des Français….
Audrey
Image à la Une : © Ichiban Japan