J’ai encore en tête cet Anjou Blanc dont le goût boisé ne cessait de s’affirmer au fil des mois. Quelle déception ! Ce chenin au demeurant bien travaillé avait-il vraiment besoin de ce coup de pouce : l’élevage en barrique de chêne ? Ou alors mon appétence pour ce type de finition avait-elle évolué ?
Visiblement je n’étais pas le seul à m’interroger puisque cette année Wine Paris avait organisé une conférence sur la question Le boisé fait-il vendre ?
Animé par Thierry Dussard, ce Wine Talk plutôt pointu réunissait pour Bordeaux Justine Tesseron du Château Pontet-Canet à Pauillac et Alberic Bichot des Domaines Alfred Bichot pour la Bourgogne.
Deux régions viticoles qui ont vécu inégalement la pression exercée par Robert Parker, amateur de vins boisés. Quitte par son influence à ce que son goût personnel devienne un standard au niveau mondial. note le Dico du Vin.
Alors le boisé fait-il encore vendre ?
Une influence qui aura quand même duré trente ans ! De 1982 année du grand millésime bordelais repéré par Robert Parker jusqu’en 2012, lorsqu’il vend son magazine Wine Advocate. Ouf ! le monde du vin tout d’un coup se sent libéré de la parkerisation et peut-être de l’excès de boisé dans le vin précise Thierry Dussard.
Alors Le boisé fait-il encore vendre ? Et bien non. Mais aujourd’hui Est-ce que on ne tombe pas dans un excès inverse c’est à dire qu’on fait la chasse au bois ?
Le bois pour quoi faire ?
Pour Albéric Bichot pendant longtemps : le fut c’était un contenant et un mode d’expédition ! Point barre.
Puis, dans les années 70 le vin a commencé à se vendre en bouteilles et le fut est devenu un outil oenologique. Avec à la marge chez certains producteurs des excès du fut pour maquiller, pour uniformiser, pour ressembler à un Bordeaux…Certains essayaient de copier Bordeaux avec ce maquillage boisé Parkermania oblige.
Alors, une image pour mieux comprendre le rôle du bois : sans faire de romantisme, si on parle d’œuvre d’art dans le vin, le fut va être son piédestal, son socle. Ce qui va le mettre en valeur.
C’est cette micro-oxygénation produite par l’échange entre le vin et l’air environnant de la cave au travers du bois qui va faire le job. Le fut, le gras du fut va être là non pas pour apporter le côté noisette, noix de coco, vanille, pain grillé, tout ce que vous voulez. Le fut va révéler aussi bien pour les rouges que pour les blancs, les précurseurs d’arômes qui sont plus variétaux puis tous les arômes secondaires, voire tertiaires.
Pour moi, le plus beau compliment c’est quand un dégustateur nous dit : ton vin il est passé en fut ou pas ?
A Pontet-Canet, avant 1985, il n’y avait pas de barriques neuves dans les chais. Justine Tesseron : aujourd’hui on parle de barriques d’un vin, des barriques d’un an. Mais à l’époque c’était des barriques de 5, 10, 15, 20 ans ! Et pourtant déjà il y avait eu des grands vins, des millésimes connus comme 1982...
Puis un cortège de barriques neuves est arrivé en 1985 avec sans doute son corolaire : un excès de bois…
Retour aux sources
Pour répondre à la vision très « nature » des nouveaux propriétaires de Pontet-Canet, une révolution s’est imposée. Elle a été initiée par Alfred Tesseron, maître des lieux et Jean-Michel Comme, son directeur technique.
A l’échelle d’une génération.
Accompagnant le passage de la culture conventionnelle à la culture bio et à la biodynamie, il a fallu revoir tout le process, Jean-Michel Comme : pour que le travail effectué afin d’obtenir le meilleur raisin ne soit pas anéanti par trop de manipulations et d’interventions, une fois le raisin mis en cuve ni masqué par un élevage en barrique trop marqué par le bois.
Diminuer la part du bois dans l’élevage nous permet de faire le vin le plus juste et le plus proche du terroir.
Comment placer le curseur ?
Il y a plusieurs façons de moduler cet apport du bois au vin. Notamment la proportion de barriques neuves, des barriques d’un vin, de deux vins. Et puis il y a aussi l’évolution des contenants et l’on va de plus en plus vers des grands contenants pour diminuer le rapport bois/vin, des futs de 500 litres voire plus.
Albéric Bichot : avec cette difficulté de trouver des douelles de grande longueur c’est beaucoup plus difficile que sur un fut dit normal…
Alors pourrait-on se passer du bois pour faire un grand vin, c’est à dire un vin de garde ?
Albéric Bichot : nous on n’a pas trouvé mieux pour l’instant. Depuis 200 ans et même depuis le temps où j’y travaille, on a fait des essais. On n’a pas essayé encore les amphores, mais on a fait de la cuve ciment, de la cuve inox, on a essayé de faire des Puligny-Montrachet sans bois du tout. Bon c’est un peu court !
Du bois pour les vins jeunes ?
Mais au delà de Parker, la tendance aujourd’hui est de boire des vins de plus en plus jeunes. Thierry Dussard : Et le bois favorise la dégustation des vins jeunes, non ?
Albéric Bichot : oui, le bois va être un élément structurant du vin : qu’est-ce que c’est qu’un vrai Meursault qui n’a pas vu du tout de bois ? On prend la grappe on la presse on l’élève dans une amphore ou un élément très neutre et on aura un pur Meursault ? peut-être pas…
Justine Tesseron : et puis de moins en moins souvent les clients possèdent des caves. Ils veulent un vin pour boire tout de suite. On veut ouvrir une bouteille et on veut qu’elle ait de la fraicheur qu’il y ait cette buvabilité. Des vins plus sur le fruit, plus sur la gourmandise. Les modes de consommation ont un petit peu évolué aussi…
Comme le résume Thierry Dussard : aujourd’hui on arrive à un paradoxe, le bois est indispensable pour faire un grand vin mais il ne doit pas se faire sentir !
François
Image à la Une : ©Château Pontet-Canet