Aviez-vous remarqué que les « allocations de domaines » fleurissent comme le crocus au printemps chez les marchands de vin ?
Voyez le site IDealWine qui ne parle plus de son offre de la semaine mais de son allocation de la semaine, ou encore le Carré des Vins vantant le domaine Fabien Coche : « l’allocation du jour se concentre exclusivement sur les blancs, trois Meursaults et un Bourgogne sur le très réussi millésime 2017 ainsi qu’un Aligoté sur le millésime 2018 ».
Derrière ce mot à consonance magique dont le sens ici est quand même détourné, voire dévoyé par les marchands, il y a l’idée bien sûr de rareté.
contrat moral ?
Mickaël Ravier, caviste-restaurateur aux Bouteilles à Nantes parle d’un contrat moral entre le producteur et le caviste – un contrat d’ailleurs non cessible. Ce dernier a droit à une allocation annuelle d’un certain nombre de bouteilles à un prix fixé par le producteur. Moi, je suis toujours en train d’en demander davantage chez certains ; je pleure auprès de Corinne Jamet – domaine Jamet en Rhône Nord – pour qu’elle m’en mette un peu plus !
Évidemment nous sommes là dans le monde des très grands vins, où la rareté est confrontée à une demande pressante ; une forme de régulation non basée sur le prix est nécessaire même si elle a ses limites.
François Audouze, collectionneur de vins anciens et organisateur des fameux Wine-dinners intervenait récemment sur le blog La Passion du Vin :
C’est un système totalement injuste, mais essayons de le comprendre en sens inverse.
Imaginez que vous faites un vin qui est demandé par 20 fois plus d’acheteurs que ce que vous pouvez livrer. Que faites-vous ?
Soit vous faites comme Guigal et d’autres : vous demandez qu’on achète 48 bouteilles de vins d’entrée de gamme pour avoir droit à 1, 2 ou 3 grands crus.
Soit vous faites comme Coche-Dury : vous livrez les plus anciens de vos clients.
Soit vous vous placez d’emblée au prix le plus cher. Je suis allocataire de la Romanée Conti – Ah ! L’heureux homme ! – et pas mécontent du système car la fidélité lisse d’une certaine façon les prix. S’il n’y avait pas ce lissage, les 2005 auraient été complètement inaccessibles.
rare, cher puis très très cher
Comment ce principe d’allocation peut-il résister à la folie spéculative sur les grands vins ? Il n’y résiste pas, comme l’explique Fabien Humbert dans son enquête publiée dans la RVF. Et de citer cet allocataire de la DRC « qui a payé 1672 € une bouteille de Romanée-Conti 2009 qui, sitôt franchie les grilles, valait 8.000 € auprès de n’importe quel professionnel. »
La place de Bordeaux n’est pas à l’écart de ce système, bien au contraire mais les négociants le pratiquent de manière différente, comme l’expliquent Sébastien Fuchs et Olga Shiryaeva de la maison de négoce Vins &Passions rencontré à Vinexpo Paris : Nous travaillons avec la plupart des GCC- Grands Crus Classés- qui nous proposent chaque année une allocation, tenue secrète, pour leurs vins après la campagne des primeurs. Elle varie selon les millésimes, les priorités commerciales, la production disponible, l’implication du château, etc. Étonnante relation partenariale qui devient de plus en plus évènementielle à l’occasion du lancement d’un nouveau millésime, quand le propriétaire du GCC s’engage contractuellement à faire la « promo » de ses vins, comme des acteurs ou metteurs en scène qui font le tour des plateaux TV pour la sortie de leur film. O tempora o mores.
Jean Philippe
Image à la Une : François Audouze © Olivier Roux pour Le Point