Minéralité : un descripteur « bidon » ?

Démonter les idées convenues, voilà un sport qui m’enchante ! Alors quand j’ai appris que la Cité du Vin organisait une conférence sur La minéralité du vin : la science derrière le mythe, j’avoue que je me suis inscrit tout de suite !

Il est un fait que la minéralité fait partie des descripteurs tendance dans les guides spécialisés, les fiches techniques ou lors de dégustations. Qui n’a pas perçu des arômes de silex dans son verre de Chablis ? De quoi éveiller en 2010 la curiosité de de Jordi Ballester Enseignant Chercheur maître de conférences à l’Université de Bourgogne au Centre des Sciences du Goût et de l’Alimentation.

Vanille, ananas, citron, fleurs…On sait tous de quoi ça parle. Mais quand les gens me parlent de schistes, craie, silex, fossiles moi je ne mange pas de tout ça, je ne sais pas ce que ça sent, je ne sais pas ce que ça goûte ! Jordi Ballester ne mâche pas…ses mots !

Il faut reconnaître que la minéralité est un descripteur très utilisé, toujours de façon positive mais le paradoxe c’est qu’il est mal défini. Et de plus en plus utilisé. Est-ce à dire que les vins ont changé de gout ? Un journaliste s’est amusé à compter le nombre de fois que le terme minéralité était citée dans 259 000 notes de dégustation du magazine Winespectator. Il a trouvé 27 000 occurences soit plus du double que le terme fruité…Vous vous rendez compte ? des vins qui sont plus décrits comme minéraux que comme fruités ?

Alors Jordi Ballester a réuni autour de lui une équipe internationale de scientifiques, l’International Minerality team, qui se sont demandés comment un pied de vigne pouvait capter les propriétés du sol. Lorsqu’une démarche scientifique s’installe, c’est toute une puissance de feu qui se mobilise : méthode, techniques, statistiques, outils…Celle-ci a duré 10 ans.

un peu de sémantique

Une première étape a consisté en une exploration conceptuelle. Que signifie la minéralité aux yeux d’experts que sont des producteurs, des  œnologues, des sommeliers ? Pour la faire courte, elle décrit l’acidité et la fraicheur, l’absence de fruité, des arômes de pierres diverses, des arômes marins, de coquillages, ou encore des arômes soufrés.

Alors que pour un public de consommateurs, le concept renvoie à l’eau minérale…Plus sérieusement disons que pour le grand public ce terme englobe le terroir et la pierre sans plus de détails.

le lien au terroir

Le tout est relié à la notion de terroir, ce qui ne nous avance pas beaucoup parce que le terroir est un concept flou qui ne peut être utilisé pour définir un autre concept flou ! A noter que dans une publication de la chercheuse suisse Pascale Deneulin, il est apparu qu’au fil du temps la notion de terroir, terme un temps à la mode, s’effaçait progressivement pour laisser place à celle de minéralité…

Pour Jordi Ballester le lien au terroir est un grand classique de ceux qui suivent la théorie littéraliste, c’est à dire ceux qui prennent la minéralité dans le sens littéral. Très prisée par les guides !

Pour eux la plante absorbe les minéraux de la roche, ces minéraux sont distribués partout sur la plante, y compris dans les baies, ils partent ensuite avec la baie en fermentation, ils arrivent à survivre à la fermentation et à se retrouver dans le verre et c’est ça qui nous donne une sensation minérale. C’est une théorie très sympathique, glamour ! Insiste le chercheur, oui l’histoire est trop belle…

la plante ne croque pas les roches

Car entretemps Alex Maltman, géologue gallois bien connu, membre lui aussi de la Minerality team se penche sur la question. Il arrive à la conclusion que les roches du sol échangent très peu de cations avec l’eau du sol. Or la plante ne peut prendre que la solution nutritive : elle ne va pas croquer les roches !

Ensuite la vigne ne prend que ce dont elle a besoin, ce n’est pas comme si elle avait une paille et qu’elle buvait tout ce qu’il y a !

Enfin lorsqu’on quantifie la concentration des minéraux dans un vin on se rend compte qu’ils sont tous sous leur seuil de perception…

pas de consensus à la dégustation

Deuxième étape de cette enquête : l’exploration sensorielle. L’idée étant de savoir s’il existe ou non un consensus dans la notation à l’aveugle de la minéralité. Plusieurs groupes d’experts dans différentes régions de France testent alors des cépages chardonnay et sauvignon blanc selon une méthode appropriée. Jordi Ballester a bien une idée derrière la tête : L’évaluation du consensus nous montre dans quelle mesure il existe un concept sensoriel partagé. 

Les résultats sont peu probants Avec toute la prudence qu’exige l’approche scientifique, le chercheur conclut : moralité de cette étude, il n’y a pas pour ces groupes de dégustateurs et pour ces cépages des concepts consensuels qui définissent la minéralité.

la big picture

l’International Minerality team éprouve cependant le besoin de changer d’échelle pour comparer deux pays, la France et la Nouvelle Zélande en l’occurence, dont les cultures du vin sont très différentes . Y aurait-il un consensus entre les experts des deux nationalités et des vins français et néo-zélandais ? Et là les résultats sont éloquents. Aucune opposition entre les groupes. Si pour les Français la minéralité est un concept essentiellement olfactif, en revanche pour les Néo-Zélandais la dimension minérale est plus multidimensionnelle, olfactive, gustative, tactile…

Ce qui se traduit par une vision commune : Les deux cultures s’accordent à dire que pierre à fusil, agrumes, fraîcheur, mine de crayon, concentration, plus il y en a, plus le vin va être considéré comme minéral.

Les spécificités ? pour les Néo-Zélandais, plus c’est amer, plus c’est minéral. Plus c’est astringent ou poivron vert moins c’est minéral. Et pour les Français ? plus c’est iodé plus ça sent l’huitre frais, l’arôme soufré, plus c’est minéral.

On retrouve ici des éléments communs à la première approche, l’approche conceptuelle. Et Jordi Ballester de reconnaître qu’on ne peut qu’accepter qu’il y a bien quelque chose qui s’appelle minéralité.

la preuve par 9

Il restait encore une évaluation à réaliser : l’exploration chimique. Ce que les vins contiennent. Y a-t-il une corrélation entre la composition chimique du sauvignon blanc et la minéralité perçue ? Passons sur les détails de la méthode et des composés étudiés pour arriver aux conclusions de l’étude : le seul minéral qui a été prédicteur positif de la minéralité, c’est le sodium.  Du sodium présent dans la vigne, c’est peu probable ! En revanche on peut penser plutôt à une présence dans les produits oenologiques.

Jordi Ballester conclut : la minéralité ce n’est pas une illusion, c’est bien un concept sensoriel qui existe et qu’on peut mesurer…

la recette du vin minéral

Et maintenant que la Minerality Team a établi que le vin n’est pas minéral dès la vigne,  elle a voulu savoir par quelles pratiques un vigneron peut rendre un vin minéral.

Première réponse : lors des vendanges. Eviter la surmaturité mais en ne vendangeant pas trop tôt pour écarter les notes végétales. Garder l’acidité et la fraîcheur permet d’éviter l’excès d’alcool confirme Jordi Ballester.

Deuxième réponse : au chai. Lors de la fermentation alcoolique, utiliser des levures indigènes ou des levures neutres et ne pas aller vers des températures trop basses qui favorisent les notes fruitées.

Troisième réponse : à la cave. Eviter le bois, surtout le bois neuf. Et pourquoi ne pas avoir recours à l’élevage sur lies pour apporter des notes comme la pierre à fusil ou les coquillages qui sont des composés soufrés ? Une légère réduction fait partie de la minéralité. A condition de ne pas trop bâtonner.

Quant à la fermentation malolactique qui tend à développer des arômes de beurre et de crème, il vaut mieux l’éviter car elle ne va pas de pair avec un vin minéral.

Inutile de préciser que ces pratiques énumérées par des vignerons de Chablis ont été validées par les résultats scientifiques de l’étude.

François

L’ensemble de la conférence est visible ici.

Image à la Une : crédit Beaune tourisme

Ecrit par Francois SAIAS
--------------------------------------------------------------- Scénariste, réalisateur, documentariste pendant de nombreuses années, François a gardé la curiosité de son premier métier et s'est investi depuis dans le monde du vin, ses rouages, son organisation, ses modes de fonctionnement.
Catégories : la formation

2 commentaires

  1. Enric dit :

    Bravo François ! Un article incroyablement intéressant. Je l’avais toujours associé au niveau gustatif à quelque chose de métallique, même s’il est vrai qu’il peut être influencé par la réduction et/ou la quantité de soufre. Lorsqu’un vin rouge est sulfaté, il est incroyablement métallique et amer (pendant un temps/moment). Très bon article qui se prête à l’évaluation et à l’évolution de s’exprimer sur le plan organoleptique. en fin de compte, c’est pour parler correctement. Enrique Bou de los Ríos (Mallorca)

    1. Francois SAIAS dit :

      Merci Enrique pour ce commentaire. Il faut aussi remercier la Cité du Vin d’avoir eu la bonne idée d’organiser une conférence sur ce thème qui remet bien les pendules à l’heure !

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