Une coopérative vinicole en Belgique ?

La Belgique serait-elle la nouvelle Bourgogne ? Le vin belge a le vent en poupe : en 2023, la production a augmenté de près de 13%, le nombre d’hectares cultivés de 11%, approchant maintenant le millier.  Près de 3.000.000 de litres de vin ont ainsi pu être produits.

Le nombre de viticulteurs/vignerons est également en croissance, atteignant pratiquement 300 en 2024.

Bien sûr, tout cela reste lilliputien par rapport aux chiffres mondiaux, mais en Belgique, on se réjouit, on s’organise et on recherche de plus en plus à asseoir la qualité et l’identité des vins belges.

de toutes petites surfaces

Une des spécificités du vignoble belge est la faible superficie cultivée par vignoble. En-dehors d’exceptions comme le Domaine du Chant d’Eole, à seulement quelques kilomètres de Maubeuge qui couvre 52 hectares totalement dédié aux bulles, de nombreux vignobles apparus ces dix dernières années ont une taille souvent inférieure à 6 hectares et présentent donc un challenge de rentabilité.

Bien souvent il s’agit d’une initiative familiale ou amicale, plus rarement une reconversion fermière, poussée par cet esprit surréaliste de ne pas se prendre trop au sérieux, une particularité tellement belge.

Le but principal n’est dès lors pas de faire du business mais plutôt de créer une bonne raison de se retrouver régulièrement dans la nature autour d’un projet découverte-plaisir et de passer de bons moments ensemble.

Si l’enthousiasme du début est communicatif, les problèmes peuvent survenir rapidement : le matériel coûte cher, l’investissement pour un chai personnel est trop élevé ou le temps à y consacrer est très important pour des vignerons dont c’est la plupart du temps une activité complémentaire.

un vignoble éparpillé

Alors appel est fait à des structures plus grandes pour un coup de main  ou une location de matériel. Mais le vignoble belge est encore très éparpillé et même si le pays est petit, les distances entre domaines sont importantes : personne n’est tenté de faire 50 kilomètres en tracteur pour dépanner un collègue !

Même si le vignoble existe en Belgique depuis 1000 ans, ce n’est que dans les années soixante qu’il a repris vie. Il n’y a pas de longue histoire de coopérative vinicole comme en a connu la France au départ de Maraussan, Damery ou Eguisheim. Ceci laisse souvent les propriétaires de vignoble devant la difficulté de gérer leur domaine. Des coopératives sont nées dans le but de diminuer les risques financiers mais la structure de chacune d’elle est purement financière et se rapproche plus d’un crowdfunding que d’une coopérative vinicole.

une oenologue à l’origine du projet

Laetitia Vankerkoven est bioingénieure de Gembloux Agro Biotech et œnologue diplômée de l’Université de Montpellier.  Elle a travaillé dans diverses propriétés françaises dans le Rhône, le Languedoc et à Bordeaux, avant de repartir dans les Hauts de France pour coordonner le projet des Cent-Trente. Cette jeune femme n’a pas froid aux yeux : passionnée par la vinification et enthousiasmée par l’essor de la vigne en Belgique, son ambition est ni plus ni moins que d’améliorer la structuration et la professionnalisation de la filière vigne sur le territoire wallon.

Elle est à l’origine d’un projet unique en Belgique: la création d’une coopérative vinicole.

Ce projet est né il y a 4 ans lorsque un besoin a été exprimé par les vignerons de la région de Perwez, commune du Brabant Wallon. La rentabilité sous 6 ha ou moins leur semblait difficile. Avec le support du cabinet de consultants en viniculture holistique en France et en Belgique, Vinolis,  qui travaille aussi avec le domaine des Terres du Val, et l’ accompagnateur de projet d’économie sociale, Winch Project, la commune a été approchée.

mettre des services en commun

Laetitia Vankerkoven :  L’idée la plus pertinente qui en est émergée est une coopérative dont la mission sera d’offrir des services parmi lesquels vinifier les cuvées à façon, produire le vin en lots séparés et pas nécessairement une seule cuvée permettant de préserver l’autonomie des coopérateurs qui sont des agriculteurs en diversification ou des particuliers. L’ultra-rentabilité n’est pas l’objectif de l’association mais bien d’assouplir la charge économique. Il s’agit d’ offrir aux coopérateurs adhérents une solution de transformation professionnelle et transparente, motivée par la qualité .

Le modèle de coopérative est innovant en Belgique. Les coopérateurs et les coopératrices sont les producteurs et les productrices de raisins, correspondant à la définition première de la coopérative : une association autonome de personnes unies volontairement pour répondre à leurs besoins et aspirations économiques.

Par comparaison avec les grandes coopératives vinicoles françaises, aucune marque propre à la cave coopérative n’est prévue dans un premier temps mais rien n’est exclu du futur afin de rester en ligne avec le marché. Le projet ici est de permettre à chaque coopérateur et coopératrice de produire leur vin dans un outil performant partagé, et de faire des cuvées à façon.

Le rôle de Laetitia sera multiple: œnologue-maître de chai, mais aussi dimensionnement des bâtiments et infrastructures, choix des fournisseurs ,établissement des  process, et bien sûr la vinification dans une démarche de qualité issue du partage des connaissances et de la mutualisation des ressources.

l’oenologie pour monter en gamme

La Belgique est un pays de consommation de vin mais pas un pays de vigne au sens culturel. Si la plupart des vignerons s’en sortent plutôt bien sur la partie viticulture même si les conditions climatiques sont à l’origine de complications  variées ( gel, champignons, maladie du bois,…) la vinification reste délicate et beaucoup de petits vignerons font appel aux oenologues français notamment champenois pour mener une vinification qui peut faire que le vin se vendra à 20 euros plutôt qu’à 2. La présence d’une oenologue sur place devrait faciliter le travail à façon et permettre un haut niveau de qualité  quelle que soit la surface que chacun possède.

Ce projet grandit et la coopérative recherche activement de nouveaux membres pour rejoindre le mouvement. Le rêve de cultiver des raisins et de produire son propre vin va peut-être se concrétiser d’avantage pour des jeunes vignerons encore hésitants.

un projet ouvert à toute la Wallonie

Les acteurs à l’initiative de ce projet veulent répondre à l’évolution du marché et du secteur de la vigne en Wallonie. Le chai coopératif accueillera des vignerons de toute la Wallonie. Chacun devra investir entre 2 et 4€ par bouteille de vin créée, ce qui est minime par rapport à la construction d’un chai personnel.

L’installation est prévue pour vinifier la production de 60 ha environ. La surface minimale pour rejoindre la coopérative est de 1 500 pieds est actuellement. La cuverie aura une capacité de 3000 hl. Sur base d’un planning rigoureux, le raisin de chaque domaine sera pressé, mis en cuve, et donc fermenté pour produire le vin au chai. Et après cette première étape, selon les besoins des uns et des autres, il pourrait y avoir un élevage, une mise en bouteille, voire un stockage et des dégustations avec leurs clients, précise Benoît Haag, accompagnateur du projet d’économie sociale.

Une première réunion organisée au premier semestre de 2024 a réuni plus de 50 vignerons potentiellement intéressés.

Le retour est actuellement encore un peu mitigé parce que la coopérative n’est pas encore totalement montée : il y a une frilosité bien compréhensible par rapport aux investissements notamment, même si ceux-ci seront partagés. La vigne en Belgique n’est pas encore bien implantée dans l’ADN du Belge.

s’inscrire dans le temps long

La constitution de cette coopérative prend du temps en fonction des attentes et des profils de gens intéressés, producteurs ou simplement clients, des rôles que chacun veut jouer et des plans tarifaires à la carte et transparents. Le plan financier est basé sur la vinification de 60 ha et la production de 400 000 bouteilles.

Le planning en fonction de la maturité, des distances et des conditions météo va nécessiter de la précision mais devra aussi faire abstraction des mythes.

C’est un fantastique challenge que veut relever Laetitia et on lui souhaite de tout cœur de réussir. Nous sommes impatients d’être en 2026 pour voir les premières bouteilles sortir de la coopérative !

Marc Tomas

Ecrit par Marc Tomas
Le vin est instrument de plaisir profond mais aussi de partage. Formé en éco-oenotourisme à l’Institut Scientifique de la Vigne et du Vin (ISVV) de Bordeaux, Marc a souhaité mettre sa passion et son expertise au service des vignerons dans le développement d’une offre oenotouristique innovante et de proximité.
Catégories : Belgique , oenotourisme , s'installer

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