Ce mot est utilisé à tout va ces dernières années. On l’utilise autant pour les produits de la ferme comme les fromages, les produits maraichers que pour le monde vinicole. « Cela sent le terroir », entend-on dire parfois ! Longue est l’histoire cachée derrière ce concept de « terroir ». La notion semble française puisque visiblement, le mot n’existe pas dans les autres langues européennes.
The terroir, un mot français intraduisible
Les anglais se sont appropriés directement ce mot français dans leur littérature en gastronomie. Les formations internationales en œnologie comme le WSET (Wine and Spirit Education Trust) mettent souvent à l’honneur cette identité de terroir à chaque vin du monde. Pourtant, même si ce mot n’est pas identifié clairement dans une autre langue, la notion peut exister dans certaines cultures du monde comme le Japon où l’on retrouve des produits de terroir tels le riz, le thé ou encore les algues.
Mais, d’autres pays du monde ne connaissent pas cette notion. Si l’on remonte l’histoire ancienne en Europe, les Romains, supposés introducteurs de la vigne en Gaule, qualifiaient déjà leurs vins à la fois par leur provenance et par leur niveau de qualité. Ils connaissaient probablement cette notion mais n’avaient pas encore à l’époque de mot spécifique pour la qualifier. Le mot apparaît dans les textes français vers la fin du XIIème siècle. Il serait issu d’une déformation populaire à partir du latin « territorium ».
sémantique et lexicologie
Dans une langue, un mot est formé parce qu’il répond à une nécessité. Vers 1600, on retrouve des références à cette notion dans le traité écrit par Olivier de Serres, agronome (« Théâtre d’agriculture et mesnage des champs »). La terre et son dérivé, terreau, sont considérés en agriculture. Le terroir, issu de la terre, renforcerait la notion de qualité du produit.
D’ailleurs, on parle souvent d’une terre spécifique pour tel produit ou tel autre (légumes, céréales…) et les rayons de jardinerie ne manquent pas de disposer une grande variété de terreaux dans leurs magasins (terre de bruyères, pour pommes de terre…)! Olivier de Serres précise que chaque canton donne un goût et une typicité d’arômes aux produits agricoles. Il en est des fruits, herbages, céréales, rosiers, fleurs… Les sols y contribuent beaucoup : Olivier est à l’époque un véritable précurseur alors que la pédologie (étude des sols) nait seulement en 1881 !
Pourtant, la notion de climat que l’on associe aujourd’hui au terroir n’est pas encore évoquée.
une connotation péjorative ?
Notons que ce mot « terroir » n’a pas toujours connu une connotation exclusivement positive. Jusqu’au XIXème siècle inclus, la connotation est négative, notamment au Moyen Age et à la Renaissance : le goût de terroir semble associé à un goût désagréable. Etait-il attribué à la concentration du pouvoir dans les zones urbaines, à Paris et Versailles ? La noblesse qui à l’époque, ne réside plus sur son terroir d’origine, portait-elle un jugement sur les produits de la campagne ?
Il faudra attendre le XXème siècle pour voir la création des AOC (Appellation d’Origine Contrôlée) apparaitre dans un décret en 1935 : une véritable reconnaissance des produits de « lieu » aux caractéristiques uniques.
Ce décret-loi inverse le cours des choses en opposant les produits de terroir ayant une typicité à la production industrielle standardisée, et ce grâce au travail de Joseph Capus, ministre de l’Agriculture.
Terroir version officielle
Au début des années 2000, les Français ont éprouvé le besoin de proposer une définition claire. Et en 2006, une définition officielle du terroir est proposée par un groupe de chercheurs (INRAE, INAO) :
Un terroir est :
- Un espace géographique délimité,
- Dans lequel une communauté humaine,
- Construit au cours de son histoire un savoir collectif de production,
- Fondé sur un système d’interactions entre un milieu physique et biologique et un ensemble de facteurs humains.
Les itinéraires socio-techniques ainsi mis en jeu,
- Révèlent une originalité,
- Confèrent une typicité,
- Et aboutissent à une réputation,
- Pour un bien originaire de cet espace géographique.
Un mot « valise » ?
Ainsi, le terme de terroir est une notion, voire un concept pour certains, d’un espace géographique délimité par plusieurs facteurs, notamment physiques (l’ensoleillement, le vent, l’accès à l’eau, la topographie, les reliefs, l’exposition…) mais aussi les facteurs humains (choix des plantes, outils…).
C’est ce qui confère ce caractère unique et la typicité de chaque terroir d’où la création d’appellations ou encore la délimitation de parcelles, de climats dans certaines régions : pensons aux fameux climats de Bourgogne !
Il n’y a pas de valeur générale du terroir mais une définition typique à chaque type de production. Chaque espace géographique, chaque terroir, possède ainsi des caractères spécifiques et sera plutôt propice à telle ou telle production agricole : notons que des éléments de la nature nous permettent de déceler la nature des sols comme le châtaignier poussant sur sol acide ou encore la myrtille et l’oxalis tandis que d’autres types de cultures préfèreront un sol calcaire comme la luzerne ou encore le troène.
L’effet terroir sur le Comté
Pour aller plus loin, un groupe de chercheurs a même étudié les influences du sol sur les différents laits de vaches de même race pour la fabrication de Comté. Une sélection de fruitières homogènes en sols, vaches et laits a fait l’objet d’études floristiques et géologiques des prés.
Après la formation d’un panel de dégustateurs à un protocole de vocabulaire commun pour l’évaluation des Comté, les résultats ont démontré l’existence d’un effet terroir. Voilà pourquoi on peut découvrir une véritable roue des arômes avec plus de 80 descripteurs sur le site officiel de l’appellation (comte.com)
Vins industriels, dits de « non lieu » vs vins de terroir ?
Les vins de terroir ont pour objectif de refléter les typicités d’un lieu, un espace géographique délimité par ses propres facteurs physiques (géologie, climat, soleil, pluie, vent, relief, topographie…) et humains (choix des cépages, des outils…).
Ce qui caractérise les vins de terroirs c’est le respect du vigneron pour la nature, son sol et son environnement. Le vin produit sera donc irrégulier d’un millésime à l’autre, le facteur climatique étant bien sûr une caractéristique non maitrisable par l’Homme, mais aussi d’un lieu à un autre, même entre le haut et le bas d’une parcelle sur un espace métrique proche.
Dans le vin de terroir, l’Homme se met au service de la nature et s’adapte à celle-ci pour la laisser s’exprimer dans le vin, par une palette aromatique et organoleptique propre à chaque cuvée, variable d’année en année et dans chaque espace géographique : c’est ce qu’on appelle un vin de lieu !
En revanche, un vin industriel a pour objectif d’assurer une uniformité du vin aux consommateurs : c’est l’Homme qui dompte la nature en imposant au sol sa méthode de culture (traitements chimiques, herbicide, pesticide, cépages sélectionnés, clones, levures commerciales…) et maitrisant des procédés de vinification pour assurer une standardisation du goût de ce dernier. Ainsi, le vin ne reflètera pas son identité d’origine et ne sera pas « vivant », au sens figuré, comme le veut le vin de terroir : dans ce cas, on ne peut plus réellement parler de vin de lieu.
Démonstration avec le Clos de Vougeot
Ce domaine s’étend sur 50 hectares d’un seul tenant, classé grand cru. Pendant des décennies, il a été un véritable laboratoire d’une viticulture de qualité par les moines. Ils ont voulu appliquer la règle de Saint Benoit et faire de la terre leur prière quotidienne pour produire du bon vin.
Après ces recherches, la parcelle produit toujours une grande variété de vins par un « climat » différent entre le haut et le bas de la parcelle (par exemple, l’eau stagne à un endroit de la parcelle tandis qu’une autre zone sera plus sèche, exposée un peu plus au vent, et ainsi de suite…). A l’époque, les vins étaient le fruit d’un assemblage.
Aujourd’hui, avec plus de quatre-vingt propriétaires, on peut, encore et toujours, déguster différents styles de vins sur l’ensemble de la parcelle entre le haut et le bas, et aussi en fonction des vignerons, reflets de ce mystère terroir…
Terroir : une notion aussi géopolitique
La hiérarchisation des terroirs n’est pas toujours rationnelle. Elle s’est construite dans l’histoire de l’Homme, parfois pour des raisons religieuses (les vins protestants et les vins catholiques) mais aussi pour des enjeux économiques et commerciaux. Par exemple, les vins du Sud-Ouest ont été moins reconnus dans l’Histoire car ils devaient passer une zone de transport, la Garonne, transitant par Bordeaux qui imposait de nombreuses taxes afin de privilégier les vins de Bordeaux à l’export vers les pays nordiques et l’Angleterre.
De nombreux axes de transports fluviaux ont ainsi bloqué l’exportation des vins de terroir par la mise en place de barrages douaniers. Il en était de même aux portes de la Bretagne à Ingrandes, près d’Angers, qui taxait fortement les vins du Val de Loire, empêchant l’export vers la Hollande du cépage chenin blanc (ou pineau de son ancien nom), reconnu comme noble face au gros plant ou encore folle blanche. Face à ces surcoûts impactant le prix final, les Hollandais ont ainsi privilégié le prix faible des muscadet et gros plant du pays nantais face au qualitatif pineau de Loire.
Les limites du terroir
Il y a aussi d’autres raisons historiques qui sont détachées totalement de cette notion de terroir comme le classement des Grands Crus Classés à Bordeaux, selon essentiellement le tarif des vins lors de l’exposition universelle de Paris. Parfois, ce sont aussi des raisons administratives, comme l’explique Jean-Robert Pittre lors d’une conférence : les négociants du village de Volnay ne souhaitaient pas entrer dans la complexité administrative des grands crus de Bourgogne et ont opté pour la facilité commerciale des vins de leur village. Même s’ils ne sont pas classés, on y produit d’aussi bons et grands vins que certains grands crus voisins!
Quand vous dégusterez votre prochain verre, sentirez-vous le terroir de ce doux nectar?
Audrey
sources d’information : Echanges et notes personnelles lors du Diplôme Universitaire « vers le terroir viticole et la dégustation géosensorielle »
Bel article bien documenté. En complément, le mot « terroir » est devenu international notamment en 2010, quand l’organisation internationale de la Vigne et du Vin (OIV) a officialisé une définition du « terroir » vitivinicole inspirée de la définition française.