Le 22 juin dernier, le consul général de France à Hong-kong a décoré James Suckling de l’ordre national du mérite. Rappelons pour mémoire que l’ordre national du mérite est le second ordre national après la Légion d’honneur. C’est le Président de la République lui-même qui décide de la nomination au grade de chevalier de l’ordre national du Mérite. Il signe un décret de nomination qui est publié au Journal officiel. Mais une question demeure : pourquoi attribuer l’ordre national du mérite à un critique vinicole californien basé à Hong-kong ?
Des éléments de réponse se trouvent dans le discours de ce dernier lors de sa décoration : « Je suis fier que la République française reconnaisse mes 40 années de couverture des grands vins de France en tant que journaliste et critique de vin.
Je suis également heureux que la France comprenne tout le travail que j’ai accompli pour développer le monde du vin en Asie et particulièrement à Hong-kong et en Chine continentale.
Les grands vins de France ont été à la tête de ce mouvement de promotion de la culture et de la joie du vin, et j’ai fait de mon mieux pour en rendre compte. »
James Suckling n’est pas le premier critique étranger à être décoré par la France : en 1993 et 2010, les critiques Robert Parker et Jancis Robinson étaient faits respectivement Chevalier de l’Ordre National du Mérite et Chevalier de l’Ordre du Mérite Agricole.
On pourrait être tenté de penser que c’est l’Europe continentale – traditionnellement associée à la production de vin – qui fournit les critiques les plus influents internationalement. Or il n’en est rien, et cela pour plusieurs raisons.
L’absence de tradition vitivinicole
Historiquement, et contrairement à l’Europe continentale, les États-Unis comme le Royaume-Uni sont deux pays dont la production nationale est très limitée. L’impossibilité de consommer local engendre la nécessité d’importer des vins. En découle également l’opportunité d’importer des vins d’origines plus diverses (très liée à l’importance des diasporas). Si les Français boivent essentiellement les vins des régions qui leur sont géographiquement proches, ou pour le moins des vins nationaux, ce n’est pas le cas outre-Manche ou outre-Atlantique. La disponibilité sur le marché de cette plus grande variété d’origines peut s’avérer problématique lorsque l’on tente de s’initier au vin : par où commencer sans ancrage local ? La meilleure solution pour former son goût est dans ce cas de s’initier en suivant les conseils de connaisseurs : les experts.
Comme le mentionne la critique de vin britannique Jancis Robinson :
« À l’époque, le vin faisait partie de ces sujets sur lesquels les gens ordinaires des pays anglophones hésitaient à exprimer une opinion. On nous laissait alors, à nous les experts, le soin de dire aux dégustateurs ordinaires ce qu’ils devaient penser et comment décrire ces pensées. »
L’importance du marché intérieur
L’essor de la consommation au Royaume-Uni et aux États-Unis a joué un rôle crucial dans l’hégémonie anglo-saxonne de la critique vinicole. Aux États-Unis comme au Royaume-Uni, il est commun de considérer que la qualité du vin doit être définie par le marché. Les clients les plus importants sont aussi ceux qui dictent le goût du vin. Plus le marché est important, plus les producteurs vont adapter leur offre à la demande sur ce marché.
Depuis 2011, les Américains sont les premiers consommateurs mondiaux de vin. La part des États-Unis et du Royaume-Uni dans la consommation mondiale (en volume) est passée de 4,4 % en 1970 à 18,6 % en 2018 (La France est passée dans le même temps de 19,5 % à 10,9 %). La demande sur les marchés britanniques et américains est fortement influencée par les critiques : l’importance des notes de dégustation ne peut y être négligée. Elles sont présentes partout : dans les journaux, les principaux magazines de consommateurs, les rayons des magasins et les salles de dégustation. Il est beaucoup plus simple de trouver des distributeurs et des cavistes enthousiastes aux États-Unis lorsque l’on peut présumer de notes supérieures à 90.
L’élitisme personnifié
Avant les années 1970, les guides n’étaient que de simples compilations des médailles reçues dans les concours agricoles. Avec les années 1970 apparaissent des dégustateurs qui s’engagent personnellement et signent de leur nom les commentaires de dégustation. C’est le cas de Robert Parker aux États-Unis ou de Jancis Robinson au Royaume-Uni. Les critiques anglo-saxons utilisent dès leurs débuts un langage plus simple pour parler du vin que leurs confrères européens. Ils s’adressent aux consommateurs, et non plus aux professionnels. Ils popularisent aussi les échelles de notation.
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L’anglais, langue internationale
Un autre élément qui favorise l’hégémonie des pays anglo-saxons sur le marché de l’évaluation du vin est la croissance de l’utilisation de l’anglais comme effet secondaire de l’expansion d’internet. Contrairement aux autres critiques de vin limités à leur marché national par la langue (comme c’est le cas pour la France, l’Italie ou l’Espagne), les critiques de vin américains et britanniques sont capables de diffuser leurs critiques dans le monde entier et d’atteindre un public beaucoup plus large. Pour illustrer ce propos : le site [ jamesscuckling.com] reçoit plus de 600 000 visites uniques par an.
Enfin, l’importance grandissante des influenceurs dans la stratégie de communication des producteurs semble un indicateur intéressant de la direction que pourrait bien prendre le marché de la recommandation dans la décennie à venir.
Magalie
Image à la Une : James et Marie Kim-Suckling posent avec le consul général de France à Hong Kong le 22 juin 2021.
James Suckling , Author provided
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.