Une quarantaine de professionnels et amateurs réunis pour déguster à l’aveugle des vins rosés et comprendre le lien au terroir : deux associations avaient ainsi organisé cet évènement mettant à l’honneur les « rosés de terroir » sous un format expérimental.
Rendez-vous était donné au château d’Aqueria récemment acquis par la famille Guigal.
Un cadre enchanteur d’une centaine d’hectares, aux accents du sud avec sa bâtisse en pierre traditionnelle nichée dans la garrigue non loin du Mont Ventoux.
Le domaine offre les trois couleurs dont le rosé sur deux crus du Rhône, Tavel et Lirac.
Avant de passer à l’expérimentation de 10 cuvées servies à l’aveugle aux participants, Joëlle Brouard, ancienne enseignante en marketing à l’université de Dijon pose la problématique du positionnement de ce vin autour de deux mots clés « rosé » et « terroirs ». Peut-on parler de rosés de terroirs ou de terroirs de rosé ? Ces deux nuances font du « rosé » un véritable oxymore.
le décollage du rosé
La vente de rosé s’est envolée depuis les années 2000. On n’aurait jamais imaginé qu’aujourd’hui une bouteille vendue sur trois serait du vin rosé, faisant même chuter le vin rouge. Et pourtant, de nos jours encore, nous peinons à le reconnaitre comme une catégorie à part entière.
Mais qui achète ? Les consommateurs de 65 ans et plus qui représentent plus de 20% de la population, consomment 44% du volume tandis que les 18-25 ans représentent seulement 6% des achats. Quant au prix d’achat moyen, il reste encore assez faible : 5,46€. Serait-ce le reflet de la valeur apportée à cette catégorie de vin aux yeux du consommateur ? Comment lui démontrer que le mot « terroir » est compatible ? Le rosé est un vin de « jeunes »? Pourtant, les chiffres ici démontrent le contraire. C’est donc sous un angle générationnel qu’il faudrait certainement chercher à appréhender cette catégorie.
le rosé pour apprendre
Quand on commence à consommer le vin, c’est bien souvent par le vin rosé, pour sa facilité et son côté rafraichissant, souvent associé aux vacances. Puis, on observe une mutation des consommations dont les critères et les goûts changent, passant d’un vin de soif à un vin plus complexe. C’est une opportunité pour développer le rosé avec une palette complexe de profils.
Mais, il est prudent de ne pas confondre rosés de terroir et terroirs de rosé. Dans l’approche traditionnelle du terroir, nous retrouvons là une notion de vin de lieu pour certifier la provenance, indiquer son origine, validée selon un cahier des charges par un collectif pour assurer une typicité.
terroir : l’autre sens
Mais aujourd’hui, nous abordons une notion évoluée du terroir, ou pourrait-on dire du « néo terroir » : un lieu-dit capable de raconter une histoire. Cette fois, nous focalisons sur un endroit où l’on ne recherche plus une typicité de lieu mais une singularité autour du story telling du vigneron. Pour Joelle Brouard, Le consommateur recherche des produits singuliers lui conférant un statut à part entière. La notion de hiérarchie disparait pour laisser place à la dimension émotionnelle. Voilà un terrain de jeu pour le vigneron qui pourra appliquer différentes techniques à la vigne et au chai et les raconter sur ces contre-étiquettes, son site internet ou lors d’expériences oenotouristiques !
les autres et le vrai
Pour compléter, Jérémy Arnaud, connu comme « Terroir manager » partage le retour d’une étude menée en 2019-2020 sur les rosés de terroirs au sein de laquelle nous retrouvons cette dualité entre le rosé de terroir, un vin artisanal de vrai vigneron et le rosé « fabriqué de toute pièce » sans identification à l’image d’une personne, pur produit marketing.
Pour Jérémy il existe deux styles de vins de soif. Il y a les rosés qui ont été rendus chics (le rosé « glou chic ») avec un packaging élégant, clair, brillant, blanchi et parfois même bling bling, jouant la séduction, à tarif abordable entre 7 et 15 euros. Ces rosés de soif « chiquisés » reflètent le succès marketing de l’effet « packaging ». Cette emprise du bling bling autour du rosé pousse à vendre les vins de soif aujourd’hui à tous les prix, parfois même plus chers que les vins de terroir !
Le deuxième type de rosé de soif est une catégorie intermédiaire avec les rosés de terroir : « le glouglou de terroir » n’est plus chic mais boboïsé. Il n’y a pas besoin de connaitre le type de sol pour l’apprécier mais simplement l’envie de voir le visage du vigneron. Nous quittons un enjeu de séduction au profit d’une personnification, la « vigneronnisation » : une famille, une histoire, une photo, un château où l’on peut s’imaginer aux côtés du vigneron.
Enfin pour la catégorie plus rare de passionnés, voire érudits, il reste la catégorie des vins de terroir : de grands vins, des vins d’exception, et même des vins de collections (au-delà des 15 euros). Au mot terroir, nous déclinerons ici : haut en prix, haut en narratif, haut en arguments. Quid de la perception du consommateur qui devra dans le rayon faire face à une bouteille de rosé pamplemousse à 7 euros et à une dizaine de centimètres de là un vin de terroir quelques euros plus cher ?
une chance à ne pas laisser passer
Une nouvelle catégorie au-delà de 15 euros est un nouveau créneau stratégique de réponse. Les consommateurs des « glouglou de terroir » ont aujourd’hui plus de 35 ans. Ils gagnent davantage leur vie, ils souhaitent des vins de contraste, transitant vers des vins fruités mais aussi complexes. Bref, c’est un consommateur exigeant et narcissique, cherchant à la fois une buvabilité facile et immédiate tout en ayant la possibilité d’une garde. En France, ils seraient 1,8M de consommateurs, catégorie qui gagne 100 000 nouveaux profils chaque année depuis la fin des années 2010. On retrouve ces consommateurs dans des hubs urbains : Nice, Montpellier, Annecy…Essayons aujourd’hui d’être dans le tempo de l’époque et ne pas regretter d’avoir manqué cette mutation du consommateur. Le rosé est devenu un marché à part entière. A nous de jouer un rôle pour aider à positionner le rosé de terroir auprès du consommateur face à cette diversification des rosés. »
rosé de terroir et géosensorielle
Pour le démontrer, Jacky Rigaux et Cyrille Tota, respectivement défenseur de la dégustation géosensorielle et créateur de l’étoffe des terroirs « Le toucher du vin » rappellent l’importance du toucher dans l’acte de dégustation pour apprécier le terroir d’origine du vin.
Déroutant pour certains dégustateurs habitués à la dégustation analytique classique, la dégustation géosensorielle invite à réordonner nos sens en privilégiant le toucher. Oublions notre nez et tentons d’éviter ce réflexe systématique de « renifler » nos verres : asséchons notre palais et concentrons-nous sur la réaction de notre salive en contact avec le vin.
Mâchons le vin pour le tâter tels les Gourmets d’autrefois, véritables garde-fous du Moyen-Age chargés d’authentifier l’origine des vins au moyen de leur tastevin.
Quatre sensations en bouche complémentaires vont concourir à déterminer la texture du vin dégusté : la consistance, la souplesse, la viscosité et la vivacité. Et c’est en manipulant le kit d’étoffes tout en dégustant que l’on pourra mieux appréhender le toucher du vin en bouche : est-il mince ou épais ? lisse ou rugueux ? souple ou rigide ?
Les binômes de table s’affairent à comparer leurs sensations sur les dix cuvées dégustées pour remplir les fiches expérimentales. Dommage que les verres noirs ou tout du moins les bandeaux n’étaient pas sur la table car à plusieurs reprises nous nous sommes faits bernés par notre cerveau qui voyant un rosé sombre s’attendait à une lourdeur en bouche, une pesanteur, bref une texture présente…
Et pourtant finesse et fluidité étaient au rendez-vous tel l’étoffe de soie du vin n°3, un vin caressant sur fond de douceur, souligné par un léger pep’s de l’appellation Tavel, millésime 2021 (d’où la vivacité ressentie sur ce millésime). Des intrus ont été glissés volontairement dans la liste pour vérifier le concept de vin de lieu… et le peu de commentaires annotés sur leurs fiches pouvait en dire long !
Malheureusement, nous avons passé davantage de temps à échanger sur la méthodologie de dégustation, notamment le système de notation que de rechercher un lien entre la roche mère du terroir et le ressenti tactile en bouche transmis par le vin… Un manque de temps dédié à ce sujet, souligné également par Georges Truc, oenogéologue. Ces échanges feront l’objet d’un ajustement pour une expérience à renouveler au cœur d’un autre cru, peut-être ?
Pour conclure, Jacques Maby, conférencier et chargé de recherche universitaire portant sur l’intégration des paysages et du vignoble, a partagé son retour sur l’atelier : Connaître en dégustant autrement ? C’est le mot autrement qui doit nous interpeler. En effet nous avons ce matin pratiqué une méthode de dégustation fondée sur la saisie tactile en bouche, une nouveauté pour la plupart d’entre nous, déstabilisante parfois, mais dont l’intérêt ne peut être nié, ni l’efficacité.
Audrey