Notre rencontre remonte à l’évènement vendangeur d’un jour de l’automne passé, au château de la Viaudière en Anjou.
L’équipe vidéaste présente maniait la caméra, le stabilisateur, l’enregistreur audio, le drone. Partout présents dans les rangs de vignes, au repas, au chai, du gros plan sur la grappe à la photo de famille, Roxane Foare et Edgard Bonnet m’avaient impressionné.
Pas facile de filmer la vigne, le vin et ceux et celles qui le font. Le résultat vidéo est à la hauteur comme on peut le voir sur le site du domaine et sur celui de leur jeune société de production Evrox – un raccourci pour Edgard et Roxane bien sûr !
Ces jeunes gens pas encore trentenaires mais déjà bien expérimentés dans les métiers de l’image et du son se sont lancés dans la production vidéo pour les domaines viticoles.
Ce ne sont pas les premiers et ils ne sont pas les seuls, me direz-vous.
jouer un rôle
Ils arrivent sur un marché très travaillé avec fougue et motivation, mais pas pour « casser la baraque » comme le dit Edgard « Je trouve ça très gratifiant pour nous et pour les domaines que nous filmons. Quelque part c’est beau de montrer un métier hyper-noble qui ne leur rend pas forcément dans des situations hautement critiques pour eux. Nous on trouve ça plutôt éthique d’aller justement vers eux et leur proposer de la visibilité, surtout dans cette période si sombre. » Participer chacun avec ses moyens à la survie d’une profession. Bel engagement.
Le tandem sait exprimer ses goûts et ses connaissances du vin, ce qui le place dans un rapport de confiance avec le vigneron. Ils ont pu filmer les grands terroirs de Savoie pour André et Michel Quenard, visités par Génération Vignerons, avec un souvenir enchanté de leurs magnifiques chignin bergeron et chignin persan, et leur extrême amabilité aussi !
Ces images de drone époustouflantes sont-elles tournées au-dessus du lac d’Annecy ? Non, c’est le lac du Bourget, on est au domaine Xavier Jacqueline, à Brison Saint-Innocent, près d’Aix les Bains. Leur chardonnay vieilles vignes Perle du lac vaut le détour me dit Edgard. Croyez-moi c’est noté et voilà un beau prétexte pour une virée alpine cet été. Et vous pensiez que les images ne servent qu’à illustrer ?
Vin et poireau
Justement quelle est la part de l’image dans le monde du vin ? Question à poser à Jean-Jacques Boutaud sémiologue, professeur en Sciences de l’information et de la communication à l’Université de Bourgogne. Justement il intervenait à la WineTech en février dernier. Et sa réponse sous forme de boutade : « Quelles sont les évocations qui vous viennent à l’esprit si je vous parle de poireau ? » Je dois reconnaître que j’ai séché …
Pour ce spécialiste des signes et des images, le vin a un statut bien particulier : « Dès que vous parlez « vin », il y a un capital symbolique, sémiotique c’est à dire un monde de signes absolument infinis. On utilise dans notre jargon le terme d’espace figuratif pour le vin c’est à dire que tout fait image dès que vous parlez vin ».
L’image c’est de l’écriture
C’est bien dans cet espace figuratif que s’est engouffré Luc Plissonneau-Duquène, réalisateur/producteur au sein de l’agence bordelaise Vinanimus. En préparant un film sur le vin, « j’écris mon scénario en associant des éléments différenciants comme les produits, les gens, les situations ou les missions, à une dimension universelle. » Comme quoi ? « L’enfance par exemple ! L’enfant qui grandit qui découvre le monde qui l’entoure. Ce sont des choses compréhensibles par tout le monde ! » Un autre exemple ? « Je ne vais pas tout vous raconter non plus ! »
Des histoires incarnées en somme, comme dans un roman de Jean-Marie Rouart.
L’écriture est importante ? « Je revendique la liberté d’écrire ! Une liberté totale pour raconter une belle histoire, une aventure, un engagement fort. Sinon je refuse le projet. Les clients viennent vers moi parce qu’ils savent que je connais bien leur métier et que je vais leur apporter quelque chose de différent ». De fait, les années passées dans l’univers du vin et dans les maisons de négoce ont apporté à Luc une connaissance rare.
un nouveau genre
Et celui qui a créé son département de production il y a 12 ans maintenant, qui affiche un palmarès d’une soixante de films dans le domaine du vin, fait aujourd’hui figure de pionnier : « A l’époque, seuls les grands châteaux -Château Margaux pour ne pas le nommer- pouvaient s’offrir ces outils là pour aider les négociants à vendre leur vin. J’ai proposé une autre façon de raconter le vin, les gens qui le font, ou encore le contexte d’une profession ».
un film pour quoi faire ?
Question fondamentale qu’on oublierait presque de poser : un film à quoi ça sert ? « Le besoin est souvent patrimonial : les clients souhaitent un film qui reflète tout ce qu’ils ont construit au fil des années et qui laissera une trace aux générations suivantes… » Un testament ?
Plutôt une représentation esthétique, dépouillée du quotidien.
Une vision d’une réalité légèrement transcendée mais qui reste en ligne avec à celle du vigneron. Elle donnera au passage des clés et la direction dans laquelle aller.
Et puis « il ne faut pas négliger l’effet team building : mobiliser l’équipe du domaine crée une cohésion dans l’entreprise, un sentiment d’appartenance qui perdure bien longtemps après le tournage »…
derrière la caméra
En 12 ans la technique a évolué ? « Il y a quelques années encore nos clients nous disaient : il y a un point de vue là haut d’où vous embrasserez tout le domaine, bon c’est vrai il y a une petite heure de marche !!! Aujourd’hui le drone a facilité les choses. On est prêts à tourner en 5 minutes ! »
Avec quelles équipes travaillez-vous ? « l’agence a fidélisé une équipe qui est très équipée et qui me connait bien. On se comprend vite, c’est très important dans ce métier. »
L’éclairage ? « La lumière naturelle le plus possible sauf bien sûr lorsqu’on va travailler sur le verre, la transparence, les reflets. » Les budgets des films sur le vignoble le permettent ? « C’est vrai la lumière coûte cher et j’ai pu constater que les budgets de ces films se heurtent à un plafond de verre. Les clients mettent vite en balance le coût d’un film avec celui d’une cuve ! »
Jean-Philippe et François