Une étiquette originale ? Se différencier, mais ne pas en abuser…

Renoncer aux images de vignobles, de châteaux et de coteaux permet-il de mieux vendre une bouteille ?

Depuis quelques années, un vent de créativité semble souffler sur les rayons des cavistes. Du graphisme le plus discret aux visuels les plus complexes, les étiquettes de vin semblent, dans certains cas, évoluer vers des œuvres à part entière.

Il y a là ce que l’on appelle un processus d’« artification » d’un objet dont la vocation est à l’origine informative. Et cette démarche créative dans le monde vitivinicole n’est pas récente. Elle a simplement été, jusqu’à maintenant, l’apanage des grandes marques de vins de prestige.

En sciences de gestion, l’impact de l’étiquette sur le comportement du consommateur a souvent été appréhendé, mais très rares sont les recherches qui se sont intéressées aux vignerons, encore plus à ceux qui produisent des vins d’entrée ou de milieu de gamme. Or, la différenciation est plus que jamais un impératif pour les producteurs de vins français à l’heure où le marché connaît de grandes difficultés : baisse globale de la consommation en 2020 par rapport à 2011, concurrence croissante des vins du Nouveau Monde, démultiplication de l’offre… Cet environnement complexe amène les différents acteurs du marché à repenser leur stratégie et à identifier de nouveaux leviers.

Comme le montre notre travail de recherche effectué auprès de vignerons, proposer des bouteilles avec des étiquettes atypiques représente un levier stratégique et commercial important puisque celles-ci vont attirer l’œil du client, l’aider à mémoriser le vin plus aisément et ainsi permettre aux professionnels de se différencier de la concurrence. À condition aussi d’avoir conscience des risques qu’engendre cette stratégie.

Signature artistique

Les perspectives en matière d’innovation demeurent limitées pour un produit tel que le vin. Législation contraignante, nature expérientielle du produit (il n’est possible de l’apprécier qu’une fois consommé), il ne reste principalement que l’emballage et l’étiquette pour se distinguer dans sa communication.

En transformant l’étiquette de vin, objet infra-ordinaire, un objet du quotidien supposé ordinaire, l’artification joue sur une substitution.

Les codes visuels classiques tels que les mentions obligatoires, un dessin de château ou le nom du domaine s’effacent pour laisser place à une œuvre originale apposée par un artiste ou un graphiste.

Le processus est instigué principalement par les vignerons. En confiant la création de l’étiquette à des artistes, graphistes ou illustrateurs, ils détournent l’étiquette de sa fonction informative et en font un support de création artistique.

Un indice de cela est la présence sur l’étiquette de la signature de l’artiste.

On en retrouve d’ailleurs parfois même les portraits sur les sites Internet des domaines viticoles. Ils contribuent ainsi à l’authentification de l’œuvre, et par la même, à légitimer l’artification de l’étiquette.

 

Succès dans la grande distribution

Notre étude qualitative a été réalisée auprès de treize professionnels aux profils variés en termes de genre, d’âge et de domaine (lieu, ancienneté et taille). Comme l’indique ce témoignage, l’étiquette n’est pas le dernier de leur souci :

« Notre étiquette, c’est une couleur orange qui se voit assez bien chez les cavistes. Les gens aiment bien parce que ça sort du rang, les gens ne l’oublient pas. »

Les bénéfices semblent en effet nombreux. Les vignerons considèrent ainsi que recourir à des étiquettes atypiques leur permet de pénétrer plus aisément certains marchés ou une cible précise (notamment les jeunes adultes et les femmes) qui serait moins attirée par des étiquettes comportant des codes visuels traditionnels. Un autre bénéfice est de rajeunir une image vieillissante du domaine en lui procurant une image décalée et plus moderne voire de transmettre un message.

« Créer des étiquettes originales, c’est pour être dynamique sur le marché, et pour qu’on ait quelque chose à raconter à nos clients. C’est aussi pour ramener de la nouveauté. »

La stratégie d’artification des étiquettes procurerait également un réel avantage lors des négociations auprès des distributeurs. La raison, selon les enquêtés, en est la suivante. Puisque les consommateurs ne bénéficient que rarement de la présence de conseillers dans les rayons des grandes surfaces, ils vont davantage être attirés par une jolie bouteille ou une étiquette atypique. Et les professionnels de la grande distribution en sont conscients au moment de sélectionner les producteurs. Réfléchir sur l’artification dépend donc en partie du canal de vente que l’on envisage.

« Les gens qui dégustent mon vin sont conseillés par un caviste donc l’étiquette originale est moins importante que dans un supermarché. »

Cependant, si les atouts d’une étiquette « œuvre d’art » semblent nombreux aux yeux des vignerons interrogés, la démarche ne semble pas sans risque.

Cacher un mauvais vin ?

Certains vignerons estiment, en effet, qu’une stratégie d’artification des étiquettes peut « décrédibiliser » le vin et qu’elle ne convient pas aux vins de terroir. Les éléments traditionnels rassurent le consommateur et il peut sembler risqué d’en modifier les codes. À l’inverse, nos vignerons estiment que cette stratégie convient aux vins blancs et rosés ainsi qu’aux vins entrée de gamme. L’un d’entre eux explique :

« Pour les vins entrée de gamme, on peut vraiment y aller parce que les étiquettes changent souvent. Pour les vins haut de gamme, c’est plus compliqué de changer parce c’est souvent des vins dont les gens se rappellent grâce à l’étiquette. »

Un autre risque de cette stratégie est celui de faire « disparaître » le vin, son goût, sa qualité, son renom, son image, derrière une étiquette atypique. Une telle démarche peut « éclipser le vin » voire altérer son identité. Certains pointent même le risque de recourir à une étiquette atypique afin de dissimuler un cépage de piètre qualité :

« Vendre des jolies bouteilles, ça ne veut pas forcément dire que le vin est bon. »

Enfin, le risque de lassitude des consommateurs face à une étiquette atypique a souvent été évoqué. Selon nos vignerons, les étiquettes traditionnelles perdurent plus longtemps alors que celles atypiques ont une durée de vie plus courte. De fait, il semble indispensable de renouveler fréquemment les étiquettes originales des bouteilles, ce qui engendre un coût important pour les vignerons. Ils préfèrent alors parfois proposer des modèles plus classiques.

Nous pouvons donc préconiser aux vignerons d’adopter une stratégie d’artification des étiquettes de leurs vins entrée et milieu de gamme notamment afin de se démarquer et d’attirer de nouveaux profils de consommateurs. Nous recommandons également de limiter la fréquence des changements d’étiquettes et d’éviter les créations trop excentriques et totalement en rupture avec le graphisme habituel. Le risque est sinon de « décrédibiliser » le vin et de déstabiliser le consommateur.

L’étiquette est avant tout le vecteur de l’authenticité du produit, de son histoire et de celle du domaine concerné. Il est donc important de prendre en considération le fait que certaines appellations (certains Bordeaux ou Bourgogne par exemple) pourraient moins se prêter à la démarche d’artification.The Conversation

Corinne et Ghofrane

Corinne Chevalier, Maître de Conférences en Sciences de Gestion, Université Paris-Saclay et Ghofrane Ghariani-Gaillard, Maître de conférence en sciences de gestion, Université Paris-Saclay

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.

Ecrit par Corinne Chevalier

2 commentaires

  1. Très intéressant cet article sur les étiquettes ! merci

    Cela me semble très juste : pour notre Appellation de Blaye Côtes de Bordeaux, le « trop original » (déjà expérimenté », génère beaucoup de questionnement des clients et semble insécuriser.

    1. Francois SAIAS dit :

      C’est vrai que pour Château Dubraud qui excelle dans son appellation, il n’y a pas lieu de chercher l’originalité à tout prix !

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