Il ne faut pas être bien futé, ni même meilleur dégustateur français du monde, pour se rendre compte que l’avenir de la viticulture de qualité se situe bien dans cette voie biologique, biodynamique, voire même nature. Merci au Blog d’Olif de m’offrir cette introduction qui a la force de l’évidence.
C’était loin d’être le cas il y a 10-15 ans, quand le Salon des Vins de Loire accueillait avec des pincettes les gars du bio en bermuda et catogan, la fumette facile et le tatouage avantageux. Les opposants leur jetaient à la figure les thèses fumeuses de Rudolph Steiner, alors qu’eux bossaient comme des forçats dans leurs vignes. La roue tourne, les voilà devenus, disons des minoritaires influents – avant d’être majoritaires- poussés par le sens de l’histoire.
Sur ce week-end charnière de début mars, l’Anjou nous a offert pas moins de six salons : l’historique salon Saint-Jean, Chai ! les Anonymes à Angers, la Levée de la Loire, Demeter et la Dive Bouteille à Saumur. Les exposants vignerons sont souvent multi-présents pour l’ambiance et pour multiplier les rencontres avec les acheteurs (importateurs, cavistes en ligne, plateformes bios, etc.).
POURQUOI Y ALLER ?
Que venait faire Génération Vignerons dans ces salons professionnels ? Ne pas passer à côté d’un événement essentiel : la fashion week du vin, avec les Caves Ackerman 1811 pour podium. C’est là qu’émergent les tendances, les styles, les nouveaux marchés, les goûts, les cépages et terroirs qui seront mainstream demain, comme on dit en jargon marketing. Pour celui qui brûle de curiosité, qui rêve d’amphores et de cépages disparus, il n’y a pas meilleur endroit pour comprendre où va la planète vin et se faire des copains !
LA RIGEUR DEMETER
La centaine de vignerons certifiés Demeter étaient regroupés dans l’espace tristounet du parc des expositions de la sous-préfecture. Dommage pour le lieu, alors que Saumur regorge de magnifiques bâtiments de l’époque hippique et militaire de la ville. Peut-être l’année prochaine….
Demeter- la déesse de l’agriculture- est le « label de qualité mondial pour les aliments issus de l’agriculture biodynamique. » L’organisme, presque centenaire, basé en Allemagne a un joli slogan : lorsque vous choisissez des produits Demeter, vous soutenez les agriculteurs qui soignent la terre. Ils sont 1100 adhérents en France (8000 dans le monde), pour les 2/3 des viticulteurs.
Hélène Darras représente l’association Demeter France, basée à Colmar : Pour postuler à la certification en biodynamie, il faut d’abord être certifié en bio. C’est un parcours qui peut prendre plusieurs années, nos équipes épaulent les vignerons dans la mise en pratique d’un cahier des charges très strict qui donne droit à la certification.
En 2022, il n’y a plus guère d’états d’âme sur la philosophie de Rudolph Steiner chez les paysans car les résultats sont là, tant pour la santé des sols que celle des vignes. On applique le calendrier lunaire et planétaire. Et oui ! Il y a des jours « fruits » et des jours « racines » pour la taille, la mise en bouteille et même la dégustation.
Demeter France distribue via sa centrale d’achat les matériels et les produits nécessaires pour les préparations. Philosophie, art de vivre, respect du vivant ? Ou bien vaste fumisterie, Génération Vignerons a contribué au débat dans peut-on critiquer la biodynamie ?
LE JAZZMAN VIGNERON
Au détour d’une allée, survint la rencontre inattendue et Ô combien réjouissante avec Thierry Valette, musicien, danseur, chanteur, jazzman et…propriétaire d’un beau domaine bordelais : le Clos Puy Arnaud, proche de Castillon. Deux mots sur le domaine que pilote Thierry Valette depuis l’an 2000. Il a retrouvé sa capacité à produire un Grand vin de Bordeaux, grâce bien sûr au savoir-faire de son propriétaire (ex-Ausone) et de son équipe, mais aussi par ses vins en perpétuelle progression qualitative depuis 20 ans.
Il y a eu d’abord la conversion bio, puis les premiers essais en biodynamie, puis la certification Biodyvin (2010) et enfin la certification Demeter en 2014. On me pose souvent la question : pourquoi une double certification biodynamique. Biodyvin, c’est plutôt une bande de copains vignerons. Tenez ici, en Loire, il y a les Bretaudeau, Pire, Caillau, Nicolas, Fred Niger….Allez voir la liste sur leur site.
Génération Vignerons, présent à l’assemblée générale 2020 des vignerons certifiés Biodyvin, peut témoigner d’un esprit collectif et d’une chaude ambiance pour cette association internationale née en France qui certifie exclusivement les vignerons, près de 200 aujourd’hui. Les deux organismes sont complémentaires, et même s’il y a des coûts en plus, j’y gagne par plus de connaissance, de retours d’expérience, de réseaux aussi.
Laissons Andreas Larsson meilleur sommelier du monde, parler de son millésime 2019 :
ACHETEURS EN VUE
Je croise un groupe de jeunes gens affairés, carnet de notes en main : les acheteurs de Biocoop, l’épicerie bio qui connaît un boom extraordinaire avec ses 700 magasins en France. Difficile de leur parler, je vois qu’ils dégustent, prennent des notes, posent des questions probablement sur les volumes disponibles, car c’est là le point noir. La biodynamie est correctement valorisée mais les rendements sont faibles et beaucoup plus sensibles aux aléas.
Ne pas croire que les choses soient faciles, il y a chaque année des abandons de certification dus aux conditions climatiques trop agressives. Beaucoup de vignerons s’en tiennent à la certification bio (AB ou Ecocert) sans vouloir ou sans oser franchir la marche du dessus. Même s’ils en rêvent…
CONNAIS-TU LA DIVE BOUTEILLE ?
La Dive, le salon référence des vins Nature se tenait pour la 22ème année dans les extraordinaires caves troglodytes d’Ackerman 1811, à Saint-Hilaire-Saint-Florent. On dit que les gens y sont un peu fou-fou et l’ambiance assez olé-olé. Tout cela n’est pas faux-faux nous annonce Sylvie Augereau, « vigneronne, journaleuse, écriveuse » et avant tout fille de Loire.
Elle et son compère Michel Tolmer, l’illustrateur et auteur des BD « Mimi, Fifi, Glouglou» sous leur allure un peu baba cool, pilotent la Dive de mains de maître. Au-delà du goût du vin, la sélection de la Dive tient à l’homme bon. Parfois même beau. La famille s’agrandit chaque année, grossie de petits jeunes motivés ou de discrets oubliés. On retrouve même des oncles en Amérique, des cousins en Afrique, des ancêtres en Géorgie, des frères en Italie…
Les chiffres du salon ? Ça nous est égal, il y avait du monde, beaucoup de monde pour créer une ambiance unique, générationnelle où les codes traditionnels du « salon » sont cassés pour être aussitôt réinventés avec plus de naturel, plus de collectif et une solidarité bien palpable.
LIBERTÉ CHÉRIE
Bien sûr, le drame Ukrainien était en surplomb des conversations, la réponse vigneronne c’est la liberté. Celle qu’ils pratiquent au quotidien dans leur domaine, un combat de tous les jours qui s’affranchit de la sécurité des appellations, des diktats des médailles, des dégustations d’agréments, des intrants envahissants. Ne tombons pas dans le panégyrique ! Ces vins sentent parfois « le cul de la vache », il y a de la matière en suspension et du graffiti sur les étiquettes.
Ici, point d’élégance à la bordelaise, c’est parka-bonnet et le vin qui va avec. Pas que le vin d’ailleurs : cidres, bières, vermouth, saké, liqueurs, spiritueux. Une élégance d’attitude, des petits rituels, un style émergent comme signes d’appartenance à la communauté. Il y a un goût de la Dive, une attitude Dive.
On m’a dit qu’on la retrouve aux Saveurs de la Tonnelle à Saumur, en Larzac, dans un bistrot de village du Piémont, dans les bars branchés de New-York, Dublin ou Tokyo.
Local et global.
Jean-Philippe