Allait-on caviarder l’article de Joël Caré parce qu’il dépasse les 2000 mots ?
J’ai fortement insisté auprès de l’administrateur pour qu’on préserve son intégrité car la nature de son sujet oblige à être plus explicatif, plus pédagogique que d’ordinaire et évidemment cela consomme d’avantage d’espace. Je voudrais ajouter que j’ai rencontré Joël Caré, jardinier-vigneron à Patrimonio cet automne ; j’ai vu son matériel incroyable -j’ai cru même entendre les petits chuintements de la micro-vinification en cours– et j’ai apprécié son accueil chaleureux dans le cadre enchanteur de la Conca d’Oro en Haute-Corse. En décrivant son expérience inédite, Joël va certainement susciter beaucoup de curiosité aussi j’invite tous ceux qui voudraient en savoir davantage sur ses expérimentations à visiter son blog.
Jean-Philippe
Salut à tous les passionnés de vin et de la vie ! Aujourd’hui, je souhaite vous emmener avec moi dans cette magnifique aventure de la création de ma toute première cuvée maison, 100 % naturelle élaborée l’été 2024 et actuellement en cours d’élevage dans notre mini cave d’une dizaine de mètres carrés au rez-de-chaussée de notre maison. Je comprends mieux maintenant l’intérêt des maisons vigneronnes. Quel bonheur de descendre de chez soi à la cave pour admirer son vin tous les matins.
Ce projet me tient à cœur depuis de nombreuses années car il est non seulement l’expression de ma passion pour le vin mais aussi un hommage à Dame Nature. Mon envie de produire du vin remonte à mes années passées en Nouvelle-Calédonie. C’est là, lors de grandes tablées avec des amis, entourés de rires et de bonnes bouteilles, que j’ai compris que faire mon propre vin deviendrait un jour une évidence. Lorsque nous avons quitté l’île, ce projet m’a accompagné. En hommage à cette période, j’ai décidé d’appeler notre première cuvée La Number One, un clin d’œil à la fameuse bière calédonienne Number One, que nous partagions si souvent avec nos amis là-bas.
UN MICRO-VIGNOBLE PLANTÉ DANS NOTRE JARDIN
Début 2024, j’ai planté un micro-vignoble d’une centaine de mètres carrés sur une parcelle de 700 m2 autour de notre maison située dans le village de Patrimonio connu pour abriter une quarantaine de vignerons emblématiques comme la famille Arena, Guidicelli, Marfisi…et bien sûr Patricia et Jean-Baptiste Ferrandi du Clos U Suale, deux infirmiers fraichement reconvertis (2019) qui m’ont accueilli à bras ouvert lors d’un stage en 2022.
Mon micro-vignoble est entouré de figuiers, pruniers, kakis et d’un verger attenant qui regorge de citronniers quatre saisons, clémentiniers, orangers, le tout dominé par un magnifique chêne. Après avoir ameubli le sol à la main ou plutôt à la grelinette, recouvert le sol de fumier de chèvre et de BRF (Bois Raméal Fragmenté) à l’automne 2023, j’ai planté dans le futur micro-vignoble deux caroubiers, deux goyaviers, deux pêchers de vigne et aussi juste à côté, un grenadier, un néflier du japon, deux cerisiers, quatre feijoas et bien sûr un incontournable en Corse : un olivier centenaire. Le tout, issu de la pépinière arboricole de Ranfonu du Sud de la Corse en bio et en respectant les courbes de niveau- les keylines – afin d’optimiser l’accès à l’eau dans le sol par les arbres.
En mars 2024, 60 pieds de vermentinu et 40 pieds de nielluccio sont plantés en haute densité (1mètre d’écart entre les pieds) avec l’aide de Tom, un de nos garçons. Il va falloir attendre au moins jusqu’en 2026 pour récolter des raisins. Moi qui ne suis pas d’un naturel patient….
Alors, je me suis retroussé les manches et j’ai opté pour de l’achat de raisin bio du magnifique cépage vermentinu afin d’élaborer ma première cuvée de vin blanc.
SUIVEZ MOI PAS À PAS, S’IL VOUS PLAIT
Je vous propose de me suivre dans ce challenge de produire « une micro-cuvée de vin naturel à la maison » destinée à une consommation familiale et bien sûr entre amis. Le tout en préservant sa santé et celle de la planète.
Je tiens à vous rassurer : je ne suis pas un « écologiste intégriste ». Mon intention est de partager mon expérience et mes questionnements autour de la production d’un vin à la fois bon au goût, bon pour notre planète et pour le vigneron qui le produit.
LA VITICULTURE GRANDEUR NATURE
Il est désormais admis que 80% de la qualité d’un vin provient de la qualité du raisin qui rentre à la cave et par conséquent la manière de conduire sa parcelle de vigne. Pour cela, je m’inspire du savoir-faire des anciens, que l’on retrouve dans des ouvrages comme « Vivre avec la Terre » de la Ferme du Bec Hellouin ou encore dans « Le Jardinier Maraicher » de Jean-Martin Fortier.
Ce sont des sources inestimables de connaissances en permaculture, maraîchage sur sol vivant, agroécologie etc…que nous pourrions résumer en une phrase : Comment cultiver en harmonie avec la nature ?
Ces dernières années, j’ai découvert des conférences passionnantes sur YouTube, notamment celles de Ver de Terre Production et des époux Bourguignon, qui sont des pionniers dans la préservation des sols et de la biodiversité. Ces approches sont une partie de la solution pour lutter contre le dérèglement climatique notamment avec le « non travail » du sol. Le film Mondovino (2004) de Jonathan Nossiter a été un véritable déclic pour moi et aussi bien sûr le travail de Nicolas Joly, pionnier de la biodynamie dans son domaine angevin la Coulée de Serrant.
L’objectif est clair : produire une cuvée 100 % naturelle, sans aucun intrant chimique, à chaque étape de la vigne à la cave. Produire un vin qui nous ressemble : si possible fruité et gourmand, frais et surtout sans mal ni prise de tête.
S’ÉQUIPER EN MATÉRIEL
Le matériel de vinification est un investissement conséquent, surtout quand on vit sur une île comme la Corse. J’ai opté pour un kit de vinification provenant d’Italie du fournisseur Polsinelli (Kit-Wine 500) pour un coût total de 1 500 euros, transport inclus.
Ce kit comprend un pressoir manuel, une cuve plastique de macération, une pompe électrique, une éprouvette avec mustimètre et un œuf en polyéthylène de 60 litres de la marque Spiedel, parfait pour débuter en vinification. Ce choix est à la fois pratique et symbolique car l’œuf représente une forme utilisée pour ses qualités naturelles (fermentation organique basée sur le nombre d’or sans coin, ni arête) et sa grande perméabilité à l’oxygène. Délicatesse et complexité des saveurs.
Estelle, ma complice depuis plus de 30 ans et nos deux fils Hugo et Tom ont participé aux vendanges et au processus de vinification, ce qui rend cette première cuvée encore plus spéciale. Tout a été fait à la main : les vendanges, le tri des raisins, le foulage et même l’éraflage manuel. Ce lien avec la matière première, le raisin, est essentiel pour moi.
LES ÉTAPES-CLÉS DE MA MICRO-CUVÉE
Les vendanges. Cette année je n’ai pas pu compter sur le raisin de mon micro-vignoble dans notre jardin, encore trop jeune, alors un ami vigneron m’a fourni du raisin blanc bio (une centaine de kilos que nous avons récolté sur pied), du cépage Vermentinu. J’ai pu mesurer la maturité avec un réfractomètre et surtout échangé avec le vigneron qui connait bien sa parcelle pour connaître selon lui, le jour idéal de la récolte.
Effectués à la main, tôt le matin (vers 5h30) du 20 août, jour de mon anniversaire – elle est pas belle la vie ? Vu la chaleur au mois d’août, nous y sommes allés tous les quatre, en famille, avec nos sécateurs et nos caissettes dans un cadre idyllique au pied de la Conca D’Oro. Que de bons souvenirs…sauf notre super Golden Retriever Rio manquait à l’appel car il n’y avait plus de place dans le coffre !
Le foulage et la macération.
De retour à la maison après quelques minutes de route dans les vignes, nous étions censés trier les grappes mais les baies de raisin étaient tellement belles que nous n’avons eu que quelques feuilles à enlever.
À défaut de chambre froide, nous avons stocké les raisins 24 heures au frigo, avant de passer au foulage le lendemain. Cela permet d’éclater les baies et libérer le jus de goutte, avant de passer à la macération. Certains préfèrent réaliser des macérations en grappes entières mais vu mes petits contenants, j’ai préféré opter pour le foulage.
Sans groupe de froid ou contenant réfrigéré qui permet de gérer les températures alors que nous étions en pleine période de canicule j’ai improvisé avec des solutions « fait maison », comme l’utilisation de pains de glace et la climatisation de la pièce.
La macération a duré trois jours dans l’œuf avec les « fesses dans l’eau » et une température moyenne de 25 degrés, pendant lesquels les peaux, les rafles et les pépins ont apporté des tanins et des arômes au moût.
Le pressurage et la fermentation.
C’est en discutant avec les collègues vignerons que j’ai compris que je ne ferai peut-être pas le vin que je voulais cette année parce que je n’étais pas en mesure de gérer la température à l’intérieur de l’œuf…. en l’occurrence à la baisse. Pour la macération, il aurait fallu être plutôt sous les 10 degrés et la fermentation plutôt entre 20 et 24 degrés.
Le moût a ensuite été pressé avec le pressoir manuel, ce qui a permis de séparer le jus des matières solides. Nous avons gardé une partie du jus pour la fermentation dans l’œuf. Sans levures ajoutées, la fermentation s’est faite naturellement grâce aux levures indigènes présentes sur les baies de raisin.
Pendant cette étape, je surveillais attentivement les températures (autour de 25 degrés) et la densité du moût au mustimètre pour connaître le degré d’alcool. Bien sûr, on a gouté à plusieurs reprises et on était super heureux d’observer cet excellent jus de fruit devenir progressivement du vin. Au fil des jours, la densité a progressivement diminué passant de 1080 sous les 1000, signe que la fermentation se terminait. En observant le jus, les bulles et leur crépitement se sont interrompues. J+14 : il est temps de passer au débourbage et à l’élevage…sans oublier de goûter bien sûr !
Le débourbage, c’est-à-dire l’élimination des lies grossières et des particules en suspension, a été réalisé manuellement en filtrant le jus (au chinois) que nous avons transvasé avec Estelle dans des dames-jeannes avant de les remettre dans l’œuf nettoyé au préalable à l’eau chaude.
L’élevage.
C’est parti pour la phase d’élevage ! Du fait des températures un peu trop élevées pendant la macération et la fermentation, le vin est plus sur un profil tendu et minéral (nous l’avons goûté avec mes parents le 14 septembre puis le 15 octobre pour l’anniversaire d’Estelle). Si la fermentation malolactique intervient dans un second temps et tout aussi naturellement, cela devrait arrondir le vin. Tout comme les plusieurs mois d’élevage dans l’œuf même si la matière « plastique » est neutre par rapport à une barrique bois qui donnerait un goût beurré, toasté. Pendant cette période, je dois éviter au maximum le contact avec l’oxygène pour ne pas être sur un profil de vin oxydé. Un des avantages de l’œuf en polyéthylène, c’est qu’il n’engendre pas de micro-oxygénation comme les barriques en bois, d’où la nécessité de faire régulièrement une remise à niveau du contenant avec du vin…que je n’ai pas. Ce qu’on appelle l’ouillage.
LA CUVÉE « NUMBER ONE » POUR NOËL ?
Nous avons pris soin de nettoyer à l’eau chaude et à l’écouvillon des bouteilles de vin que nous avions dégustées auparavant. La mise en bouteille est prévue pour Noël si le vin nous convient. Nous travaillons sur une étiquette du Domaine Caré-Richeux (le nom de jeune fille d’Estelle afin qu’il perdure aussi) et allons profiter de la présence de la famille pour le goûter à nouveau ; sinon il repartira en élevage.
Quoiqu’il en soit, ce sera l’aboutissement de plusieurs mois de travail, de stress, de bonheur de voir les différentes étapes d’élaboration du vin se dérouler sous nos yeux et finalement ne pas faire de vinaigre ! Surtout dans ces conditions. Pour cette première cuvée, je m’attends à produire environ cinquante bouteilles qui seront non seulement un cadeau pour les amis et la famille, mais aussi le symbole d’une aventure personnelle et familiale riche d’enseignements, du plaisir d’être ensemble et d’accompagner la nature créatrice d’un breuvage qui séduit les hommes et les femmes depuis plusieurs millénaires.
Joël