Dites-moi où un bloggeur nantais du vin aurait-il une chance de rencontrer un vigneron français installé en Hongrie ?
A Perpignan bien sûr ! A centmetreducentredumonde la bien nommée.
Samuel Tinon, bordelais par la famille et par ses études vigneronnes, est arrivé à 21 ans comme coopérant à Tokaj normalement pour quelques mois, sauf qu’il est tombé dans le tourbillon de la grande Histoire. Nous sommes en 1991, l’année de folie pour ce vignoble renommé qui se libérait du carcan des grosses coopératives viticoles de la période soviétique.
Cette libéralisation déchaîna une vague spéculative de la planète finance, là où les investisseurs anglais, allemand et les Français comme le GAN, la GMF ou AXA Millésimes achetèrent massivement.
La force du destin
J’étais là avec mon savoir-faire de flying winemaker, j’ai appris le hongrois et suis resté. Deux ans plus tard, une jeune journaliste à la RVF, Mathilde Hulot, débarque à Tokaj pour suivre les investisseurs. Début d’une belle histoire d’amour…qui dure toujours. Augustin, Mehdi et Darius arriveront à la suite, dès le millésime 2000, comme trois petits grains Aszú.
Comme on le sait et comme beaucoup s’en attriste, le consommateur tend à se détourner du goût sucré du vin, qui hier était un signe de rareté et de suprême élégance. Les ventes baissent et les remises en question s’imposent. Tokaj n’échappe pas à ce mouvement.
Les furmint secs ou Tokaj secs prennent les relais de croissance du Tokaji Aszù déclinant. Et puis, il y a ce vieux Tokaj oxydatif tombé dans l’oubli que Samuel Tinon essaie de faire revivre, avec un résultat magistralement prometteur : le Tokaji Szamorodni, qui veut dire « le vin qui se fait lui-même » : un vin sec issu de raisins botrytisés, élevé sous un voile de levure, sans ajout de Puttonyos.
Je tente de transmettre ici ce que j’ai compris du brief de Samuel : les raisins de cépage majoritairement furmint sont récoltés botrytisés, passerillés – c’est-à-dire très desséchés- à degré d’alcool élevé.
Faites entrer les champignons
Après fermentation, les vins vont en cave d’élevage non isolée et envahie de champignons qui vont assurer une protection supplémentaire en plus du voile de flor et provoquer une dés-alcoolisation car le champignon se nourrit de l’alcool. L’oxydation est à l’œuvre. 6 ans dans la barrique, puis la mise en bouteille : en ce moment j’embouteille les 2011.
Et encore quelques années avant la mise en vente, de 3 à 5000 bouteilles (50cl) produites seulement les années favorables.
A la question souvent posée de la perte de vin liée à l’évaporation, Samuel répond : oh, c’est minime, 1 à 2% par an, mais surtout on perd 50% en volume quand les vins tournent au vinaigre !
Et là Samuel nous raconte le combat acharné, la lutte à mort entre ses levures qui résistent, protégées par leur voile-bouclier et les bactéries qui attaquent.
Si la bactérie gagne, c’est la piqûre acétique et la mort du vin.
Fans de Samuel
Nous formions un petit groupe de fans autour de Samuel, buvant à la fois ses paroles et son nectar à l’attaque puissante, à la bouche riche et complexe dans la palette de notes d’amande, de gingembre, de noisettes ; la finale, très longue finissant sur une belle amertume.
Mathilde me voit désemparé dans ma prise de notes ; elle, auteur-journaliste aujourd’hui au magazine En Magnum, aussi tasting manager au domaine en connaît la difficulté quand il s’agit de déguster simultanément, elle me rassure gentiment : Il faudra passer nous voir, vous comprendrez mieux. Nous produisons du vin, des livres et élevons nos enfants au milieu des chevaux.
Merci pour l’invitation, Mathilde, auparavant je lirai votre livre Vins de Tokaj, (Édition Féret, 2001) et peut-être quelques autres car vous êtes une auteure prolixe.
Jean-Philippe
Image à la Une : illustration Joris Hoefnagel, 16ème siècle