L’heure est à la taille dans les vignes comme le préconise le dicton des anciens « tailler tôt, tailler tard, rien ne vaut la taille de mars ».
Il est recommandé d’attendre des flux de sève ascendant pour s’occuper des vignes et leur redonner une nouvelle coiffe pour le nouveau millésime à venir.
Parfois, contraints par la superficie de leurs parcelles et le manque de personnel, certains débuteront après l’épiphanie. Il faudra alors bien se vêtir pour tenir la journée dans le froid glacial de l’hiver !
Nous voici en petit groupe sur les bancs de l’école d’un diplôme universitaire cher aux yeux d’un grand vigneron alsacien, Jean-Michel Deiss, Domaine Marcel Deiss à Bergheim.
Mais où sont passés les gourmets ?
Ce diplôme universitaire, délivré par l’Université de Strasbourg, remet en lumière un métier disparu depuis la Révolution française : celui des Gourmets piqueurs de vin. Les gourmets avaient pour rôle d’authentifier l’origine des vins en reconnaissant leur terroir par le toucher de bouche. Oubliez donc votre nez et commencez à vous concentrer sur votre salivation, sa texture, son intensité ! Lorsque le vin ne fait qu’un avec votre salive, les symboles viennent à vous : il ne reste plus qu’à les déchiffrer. Le vin a tant de messages à délivrer après un long passage depuis des mètres sous terre dans les racines des vignes.
Les vignes savent le dire
Les vignes sont des êtres vivants qu’il faut choyer. A la moindre négligence, elles vous le feront ressentir… Elles ne parlent peut-être pas mais elle sauront l’exprimer d’une autre manière, comme le partage ici Jean-Michel :
« J’ai une parcelle de vignes en bas de coteau, de l’autre côté d’un chemin. Je passais toujours en dernier sur celles-ci, privilégiant les vignes de l’autre côté du coteau sur les hauteurs. Elles ne donnaient pas de raisin. Un jour, mon œnologue me conseille d’inverser mon tour « rituel » des vignes et de prêter attention à cette parcelle excentrée. Depuis le jour où j’ai porté mon attention à ces dernières en commençant ma tournée de soins par elles, elles ont commencé à me délivrer des fruits. Les vignes, ce sont des filles, ce sont mes filles ! Elles avaient besoin d’attention ! »
Et vous, avez-vous déjà remarqué une différence entre une plante d’intérieur à laquelle vous consacrez peu d’attention et qui a tendance à se faner et celle à qui vous parlez et pensez régulièrement à son arrosage, révélant toute sa beauté au printemps suivant ? Et le petit potager que vous chouchoutez ? Ces petit êtres vivants vous le rendent… parce que vous leur avez apporté une attention bienveillante.
Goûter le terroir
Pour revenir à ce métier disparu à la Révolution française (malheureusement, plus personne n’a accès à ce célèbre grimoire tant convoité), les Gourmets avaient répertorié après des années de cumul d’expériences et de savoirs les différentes sensations de toucher en bouche selon la diversité des sols. Un sol crayeux aura une certaine finesse dans votre bouche avec une salivation crayeuse sur la fin comme si vous veniez de goûter un morceau de craie. Tandis que l’argile sera plus collant et épais et le sol volcanique explosif en bouche, le granit à l’élégance et une rondeur umami (un goût persistant et addictif).
Terroir ou roche mère ?
Ce long travail de recherche par type de parcelle, de sols participe de cette notion de terroirs. C’est ce que nous rappelle ici Jean-Michel dans son partage sur la diversité des sols.
Retour sur une intervention de Jean-Michel Deiss au sein du diplôme universitaire (Vers le terroir viticole par la dégustation géosensorielle à l’Université de Strasbourg) :
« Le géologue a un autre regard que le vigneron. Le vigneron ne parle pas toujours de la roche mère. Son sol qui est au-dessus ne correspond pas toujours à la roche mère. Cela me rappelle toujours ce moment de vertige pour un vigneron installé depuis longtemps où il découvre que sous son terroir cristallin, il y a du calcaire. Là, il comprend qu’il y a réellement du calcaire lorsqu’il goutte son vin. Il réalise que sa vigne est allé « chatouiller » en profondeur le sol calcaire et remonte ces informations en bouche par une sensation tactile propre au vin. Il pensait que son sol cristallin donnait des vins légers, rafraichissants. Le toucher de bouche en a révélé autrement.»
Des terroirs qui basculent
C’est ainsi qu’on a assisté à des changements de classement ? « Le terroir du Munchberg était classé dans des terroirs sédimentaires classiques et cela fait peu de temps qu’il a basculé dans des terroirs volcaniques. Voilà un bon exemple qui bouge et fait reconnaitre le terroir. Vous, dégustateurs en apprentissage, participez à cette reconnaissance du terroir en allant voir les vignerons, interroger, voir les vignes, goûter les vins dans le paysage, toucher la terre, prendre la roche… et témoigner de ce qu’il se passe en bouche ! Le vin a une présence, il est là pour nous livrer un message, une énergie. A nous de l’accueillir. »
On comprend ici un message important à travers ces exemples illustrés au domaine : l’intention de celui qui accompagne la vigne influencera les messages révélés dans votre verre de vin par la vigne, son fruit et le travail du vigneron. Alors, à votre palais ?
Audrey