Lorsqu’il se rend chez son caviste, l’amateur de whisky peut s’interroger quant au fait de choisir un whisky japonais plutôt qu’écossais, et même se demander s’il ne se laisserait pas tenter par un whisky suédois, indien ou français. Une fois son dévolu jeté sur une bouteille, se demande-t-il en revanche s’il doit en déguster le contenu ou la conserver en vue de la revendre plus tard en espérant obtenir une plus-value ?
Le whisky, notamment le single malt écossais, est en effet devenu depuis une dizaine d’années un véritable actif d’investissement, avec ses propres places de marché et indices dédiés, dont certains ont plus que doublé sur les cinq dernières années.
Cet intérêt croissant nous a incités à étudier les déterminants de sa valeur sur le marché de l’investissement. Si de telles recherches peuvent aider un collectionneur à gérer efficacement son stock de bouteilles, elles permettent aussi de mieux comprendre les mécanismes de la réputation dans l’industrie d’un spiritueux qui compte de plus en plus de pays producteurs.
Âge et pureté
Étant donnée la relative jeunesse de ce marché d’investissement, il nous a semblé pertinent de mener deux séries d’analyses : une première visant à déterminer les caractéristiques des bouteilles les plus valorisées, une seconde ayant pour finalité d’évaluer si les investisseurs sont influencés par les notes de dégustation publiées par des experts.
Deux premières études, parues dans le Journal of Wine Economics et dans Applied Economics Letters, nous ont permis de montrer que les whiskies les plus valorisés sont âgés, bruts de fûts, c’est-à-dire n’ayant pas subi d’adjonction d’eau à la sortie du tonneau, et embouteillés par les distilleries les plus réputées.
Enfin, une troisième étude, publiée dans le Journal of Wine Economics, nous a permis d’observer que les notes de dégustation d’experts, telles que celles fournies par l’auteur de la « bible du whisky » Jim Murray, ne sont d’aucune utilité pour l’investisseur ayant déjà une bonne connaissance de cette industrie.
L’étude des whiskies d’investissement permet tout d’abord de mieux comprendre l’impact de l’âge d’un whisky sur sa valeur en nous amenant à différencier deux variables d’âge : l’âge du whisky et l’âge de la bouteille.
Lorsque vous achetez chez votre caviste un 20 ans d’âge embouteillé en 2015, cette mention d’âge fait référence à la période de vieillissement du whisky en tonneau : c’est cette étape de maturation qui conférera au distillat certaines de ses propriétés organoleptiques (goût, odeur, couleur, etc.).
Cela étant dit, l’âge du whisky n’est pas l’âge de sa bouteille. Une fois embouteillé, contrairement à un vin, il cessera de vieillir : le 20 ans d’âge que vous n’avez toujours pas ouvert depuis son achat est toujours aujourd’hui un 20 ans d’âge avec des qualités gustatives inchangées. Aujourd’hui, en 2021, votre bouteille est donc âgée de 6 ans mais contient toujours un whisky de 20 ans d’âge aux propriétés identiques.
La réputation des distilleries
En l’occurrence, sur le marché de l’investissement, nous observons que la valeur d’un whisky est d’autant plus élevée que son âge, et dans une moindre mesure, l’âge de la bouteille sont élevés. Par conséquent, quitte à devoir faire un choix entre deux actifs, il vaut mieux investir dans une jeune bouteille d’un whisky âgé plutôt que dans une vieille bouteille d’un jeune whisky.
Qu’est-ce qui explique ensuite que deux bouteilles de 20 ans d’âge embouteillées toutes deux en 2015 présentent des valeurs différentes sur le marché de l’investissement ? La réputation de leurs distilleries respectives.
Si nos premiers travaux ne nous ont pas encore permis d’identifier les facteurs explicatifs de cette réputation, nous avons en revanche pu montrer le caractère déterminant de l’implication de la distillerie sur l’ensemble de la production, de la distillation jusqu’à l’embouteillage.
En effet, l’industrie du whisky peut être scindée en deux catégories d’acteurs. D’un côté, il y a les distilleries, qui transforment des céréales en whisky, et qui peuvent vendre ensuite elles-mêmes leurs bouteilles. De l’autre, il y a les embouteilleurs indépendants, qui achètent des tonneaux de whisky à des distilleries, pouvant décider ensuite de durées de maturation ou de conditions de stockage de tonneaux différentes de celles qui auraient été choisies par les distilleries.
Les embouteilleurs indépendants vendent ainsi des bouteilles dont l’étiquette mentionne le nom de leur propre marque et éventuellement le nom de la distillerie avec laquelle ils ont travaillé. Sur ce point, nos résultats montrent que l’embouteillage indépendant a un impact négatif significatif sur la valeur d’un whisky.
Un marché en pleine évolution
Si le collectionneur de whisky rêve d’obtenir des bouteilles des distilleries Port Ellen, Macallan ou Hanyu, l’un des enjeux des investisseurs est d’identifier les distilleries plus récentes dont les bouteilles verront demain leur prix s’envoler à la revente.
La tâche s’avère d’autant plus complexe que le nombre de distilleries augmente et que la localisation géographique des meilleurs whiskies est désormais loin de se limiter au trio historique Écosse/États-Unis/Japon. À titre d’exemple, la France ne comptabilisait aucune production de whisky sur son territoire au début des années 1990 mais recense aujourd’hui 95 distilleries actives !
Par ailleurs, l’univers du whisky n’est pas totalement hermétique et peut exploiter les réputations d’autres marchés de boissons alcoolisées, et notamment du côté du vin. En effet, certains whiskies bénéficient avant embouteillage d’une étape de finition, autrement dit d’une période de vieillissement supplémentaire dans des fûts ayant préalablement contenu des vins tels que des Sauternes ou des Bordeaux.
Quel est l’impact d’une phase de vieillissement en fût de Sauternes sur la valeur d’un whisky provenant d’une distillerie écossaise ? Le marché de l’investissement en whisky est encore trop jeune pour nous permettre de répondre à cette question.
Même interrogation lorsque le groupe audiovisuel HBO développe en collaboration avec le groupe Diageo, leader mondial de la production de whisky et propriétaire de plusieurs distilleries écossaises, une collection de whiskies aux couleurs de la série Game of Thrones : un Lagavulin 9 ans d’âge verra-t-il sa valeur augmenter du fait d’avoir son étiquette ornée du blason de la maison Lannister ?
Si une telle acquisition ne se révélait pas à terme être un investissement fructueux, le propriétaire serait à tout le moins détenteur d’une belle bouteille à partager entre amis.
David
Image à la Une : Shutterbox
David Moroz, Associate professor, EM Normandie et Bruno Pecchioli, Professeur associé, ICN Business School
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.