Les gouttes de Dieux publié chez Glénat, un moyen original et audacieux de visiter l’univers du vin.
Des livres sur le vin, il en existe de plus en plus : des références adulées par la critique œnologique comme des livres d’apprentissages dont on ne sait pas s’ils atteindront leur but et quitteront les rayons du magasin puis notre table de nuit où ils sommeillent. Alors la redécouverte aujourd’hui d’une série manga mystérieusement appelée « Les Gouttes de Dieux », publiée dès 2008 au Japon et qui parle de dégustation des vins pourrait être une aubaine.
Certes, ce livre est à prendre plus comme un divertissement talentueux agrémenté d’images, ce qui sémantiquement est le propre du mot manga qui signifie « légèreté et peinture » !
Raison contre la sensibilité
Rappelons que les mangas « Seinen » servent autant à éduquer qu’à envouter le lecteur avec des récits qui évoquent de vraies épopées. Comme celle de Shizuku Kanzaki le fils d’un très grand œnologue japonais qui a toujours détesté le vin, s’était éloigné de son père mais se voit très affecté à la mort de celui-ci d’autant plus lorsqu’il apprend qu’il n’héritera de rien. Pas de chance ? Sauf s’il arrive à vaincre un nouveau venu dans sa vie : Issey Tomine, le nouveau chouchou froid et calculateur de l’œnologie nippone. Le combat consiste à identifier 13 bouteilles dont une ultime appelée Les Gouttes de Dieu.
Les deux auteurs cachés sous le pseudonyme de Tadashi Agi secondés par Shu Okimoto préposée aux dessins offrent une histoire entrainée par la lutte passionnante entre deux hommes que tout oppose. D’un côté, un œnologue qui ne discourt qu’avec des termes corsetés dans les registres de l’œnologie des écoles, tandis que de l’autre, le candide Shizuku laisse parler l’émotion de ses sens et la poésie de ses souvenirs.
Ce qui rend ce Manga Les Gouttes de Dieu très lisible, instructif et didactique, c’est la passion communicante avec laquelle les auteurs nous transmettent leur admiration du bon vin produit par de grands vignerons. Peut-être y a-t-il beaucoup trop de très grands crus aux prix inatteignables pour les consommateurs que nous sommes ?
Soit, mais les efforts pour partager avec nous l’émotion lors de la dégustation des vins, le profond respect marqué envers les vignerons, l’histoire de leurs terroirs, les complexités de la vinification et des arômes, valent amplement le détour. Il faudra commencer par apprendre le sens de lecture de la BD japonaise. De droite à gauche et selon l’image ci-contre.
Les prix de vente des bouteilles au moment de la parution du manga sont cités sous les dessins, ce qui peut prêter à sourire tant la flambée des différents crus décrits a pu être rapide en presque 10 ans.
L’alchimie des Gouttes de Dieux
Ce qui déroute le lecteur ce sont ces héros au physique très européanisés pour illustrer un ensemble de personnages empreints de culture asiatique. Pourtant dès les premiers tomes la tension se met en place entre les deux challengers. Ils doivent vite trouver les flacons mystérieux et éviter les écueils des millésimes ou des ressemblances. L’originalité de la BD est d’explorer le sensoriel, d’essayer de s’approcher du monde du ressenti lorsqu’on goûte le vin. Cela dresse un point de vue très nouveau sur la dégustation. Grâce à Shinohara la jeune sommelière apprentie, Shizuku va apprendre à poser un regard intéressé et découvrir pas à pas le monde des très grands crus. Tout comme les auteurs, beaucoup de leurs personnages semblent aimer le vin à un point de vénération et aduler les grands domaines de Bourgogne comme la Romanée Conti, ou ceux de Bordeaux avec Mouton Rothschild. Les grands noms qu’ils admirent jaillissent au gré des pages : Henri Jayer, Claude Dugat, Robert Sirugue, Bizot, Selosse, Roumier, Dauvissat, Barruol, Raveneau…
Le pouvoir des nectars au Japon
En 2013, si les belles caves parisiennes Legrand et Filles de la Galerie Vivienne sont passées sous pavillon japonais à 80 %, ce n’est pas par hasard. Sachez que les vins ne sont pas méconnus au Japon depuis la moitié du 19ème siècle même si la culture de la vigne est difficile à cause du climat. Le Koshu y est un vin assez léger mais très apprécié. Le goût pour le vin français ne fait que progresser depuis l’introduction du French Paradox en 1998, c’est un mouvement de fond qui se fait dans la culture des Japonais. Il y jouit d’une réputation de qualité et d’authenticité. Le rouge se vend bien, très bien même auprès de palais qui apprécient sensibilité et subtilité. Et les vains SAINS (sans aucun intrant ni sulfites) sont recherchés tout comme les vignerons en biodynamie.
Le double exploit d’Agi et Okimoto se révèle dans l’ouverture de deux mondes l’un à l’autre. Nous pénétrons la sensibilité japonaise et leur culture du vin, tandis qu’ils se livrent à un plaidoyer en faveur de nos flacons les plus réputés. La quête du vin absolu peut vous sembler une ineptie ou une vaine entreprise, elle est pourtant une réalité cachée, but inconscient des 5 sens de tous les dégustateurs passionnés.
Au bout de 44 tomes le combat s’achève sur un triomphe et la découverte d’un Bordeaux millésime 2003 non classé. On est alors porté à croire que le pouvoir des étiquettes est bien moins grand que l’émotion et l’inspiration qu’un vin peut provoquer. Que le travail du vigneron se révèle bien plus important, que sa recherche d’une unité entre le ciel, la terre et la plante, peut toucher au divin. Qu’elle rejoint les aspirations japonaises du Shintoisme, c’est-à-dire la quête d’une harmonie dans les rapports que les humains entretiennent avec la nature.
Nous trouvons, à Génération Vignerons, que ce Kami no Shizuku ayant déjà dépassé les 10 millions d’exemplaires vendus, est un moyen original et audacieux de visiter l’univers du vin. D’abord par l’histoire du combat passionnel de ces deux hommes lancés dans une quête œnologique si pointue qu’elle semble spirituelle, voire mystique. Puis par un regard décalé sur la réalité économique du monde des bouteilles de vins en Asie.
Et c’est cela qui nous plait.
Jean-Luc
image à la Une : © Editions Glénat