Quelle image préférez-vous du Château La Tour Blanche, classé premier cru de vin blanc de Sauternes en 1855 ?
Ça m’a fait mal de voir ce beau nom du Bordelais ainsi avili ; c’était le Sauternes préféré de mon père dans notre maison de famille de La Rochebeaucourt.
le négoce à la manoeuvre
J’ai eu un choc quand j’ai vu cette poignée de bouteilles prestigieuses coiffées de ridicules bonnets antivol, coincées entre des vins de bas étage, faire risette aux consommateurs du Lidl de Nantes Centre. Avec pour seule séduction un prix déclassé, remisé, rabaissé sur un fond d’alerte rouge (33,99€, à comparer au 54,40€ chez WineandCo).
Didier Fréchinet, responsable commercial du Château La Tour Blanche joint par téléphone s’est dit préoccupé : le prix anormalement bas pose problème en effet ; on ne peut pas imposer un prix de revente, la loi ne l’autorise pas. Rappelons qu’à Bordeaux ce sont les négociants qui traitent avec la distribution. Les châteaux n’ont la main, ni sur les prix, ni sur les conditions de distribution.
Si le négociant est en mal de trésorerie, il peut lui arriver de franchir la ligne jaune et c’est la réputation du Château qui trinque.
Un sourire carnassier
L’enseigne Lidl, elle, peut afficher un sourire carnassier ; ce premier cru est une grosse prise qui confirme sa stratégie : attirer une clientèle de connaisseurs de vins plutôt aisée et qui ne met jamais les pieds dans ses magasins.
Vient ensuite la tactique : Château La Tour Blanche figure en bonne place sur le site de vente en ligne Lidl-vins ; un site basique, factuel qui ne s’embarrasse pas de commentaires séducteurs, non : un prix, une remise et parfois une note Parker.
Vient ensuite la descente aux enfers : Achtung ! la vente en linéaire. La bouteille est probablement bousculée, déballée sans ménagement, aveuglée par des éclairages surpuissants, placée debout et livrée à des mains incertaines.
Mon ami Denis Garret, maître sommelier, ne va pas s’en remettre.
Rien à redire, l’enseigne fait son boulot, poussant sa logique du prix dévastateur jusqu’au cynisme de son angélique slogan : le vrai prix des bonnes choses.
On n’est pas obligé de se faire mordre par le dragon.
Le Château La Tour Blanche a une histoire très originale.
Alors que s’est-il passé ?
Depuis 20 ans les moelleux liquoreux n’ont plus la cote. Pour de mauvaises raisons. Qui peut imaginer que ces vins aussi délicieux que prestigieux viennent à disparaitre ? Les goûts s’adaptent, on les apprécie déjà en cocktail, à la place du dessert, que sais-je encore. Les grandes régions viticoles comme le Douro, Tokaj, la Moselle ou l’Andalousie ont pris tôt ou tard la mesure du danger.
Sauternes a tardé à diversifier sa production, l’agriculture bio peine à s’imposer. Seul Château Yquem, premier cru supérieur et porte-drapeau de l’appellation a pris des mesures drastiques : aucune bouteille vendue en dessous de 300€, un slogan qui fait mouche : à déguster au moins une fois dans sa vie !
La production d’un blanc sec Y horriblement cher. Et last but not the least le passage à une viticulture intégralement biologique et biodynamique annoncée récemment par M. Bernard Arnault, le PDG de LVMH.
Branle-bas de combat
Les autres « premiers » suivent à la hauteur de leurs moyens et de leurs ambitions.
Château La Tour Blanche n’est pas en reste avec sa certification HVE, une gamme élargie, un salon dédié « les vins liquoreux du monde » son best of Wine Tourism, etc.
Château Climens va plus loin : en agriculture biodynamique depuis 2010, il vient de lancer Asphodèle un blanc sec 100% sémillon- premier pas vers le Sauternes sec ?
La charte d’excellence durable des Bordeaux Grands Crus Classés en 1855 (Médoc et Sauternes) proposée par le Conseil des GCC 1855 est là pour rappeler que ces « privilégiés de l’Histoire » ont aussi des devoirs.
Jean Philippe