Sur le cours Lafayette à Toulon les premières grenades ont fait leur apparition sur les étals des fruits et légumes – encore un peu cher, à 6-7€ le kilo – en provenance d’Espagne ou d’Israël. Les grenades provençales arriveront plus tard. Voilà un fruit bien étrange ; ce n’est pas mon préféré, je dois le dire : trop compliqué à découper, trop de graines, mais voilà un petit tuto pour s’exercer à sa découpe.
J’adore son jus sucré, acidulé et je l’aime d’autant plus que je sais maintenant qu’il fait un bien fou à mon corps avec sa profusion de vitamines et antioxydants. Ce fruit d’hiver est considéré comme exotique par les consommateurs. Pourtant c’est bien un produit local, de saison et excellent pour la santé précise Gautier Guigon, journaliste à Var Matin. Il voit un bel avenir à la culture des vergers de grenades comme activité de diversification des arboriculteurs et des viticulteurs. Eh oui ! Voilà le lien avec Génération Vignerons. Alors que les autorités nous annoncent un plan d’arrachage de vigne à 100 000 hectares, voyons comment les viticulteurs pourraient se tourner vers la grenade comme culture complémentaire.
LA GRENADE SYMBOLE DE FERTILITÉ ET DE RICHESSE
Le grenadier, l’arbre qui produit les grenades, est originaire de la région de l’Iran et de l’Afghanistan où il est cultivé depuis plus de 5 000 ans. De là, il s’est propagé vers d’autres régions du monde, y compris la Mésopotamie, l’Égypte et l’Inde.
Mais c’est surtout à Carthage que la culture de la grenade fut maîtrisée- d’où son nom latin Punica granatum. Elle était associée à la déesse grecque de la fertilité, Déméter, en étant souvent représentée dans l’art et la mythologie. Dans la tradition juive, la grenade est un symbole traditionnel du Nouvel An juif, Rosh Hashanah, et de la prospérité.
La tradition chrétienne n’est pas en reste en immortalisant la grenade dans le célèbre tableau de Boticelli (1487) à découvrir à la galerie des Offices à Florence. La grenade a toujours été un symbole de fertilité et de richesse en raison de ses nombreuses graines. On évoque souvent ses 365 graines par fruit, chacune logée dans sa petite arille, pour y voir un lien direct avec le cosmos.
La grenade remplie de grains, l’analogie est évidente entre le fruit et l’arme de guerre, connue sous le nom de « bombe à main » qui disperse mortellement ses petits fragments de métal et de poudre explosive. L’histoire et la civilisation de la grenade sont intimement liées à celles de la vigne et du vin. Pour ceux qui voudrait en savoir davantage sur ce fruit « civilisationnel » rendez-vous sur le site du syndicat France Grenade, informatif, engagé et militant pour le renouveau de la grenade française.
Je retiens que le grenadier est un arbuste robuste répandu sur le pourtour méditerranéen qui peut vivre centenaire et donne des fruits dès la 3ème année. Il a de faibles besoins en eau, supporte les grosses chaleurs. Il est pour l’instant peu sensible aux ravageurs et autres bioagresseurs dès lors qu’il n’est pas cloné industriellement comment c’est le cas en Turquie notamment.
reconversion d’une famille vigneronne
Vous ne connaissez probablement pas la famille Saleilles, de Bagnols- sur-Cèze, il y a le père Jean-Louis, son fils Thomas et son épouse Christine et maintenant Robin le petit-fils. Une famille de viticulteurs installée depuis des lustres dans le Gard en AOC Côtes du Rhône. On voyait déjà dans les années 2010 qu’on allait vers une surproduction en rouge avec des cours à la baisse, alors j’ai voulu me diversifier dans la grenade, me dit Thomas.
La famille Saleilles a réussi, au prix de grosses difficultés surmontées, à se faire un nom avec la Grenattitude et développer un début de filière. Pas de marché, pas d’organisation de la profession alors que la grenade était très répandue en Provence. J’ai tout appris sur le tas.
Aujourd’hui, la Grenattitude exerce trois métiers : producteur de grenade, pépiniériste et transformateur. On a planté 14ha de grenadiers, soit 12 000 plants. Pour ceux qui s’intéressent au business plan de la grenade, sachez que le grenadier donne 12-15 tonnes de fruits à l’hectare (20 à 30kg par arbre), la récolte se faisant à la main entre octobre en décembre. J’ai cru comprendre que le négoce lui achète entre un et trois euros le kilo de fruit selon la qualité. Insuffisant pour la rentabilité, aussi la famille Saleilles s’est tournée en amont vers l’activité de pépiniériste et en aval vers la transformation du fruit qui apporte de la valeur ajoutée. On utilise notre pressoir à raisin qu’on a bricolé un peu et on sort un jus livré directement à l’embouteilleur qui lui assure la pasteurisation, la mise en bouteille, l’étiquetage. C’est ce qu’on aimerait faire nous-mêmes dans un avenir proche.
D’autres produits de transformation sont élaborés comme la mélasse ou le velours de grenade un concentré de jus de grenade cuit largement utilisé comme condiment au Moyen-Orient. Je me risque à une question de béotien : Faîtes-vous du vin de grenade ? qui fait rire M. Saleilles : bien sûr, on a essayé mais la fermentation est très difficile à maîtriser.
Pour ceux qui seraient intéressés, le site Armenian Brandy & Wine propose : « les vins de grenade des marques Armenia et Yerevan qui sont des assemblages de vin rouge et de jus de grenade fermenté».
Thomas Saleilles est de plus en plus sollicité par des vignerons, des arboriculteurs qui veulent en savoir davantage sur la grenade : je ne veux pas trop faire rêver les gens, mais pas décourager non plus les gens motivés. Y en aura-t-il suffisamment pour développer la filière ?
EXPLOSIVE LA GRENADE !
La grenade doit frapper fort pour accrocher l’œil du consommateur. Comme ce jus proposé par Biocoop et transformé par La Grenattitude avec une argumentation (label Bio Équitable en France) plutôt cash : Chez Biocoop nous pensons relocalisation. Plutôt que d’aller chercher nos fruits en Turquie ou en Iran, nous avons fait le choix des grenades françaises. Elles parcourent 10 fois moins de kilomètres car elles sont cultivées dans le Gard.… il faut 3 kilos de fruits pour une bouteille de jus.
Il reste un obstacle de taille, c’est l’attitude des laboratoires pharma et cosmétologiques qui ne jouent pas le jeu de la grenade française, ce que nous confirme le syndicat. Pour des raisons évidentes de coût, ils s’approvisionnent principalement en variété Wonderful, la variété californienne de référence ou l’espagnol Mollar de Eiche. Mais le label France Grenade trace son chemin.
UN SUPER-ALIMENT
L’enjeu des marchés de cosmétologie et du complément alimentaires sont énormes. Les labos Typology (Paris) ou Nutrixeal font l’article des bienfaits de la grenade – en jus ou en extraits. «Le jus de grenade étant riche en antioxydants (anthocyanes, catéchines, acide ellagique et tanins), il contribue à neutraliser les radicaux libres en leur cédant des électrons pour les stabiliser. Cette action contre l’oxydation cellulaire permet d’éviter le vieillissement prématuré de la peau».
Mais le plus fervent défenseur de la grenade est probablement le gastro-entérologue William Berrebi, auteur du podcast Merci Docteur ! qui déclarait dans le Parisien récemment : La grenade est l’alliée de votre microbiote…donc de votre santé ! Il nous invite à ne pas confondre le jus de grenade et le sirop de grenadine. Ah ! le lait-grenadine de mon enfance, ma petite madeleine à moi.
Jean-Philippe
Image à la Une : crédit Jean-Pol Grandmont – Own work, CC BY