Modestes, discrets… ces cépages seraient-ils l’avenir des vignobles ?

Opalor, aramon, carménère, douce noire, bouchalès, mauzac, des noms qui ne disent plus grand chose et pourtant…

Une centaine d’œnophiles et professionnels du vin réunis autour d’une thématique clé pour l’avenir viticole : comment valoriser les cépages « modestes ». Des invités d’honneur comme le microbiologiste Marc-André Selosse ou encore les Plageoles, une famille de vignerons du Sud-Ouest étaient au rendez-vous. Une table ronde sur l’avenir des cépages modestes, des témoignages d’experts et de vignerons, suivis de dégustations ont permis de valoriser cet héritage ampélographique.

Initié à l’origine par le journaliste de France Inter, Philippe Meyer, cet évènement est devenu un véritable pèlerinage pour les passionnés de la vigne et du vin qui s’attèlent à répondre aux nombreuses interrogations que nous nous posons : comment vont évoluer nos cépages ? Que va devenir notre patrimoine viticole ? Comment adapter nos pratiques ? L’agroforesterie est-elle aussi LA réponse ? Comment répondre au consommateur du vin de demain ?

De sylvestris à vinifera

Pour Marc-André Selosse, microbiologiste et professeur au Museum National d’Histoire naturelle, tout a commencé avec une vigne sauvage, cette liane qui vit en zones humides, qui s’étend et grimpe sur tout obstacle devant elle. L’Homme l’a domestiquée pour en faire un buisson de sol sec.

Dans la nature, les fleurs sont hermaphrodites tandis que la vigne sauvage présente des sexes séparés. Elle est devenue bisexuée par domestication. La vigne sauvage produit des grappes inconsistantes aux petites baies noires alors que la version domestiquée offre l’abondance de grosses baies juteuses. La version sauvage se reproduit par ses graines alors que l’humain l’a reproduit par bouturage.

Ce sont les pépins de raisins retrouvés grâce à l’archéologie qui ont permis de pointer la domestication de la vigne par l’Homme. L’essentiel des variétés qui se sont dispersées dans le bassin méditerranéen seraient originaires des Balkans. En résulte l’existence de deux centres de domestication distincts : caucasienne et levantine. Une catégorie intermédiaire aux pépins ambigus correspondrait aux modèles hybrides, entre la sylvestris (sauvage) et la vinifera (domestiquée). Elles viendraient de l’ouest et témoignent visiblement d’adaptations climatiques locales.

La diversité grâce aux mutations

Sur l’échelle du temps, on observe une population croissante de vignes domestiquées, aux côtés des vignes sauvages. La reproduction par les pépins est progressivement remplacée par le provignage (marcottage ou encore bouturage), nous amenant aujourd’hui à une estimation de 6 à 10 000 cépages dans le monde. Parmi eux, 12 seulement couvrent un tiers de la superficie viticole mondiale et 33 cépages en couvrent 50%.

Nous constatons une perte de diversité variétale de 93% en 80 ans aux USA. Cette tendance à la réduction variétale est connue dans le monde agricole général par les techniques de production standardisées explique le microbiologiste.

On veut du sexe à la vigne

Quel constat alarmant alors que ce sont les mutations qui font la diversité des cépages de demain dont l’avenir n’est pas tout rose. Entre les attaques de l’oïdium et du mildiou, les aléas climatiques, les problèmes sanitaires de la vigne et des maladies introduites, l’enjeu est de taille pour la vigne. Face à un climat changeant aux dates de véraison avancées et à la perte grandissante d’acidité, il faut retrouver de la diversité et des marges de manœuvre en explorant la diversité clonale.

La diversité des cépages offre une cinquantaine de jours de véraison avec de grandes différences de tolérance à la chaleur selon les derniers chiffres de l’INRAE. Les problèmes d’adéquation de croissance au climat et d’adaptation aux maladies doivent être solutionnés par l’exploration des reproductions sexuées des vignes : on veut le retour du sexe pour la vigne, selon le microbiologiste !

Comme des gènes néandertaliens

Valoriser ces cépages modestes, c’est offrir une adaptation des plantes à leur environnement en mutation rapide. Preuve en est avec l’observation d’une parcelle en Alsace à Wintzenheim où le cépage opalor d’un côté, ancien cépage, a nécessité 90% de traitement en moins que la parcelle voisine de pinot blanc. Nous-mêmes humains, possédons 2% de gènes néandertaliens, fruits d’une évolution. Nous sommes tous des hybrides avec une diversité génétique. La vigne n’a pas cessé d’évoluer, elle est le fruit d’un métissage démontrant son adaptation continue à un environnement changeant. Nos cépages n’en sont que des instantanés, figés pour un temps conclue le scientifique.

Alors doit-on laisser nos cépages suivre le chemin de l’Histoire des mutations génétiques pour sauver le vignoble ou se limiter à la voie du commerce et de sa standardisation ?

Les 4 défis du vigneron

Retours d’expériences de plusieurs vignerons sur ces cépages anciens.

La résistance de la vigne aux maladies est un défi majeur et les anciens cépages, caractérisés par des sensibilités différentes, offrent souvent une meilleure adaptation de la plante. L’ensemble du vignoble de Savoie a été ravagé par l’oïdium sauf la douce noire : preuve d’une meilleure tolérance ?

La résistance à la coulure (absence de floraison) est un autre fléau auquel doit faire face le vigneron. A Bordeaux, Jean-Baptiste Duquesne, du château Cazebonne, a réintroduit le cépage carménère qui a failli disparaitre du vignoble, très sensible aux conditions climatiques pendant la floraison. Pourtant, il peut produire aussi de l’excellence. Preuve en est au Chili avec des conditions climatiques optimales où ce cépage donne le meilleur de lui-même. Notre travail au conservatoire est d’identifier les individus aux fortes sensibilités précise Taran Limousin ingénieur à l’Institut Français de la Vigne et du Vin.

La résistance aux stress climatiques peut être solutionnée par la plantation de cépages résistants à la sécheresse : l’assyrtiko sur l’île de Santorin ou encore le cinsault et le bourboulenc dans le Languedoc ont fait leur preuve.

Les gels tardifs du printemps après le débourrement posent chaque année de plus en plus problème et c’est là que les cépages modestes peuvent être la solution : par leur débourrement tardif comme le petit verdot, le tannat, par une résistance naturelle et par la production de bourgeons secondaires comme ceux du jurançon noir, assurant une plus grande résilience.

Les cycles se sont avancés de 3 semaines, en ajoutant une problématique de gel du 20 au 30 avril…Ce n’est plus un cycle tous les 10 ans mais une année sur deux impactant mon modèle économique, témoigne Jean-Baptiste Cordonnier, ingénieur agronome et vigneron au Château Anthonic dans le bordelais. 20 jours d’écart entre le cépage le plus tardif et le plus précoce, c’est ce sur quoi nous pouvons jouer dans la vigne et la sélection du cépage.

La tendance des nouvelles générations à consommer des boissons faibles en alcool ou sans –les no-low- est un autre défi. Là aussi, les cépages peu connus du consommateur peuvent pourtant afficher un taux d’alcool entre 10 et 11% comme l’a fait déguster le domaine Daumas en Languedoc avec le cépage aramon, donnant des vins frais et équilibrés.

Le couple cépage/terroir

Il faut remonter l’histoire pour comprendre ces évolutions. À partir de la période d’entre-deux guerres et plus encore après la Seconde, les viticulteurs étaient payés en fonction du degré d’alcool potentiel (au kilo degré). Les cépages anciens ont été peu à peu abandonnés car peu sucrés et donc peu rémunérateurs.

Pourtant, aujourd’hui ce sont ces cépages qui peuvent répondre à la nouvelle tendance des no-low, offrant des vins à 11% d’alcool tout au plus comme l’alicante bouschet, le cinsault… A Bordeaux, le bouchalès ne dépasse pas les 12% en année chaude. Vendanger plus tôt n’est pas la solution mais privilégier un couple cépage/terroir pour une maturité à petit degré est une piste à explorer.

Agroécologie, la fertilité ne s’achète pas

Pour obtenir le meilleur de ces cépages, le choix de pratiques culturales adaptées et réfléchies comme l’agroécologie influencera les réactions de la vigne. La réflexion devra porter sur la vie du sol et sa biodiversité mais aussi sur des pratiques douces comme la taille et physiologiques, assurant un bois vivant et des bourgeons qualitatifs.

Pour Alain Canet, l’agroforesterie n’est pas nécessairement une fin en soi : si nous plantons des arbres dans une parcelle de vignes sans réflexion en amont, cela ne fonctionne pas. Il faut anticiper la symbiose que l’on souhaite créer en taillant par exemple les arbres selon une angulation pour diriger les rayons du soleil vers la vigne. Observer les interactions entre les espèces et le développement des systèmes sans oublier que la vigne est une liane qui a besoin de s’allonger et cohabiter avec les arbres.

N’oublions pas que son milieu originel est humide.

L’observation des formes des arbres permet de travailler au service de la culture qui se situe dessous, intégrant plus ou moins de lumière, chaleur et humidité. C’est en choisissant la bonne espèce que l’on adaptera sa culture, activant plus ou moins les champs mycorhiziens sous la vigne.

L’arbre comme outil de production

Les plantes bio-indicatrices dans une parcelle sont là sous nos yeux pour passer des messages sur la fertilité de nos sols. Ecoutons-les. Si un frêne pousse au milieu des vignes, c’est que la vigne a soif et ne se suffit pas à elle seule.

Jean-Baptiste Cordonnier a expérimenté un projet de plantation d’une centaine de mètres de haies par hectare, soit 4 km implantés. Il obtient un réseau cohérent, interconnecté, suivant les fossés et les ruisseaux, formé même parfois naturellement. Il a modifié sa manière de planter : sur 20 rangs de vignes, deux rangs sont supprimés pour laisser place aux arbres, soit 9 % de pieds de vignes manquants compensés par une augmentation de densité. Et en retour d’expérience, il conclue sur les couverts végétaux semés entre les rangs de vignes pour leur dynamisme « vivant » et apport en carbone et azote : « Attention, les couverts végétaux sont incompatibles avec la vigne sur un aspect : son jeune âge ! J’ai réussi toutes mes plantations sur ma carrière sauf de 2018 à 2021 ! J’en reviens donc à l’adage : un binage vaut deux arrosages et pas de couverts végétaux pour les jeunes plants. Il est revenu à des surfaces annuelles plus raisonnables pour ne pas tomber dans l’envahissement et la difficulté de sa gestion, n’oubliant pas que le couvert végétal augmente aussi le risque de gel.

Alors, l’agroforesterie, ça fonctionne ? Oui mais pas sans réflexion…

Mauzac, le cépage aux 7 couleurs

Robert et Bernard Plageoles, ainsi qu’Alice David, du château de Terride vignerons du Sud-Ouest, rappellent l’importance d’observer notre environnement pour assurer la transmission de notre patrimoine.  Robert Plageoles se rappelle avoir planté avec son père un cépage méconnu, le mauzac rouge. Il offre un taux alcoolique faible et garde sa fraicheur.

Après plusieurs expérimentations, la famille a créé une pépinière de mauzac pour conserver la diversité et la richesse de ce cépage, qu’il soit rose, roux, noir, jaune. Les mauzac blancs permettent la vinification de deux vins -la méthode gaillacoise et le Gaillac premières côtes, moelleux- tandis que les rouges sont arrivés plus tardivement dans les années 1970.

La famille Plageoles a remis en culture toutes ces couleurs de mauzac, sauvant parfois quelques pieds comme le mauzac jaune. Ces mauzacs sont le résultat de mutations et offrent une grande possibilité de vinifications. C’est notre chenin à nous… ! Comme les ligériens vantent la diversité de facettes de leur cépage phare, nous faisons la même chose avec le mauzac qui est notre cépage roi.

Alice David, du château de Terride, hérite d’un domaine familial classique, planté en 1968 avec une majorité de merlot. Eduquée pendant la période Parker aux vins de Bordeaux et de Bourgogne, elle se réjouit de voir le retour des cépages mauzac, loin de l’œil et viognier. Le mauzac est un cépage formidable à la grappe dure, qui se transporte bien en caissette et ne murit pas trop. Depuis la crise phylloxérique, Alice souligne que l’on s’est interdit trop de choses, de choix et de pratiques. Récupérer des plants de vignes et les planter, essayer de mélanger des cépages. Voilà sa recommandation !

A noter que, pour faciliter la transmission historique des cépages anciens, Jeanne Galinié-Yerre, historienne des cépages oubliés, travaille sur un projet de catalogue des cépages, répertoire qui devrait atteindre 30 000 entrées dans le cadre du programme CepHistoire.

Aramon, l’oublié du Languedoc

Le domaine Daumas, situé à Marsillargues dans le Languedoc défend un cépage longtemps décrié, l’aramon. Il était produit en volume, jusqu’à 250 hectolitres à l’hectare, couvrant 150 000 hectares. Consommé en masse en vin de soif, il faisait la vertu de toute une économie. Epoque où le vin coulait à flot, le vignoble était même surnommé « aramonie ». Dans les années 1960, la cave coopérative de Marsillargues était reconnue comme celle traitant le plus grand volume de raisins en Europe. Le grand-père de la famille Daumas a su garder l’aramon sur deux parcelles.

Visuellement, un pied d’aramon est facile à reconnaitre par ses gros grains en abondance sur le pied de vigne. Il est décrit comme le plus fertile du monde par l’ampélographe Pierre Galet. Les vignerons disent même de lui qu’il n’y aurait pas besoin de sécateur pour le récolter, le grain venant aisément en main.

Mais, son point faible, c’est justement la fragilité de sa peau, qui peut être tournée en avantage avec ses baies juteuses et ses faibles tanins (pour les réfractaires à l’astringence).

L’autre avantage démontré par ces cépages anciens est cette capacité de résistance aux pressions climatiques : le Languedoc a vécu des records de température en 2009 à 45,9 degrés face auxquels l’aramon a su faire front. L’aramon se complait des faibles quantités d’eau que lui offre le ciel du Midi et serait donc parmi les cépages les moins impactés par les diminutions de précipitations et les augmentations de chaleur à venir.

Lavaux : le vignoble arrosé à l’eau d’Evian

En vitrine : le vignoble suisse de Lavaux inscrit au patrimoine mondial de l’UNESCO, en présence de ses représentants :Blaise Duboux, de Vincent Chollet et Vincent Bailly. Connu pour ses pentes à plus de 45%, le Lavaux se vante de ses 3 soleils : l’astre du jour, le lac Léman par ses réverbérations et sa thermorégulation et les murs de soutènement aux 10 000 terrasses.

Voilà 730 hectares d’un seul tenant, plantés à 75% de chasselas et 10% en pinot noir sur 3 appellations : AOC Lavaux et deux grands crus (Dézaley et Calamin). Le vignoble se vante d’avoir hérité un cépage ancien qui a failli disparaitre, le plant robert. Un marchand de cépages aurait passé la nuit dans la région de Lavaux lorsqu’un plant lui aurait été volé. Venu d’Italie, le plant robert (ou plant robez ou plant robaz) tient son nom du mot italien rubare : voler.

Dans les années 1960/70, il ne restait plus qu’une vigne dans le vignoble. Un pépiniériste suisse décide de la sauver et de la reproduire. Les recherches ont finalement montré que c’était une variété de gamay.

Il donne des vins avec une plasticité comme le chasselas, à la robe violacée cristalline, une légèreté et une chair profonde peu tannique, tant recherchées aujourd’hui.

Il offre un coté sauvage aux nuances de cerise et de poivre. C’est Henri Chollet du domaine éponyme, qui a contribué à son développement.

A l’heure où les scientifiques s’affairent à développer de nouveaux cépages davantage résistants, n’est-il pas judicieux de chercher la solution dans le passé, des retours d’expériences de nos aïeux ?

Audrey

Image à la Une Château Anthonic crédit Nathalie Coipel

 

 

Ecrit par Audrey DELBARRE
--------------------------------------------------------------- Passionnée par l’écriture, Audrey est une amatrice de vin joviale et enthousiaste, guidée par la richesse du contact humain ! C’est à l’Académie du vin du Cap en Afrique du Sud qu’elle affine ses connaissances dans les vins puis développe son inspiration à partir de ses rencontres et voyages dans les vignobles du monde.... Titulaire du diplôme WSET 3, elle se consacre à l’organisation de séminaires et formations sur le développement des sens et des émotions grâce à l'œnologie.
Catégories : le métier

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