La question des dangers de la consommation du vin reçoit, à coup d’études, des réponses qui divergent. Marc Tomas, cardiologue, professeur émérite de la Faculté de Médecine de l’Université de Namur et par ailleurs auteur de nombreux articles dans Génération Vignerons, a bien voulu se pencher sur le sujet. A travers son expertise, il nous apporte un éclairage qui se veut objectif et apaisé.
Le débat sur l’innocuité de l’alcool et du vin en particulier occupe depuis de très nombreuses années les médias et même les institutions. Va-t-on être obligé bientôt d’écrire sur nos bouteilles de premier cru que l’alcool tue ? C’est fort possible.
Le « French Paradox »
Les constatations faites il y a plus de 30 ans par le Professeur Serge Renaud sur les habitudes alimentaires des populations ont lancé mondialement le paradoxe français.
En résumé, la mortalité cardiovasculaire dans le sud de le France est inférieure au reste du monde occidental, malgré une alimentation riche en graisse, parce qu’on boit du vin rouge dans cette région.
Depuis, c’est la lutte permanente entre les défenseurs du vin et les addictologues, à coup d’études parfois et de mauvaises fois souvent !
Une chose est certaine, on n’est pas sorti de l’auberge !
Quand les USA sèment le doute
Les nouvelles recommandations diététiques américaines sont en préparation pour être publiées en 2025 et les experts qui doivent donner une ligne de conduite aux Américains concernant la consommation d’alcool vont avoir une fameuse migraine.
En effet, à leur disposition, deux rapports d’experts qui ne disent pas la même chose : celui de la NASEM, l’académie nationale des sciences et celui de l’ICCPUD, comité de prévention de la consommation d’alcool en bas âge mandaté par la HHS, le département de la santé et des services sociaux
C’est oui ou c’est non ?
Les conclusions pour l’ICCPUD sont « la consommation même d’un seul verre par semaine augmente le risque de décès et de maladies » alors que celles de la NASEM trouvent un mix de risques et de bénéfices à la consommation d’alcool.
La première question qui vient à l’esprit est de savoir pourquoi deux rapports ne concluent pas de la même façon. La deuxième de comprendre pourquoi la HHS a demandé à l’ICCPUD d’écrire un deuxième rapport alors que… ce n’est pas sa mission.
Bref, on est très curieux de voir comment la DGA (recommandations diététiques pour les Américains) va pouvoir s’en sortir sans tomber dans des banalités de premier ordre et résister aux lobbyings et pressions en tout genre !
L’étude impossible
Le débat sur le risque cardiovasculaire et la consommation d’alcool et plus encore de vin dure ainsi depuis des dizaines d’années. La raison est simple : l’évidence d’un éventuel bénéfice repose sur des données épidémiologiques. Autrement dit, on observe les plus grandes populations possibles pendant le temps le plus long possible et on essaie de retirer un lien entre leur mode de vie et la survenue d’accidents cardiovasculaires.
Tirer de cela une relation de cause à effet reste très délicate, hypothétique voire incorrect.
le vin randomisé
La seule méthode possible pour démontrer un lien de cause à effet est de conduire ce qu’on appelle une étude randomisée : idéalement, si on voulait savoir si boire du vin est bon ou mauvais pour la santé, il faudrait prendre un groupe assez large de volontaires à qui on va demander de boire, par exemple, 2 verres de vin par jour, 6 jours sur 7 et de comparer avec un groupe identique à qui on va demander de ne jamais boire ni vin ni un autre alcool.
Les deux groupes devraient par ailleurs avoir exactement le même mode de vie pour éviter tout facteur amenant de la confusion, comme par exemple faire du sport pendant la même durée de la semaine ou ne pas fumer du tout. Pour pouvoir observer quelque chose, il faudrait par exemple leur demander de faire cela pendant une période suffisamment longue, 5, 10, 15 ou 20 ans voire plus.
C’est évidemment impossible pour des raisons éthiques et pratiques.
Couvrez ce verre que je ne saurais voir
L’une des plus grandes faiblesses des études épidémiologiques est l’évaluation de la consommation d’alcool elle-même. La plupart du temps, les chercheurs utilisent des questionnaires que les participants à l’étude remplissent eux-mêmes. Deux biais peuvent alors se présenter : la mémoire si la question porte sur plusieurs semaines préalables au questionnaire et le sous-rapportage.
Phénomène universel, le sous-reportage nous touche tous et à trait à la désirabilité sociale, la volonté de se présenter sous un jour favorable à ses interlocuteurs. Cela nous est arrivé à tous de « tricher » sur le nombre d’heures de sport que nous pratiquons par semaine ou sur le nombre de fois que nous mangeons des frites par mois ! Ce sous-rapportage va évidemment fausser les conclusions.
Il y a donc un besoin évident et urgent de disposer de mesures objectives et fiables de la consommation d’alcool.
L’arrivée des biomarqueurs
Et c’est ce qu’a trouvé une équipe espagnole : la mesure de l’acide tartrique dans les urines, un métabolite dérivé uniquement du vin, permet de juger de manière indubitable la réelle consommation de vin.
Les chercheurs ont donc utilisé ce procédé dans l’étude PREDIMED publiée en janvier 2025 dans la prestigieuse revue européenne de cardiologie, L’European Heart Journal. Elle porte sur près de 7500 sujets.
Et les résultats sont là : une consommation modérée de vin est associée à un risque cardiovasculaire inférieur à une quasi-abstinence pure et dure ! Une consommation mensuelle de 3 à 12 verres de vin mais aussi celle de 12 à 35 verres montre un risque significativement abaissé par rapport au groupe qui consomme moins d’un verre par mois.
Plus surprenant encore, l’étude montre aussi que non seulement un taux d’acide tartrique initialement supérieur équivaut à un meilleur pronostic mais aussi que les personnes dont le taux a progressivement augmenté au fil de l’étude diminuent encore plus leur risque cardiovasculaire !
La balle au centre
Ces résultats objectivent pour la première fois ce que le Professeur Renaud et ses collègues avaient observé il y a plus de trente ans concernant le bénéfice cardiovasculaire de la consommation modérée de vin.
Attention cependant : on ne parler que de consommation modérée et uniquement de bénéfice cardiovasculaire !
A suivre donc les nouvelles recherches dans les autres domaines de la santé comme le cancer ou les maladies neuro-dégénératives par exemple.
Enfin, ne perdons de vue que les variations interindividuelles peuvent être importantes comme on l’observe par exemple avec les médicaments. Il n’y a donc pas de règle absolue sur la quantité de vin que l’on peut raisonnablement consommer mais cette nouvelle étude objective remet encore une fois la balle au centre.
On attend le coup de sifflet de l’arbitre pour la suite !
Marc
Image à la Une : © tctmd.com