À flanc de collines, protégé par les Vosges des précipitations et des vents frais par effet de foehn (vent chaud et sec du côté aval d’un relief bloquant une masse d’air humide à l’amont), c’est un mince ruban vert de quelques kilomètres de large sur plus de 100 kilomètres de long qui s’étend entre Mulhouse et Strasbourg. Mais quel ruban… C’est un vignoble situé aux confins des frontières géographique et géologique de la France, bienvenue en Alsace !
Le vignoble alsacien occupe une place singulière au bord d’une structure tectonique majeure, le rift ouest-européen, qui s’étend de la mer du Nord à la Méditerranée. Le fossé rhénan qui porte le vignoble alsacien sur sa bordure occidentale, s’est principalement formé à l’instar de ces « cousins » les fossés de la Bresse, de la Loire ou de la Limagne, au cours de l’Oligocène, il y a environ 30 millions d’années.
Cette dépression topographique, orientée nord-sud, résulte de l’étirement de la croûte terrestre. À ce titre, le rift est-africain est un analogue actuel de la structure alsacienne. De part et d’autre du fossé rhénan, ou graben du Rhin, les Vosges et la Forêt Noire constituent les épaulements du rift, lequel est bordé d’un réseau de failles qui accommode la déformation subie par la croûte terrestre. Deux failles majeures délimitent les Vosges de la plaine d’Alsace, la faille vosgienne et la faille rhénane. Entre ces deux failles, les collines sous-vosgiennes portent l’immense partie du vignoble alsacien. Cette zone est parcourue d’innombrables failles constituant le « champ de fractures des collines sous-vosgiennes ». Les failles ont ici décalé le sous-sol en de multiples blocs qui forment aujourd’hui une véritable mosaïque géologique, où les roches exhibent une remarquable géodiversité.
Calcaires, marnes et grès du Mésozoïque (-252 à -66 millions d’années) et conglomérats, calcaires et marnes du Cénozoïque (-66 à 2,6 millions d’années) constituent les collines sous-vosgiennes. En bordure de la plaine d’Alsace, ce sont les dépôts de bas de pente (colluvions et cônes de déjection) puis les alluvions (galets, graviers, sables et limons) du Quaternaire (-2,6 millions d’années à aujourd’hui) qui portent les rangs de vigne.
Un vignoble hérité de l’antiquité
En bordure des Vosges, c’est le granite, le gneiss, ou encore le schiste qui servent d’assises aux ceps. Une longue histoire géologique est donc à l’origine de la géodiversité alsacienne depuis la chaîne Varisque il y a près de 350 millions d’années aux alluvions qui se déposent dans les rivières encore aujourd’hui. Montagnes, mers, lagunes, lacs, volcans, glaciers ou encore fleuves se sont succédé dans les méandres du temps long contribuant à l’identité de ce sous-sol alsacien qui porte aujourd’hui un vignoble singulier hérité de l’antiquité.
Bien entendu, la géologie n’explique pas à elle seule la richesse vitivinicole (à la fois la culture de la vigne et la production du vin) de l’Alsace.
Les terroirs résultent d’un ensemble de caractéristiques (topographie, eau, sol, climat, savoir-faire vigneron, botanique, biologie, etc.) auxquelles la géologie concourt, à son échelle, à cet « écosystème ». L’expérience séculaire des vignerons a conduit à la production de vins mono-cépages (à l’exception de l’Edelzwicker et du Gentil) qui reconnaît la diversité des 13 terroirs alsaciens auxquels s’adapte chacun des cépages.
D’ailleurs, c’est une exception française, les vins alsaciens prennent l’appellation de leur cépage et non du terroir ou de la géographie. À noter que les Alsace grands crus affichent le lieu-dit des vignes car reconnus de longue date (pour certains dès le IXe siècle) pour fournir des vins prestigieux. Au nombre de 51, ces appellations participent à hauteur de 4 % du vignoble. L’Alsace est le royaume des vins blancs : Sylvaner, Riesling, Gewurztraminer, Muscat, Pinot blanc, Pinot gris « tokay »… Le Pinot noir fait exception donnant des vins rouges ou rosés.
Il faut le rappeler, la délimitation des terroirs sur la seule base de la géologie n’est pas suffisante. Sont également à considérer les aspects climatiques (pluviométrie, température, écoulements d’air), topographiques (relief, pente, exposition), pédologiques (nature du sol, pierrosité, porosité, chimie et minéralogie, etc.), biologiques (cépage et porte-greffe, micro-organismes), et bien entendu vitivinicole (savoir-faire du vigneron). C’est en intégrant tous ces aspects que l’on peut mieux comprendre la typicité d’un vin.
Plutôt Sylvaner ou Gewurztraminer
En Alsace, l’équilibre doit être trouvé entre considérations ampélographiques et géologiques. Au sein des nombreux types de roches, les principaux constituants minéraux sont le quartz (sable siliceux), l’argile et le calcaire. Claude Sittler, géologue à l’Université de Strasbourg, a ainsi proposé une correspondance entre sensations gustatives des vins alsaciens et les éléments minéraux issus de la géodiversité du vignoble. Puissance et astringence pour l’argile, vivacité et acidité pour le quartz, opulence et moelleux pour le calcaire. Tout est une question d’équilibre entre le sable siliceux qui apporte de la porosité aux sols, l’argile qui capte l’eau et la restitue à la vigne mais pas trop, et le calcaire qui délivre des éléments minéraux à la vigne avec modération pour éviter la chlorose.
Connaissant ces bases, les vignerons adaptent les cépages aux terroirs pour donner une personnalité à leurs vins. Le Sylvaner donnera des vins légers et discrètement fruités sur un substrat assez profond à texture limoneuse. Le granite et le grès à partir desquels se forment des sols légers à texture sableuse grossière, conviendront particulièrement au Riesling qui donnera des vins aux belles notes minérales avec une acidité fine. Mais le roi des cépages alsaciens s’adapte aussi au terroir marno-gréseux (vins aux arômes délicats, avec de la vivacité et de la finesse) ou celui des alluvions (vins précoces, légers et fruités). Les terrains marno-calcaires seront adaptés au Gewurztraminer avec des vins charpentés et aromatiques.
Pourquoi ne pas finir sur une note épicurienne ? L’Alsace est aussi une terre de gastronomie et le vin y participe largement avec son alliance aux plats régionaux. Et si l’on commençait par un Crémant d’Alsace, où fines bulles et fraîcheur fruitée serviront de départ. Riesling et Sylvaner accompagneront à merveille la célèbre choucroute. Si le chou ne vous enchante guère, optez pour le baeckeoffe, un plat mijoté traditionnel qui sera ravi d’être soutenu par un Pinot blanc ou un Riesling. Pour finir si vous avez encore faim, le kouglof se mariera à merveille avec un Gewurztraminer, à moins que vous ne repartiez sur un Crémant. Et bien entendu, tout ceci avec modération !
Pour aller plus loin :
● Boesch Q., 2016. Champs de fractures et vin en Alsace.
● Delangle C., 2020. Guide géologique des Vosges (2e édition). Omniscience, ISBN 979-10-97502-38-6, 256 p.
● Fanet J., 2008. Les terroirs du vin. Hachette Pratique, ISBN 978-2-01-237501-7, 240 p.
● France B. (sous la dir. de), 2002. Grand atlas des vignobles de France. Solar, ISBN 2-263-03242-8, 322 p.
● Frankel C., 2011. Terres de vignes. Éditions du Seuil, ISBN 978-2-02-105682-2, 330 p.
● Sittler C., 2011. Le vignoble alsacien : des terroirs complexes et divers. Géologues 168, 39-43.
Nicolas Charles, Géologue, PhD, BRGM
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.
Image à la Une ©Nicolas Charles
Très bel article, intéressant, exhaustif.
Merci.