Pourquoi je devrais faire quelque chose pour la postérité ? Elle a fait quelque chose pour moi la postérité ? Cette petite phrase de Groucho Marx pourrait bien être prêtée aux arbres…
Mais que c’est-il passé ?
Piqure de rappel : il y a 10.000 ans, la terre était couverte de forêts. Et la végétation se nourrissait de ses déchets organiques. C’est l’homme et plus précisément ce singe augmenté appelé Sapiens qui a effacé les forêts pour ses différents besoins. C’est l’historien J.N.Harari qui le raconte mieux que personne dans Sapiens, une brève histoire de l’Humanité (à lire, absolument !).
Dans la deuxième partie de l’ouvrage, la Révolution agricole, Harari démontre que ce n’est pas l’homme qui a domestiqué la nature, mais l’agriculture qui a asservi l’homme ! De chasseur cueilleur nomade capable de se déplacer rapidement là où se trouvent des sources de nourriture, donc de s‘adapter à son milieu, il est devenu sédentaire exposé aux aléas climatiques, à la famine, à l’asservissement…
Toujours plus mais…
Une fois sédentarisé, l’homme a toujours eu besoin de plus de terres cultivables pour nourrir tous ses petits Sapiens. Et jusqu’au début du XXème siècle, la pratique de l’agroforesterie était comparable à celle de la prose par Monsieur Jourdain…
L’agroforesterie ? En deux mots, c’est un mode d’exploitation des terres agricoles associant des arbres et des cultures. La terminologie a ses racines en anglais agroforestery mais l’équivalent français est beaucoup moins précis : complantation. Pour une fois…
C’est le développement de l’ agriculture mécanisée qui a fait régresser massivement l’agroforesterie au XXème siècle. On estimait en France qu’il y avait 600 millions d’arbres dans les parcelles agricoles françaises dans les années 50.
Après le remembrement des années 60 à 80 et la suppression de 750.000 kms de haies vives, au début des années 2000 il ne reste que 200 millions d’arbres ! Place au tracteur, mais le massacre n’était pas fini…
l’arbre ou l’herbe ? il faut choisir…
Le phénomène est accentué en Europe par la PAC qui, jusqu’en 2006, empêchait l’attribution de deux subventions à une parcelle consacrée à deux productions, tout ça pour simplifier les procédures…
De ce fait, la surface correspondant aux arbres présents dans les parcelles était systématiquement déduite de la surface subventionnée pour la culture présente au pied de l’arbre, ce qui a encouragé les agriculteurs à pratiquer des arrachages massifs ! Bon ça s’est arrangé depuis mais un peu tard, les arbres avaient juste disparu des cultures.
Marche arrière toute !
A partir de 2006 la Commission européenne reconnait les parcelles agroforestières comme des parcelles agricoles, bénéficiant ainsi de l’éligibilité aux aides de la PAC dans la limite de 50 arbres à l’hectare.
En 2010 la densité maximale est relevée à 200 arbres/ha. Avec un soutien financier pour des créations de parcelles agroforestières, le montant des aides pouvant atteindre 80% des coûts d’installation.
Faire et défaire…
lanceurs d’alerte des années 70
Pourquoi ce retournement de situation ? Dès les années 70, des scientifiques constatent l’appauvrissement des sols et s’inquiètent du recours systématique aux intrants de synthèse qui ne font que qu’aggraver la situation. C’est le cas des agronomes Claude et Lydia Bourguignon, qui alertent sur la dégradation rapide de la biomasse et de la richesse des sols en micro-organismes, ainsi que sur la perte d’humus et de capacité de productivité des sols agricoles européens. Youtube est bourré de vidéos de leurs interventions. On vous les laisse choisir !
Très vite, ils dénoncent le labour et le recours aux fertilisants, recommandent le retour aux haies et à l’agroforesterie. Dommage que leurs propos très radicaux aient été instrumentalisés par des médias complotistes. Ils n’y ont pas gagné en crédibilité…
L’idée qui fait son chemin
Mais leur démarche ainsi que celles de bien d’autres auteurs scientifiques ont fini par mobiliser l’attention de la communauté agricole et l’ont interpellée sur les pratiques intensives. La discipline a aujourd’hui ses maîtres à penser : Konrad Schreiber et Alain Canet en sont les personnages emblématiques. Ils participent à tous les colloques sur ce thème. Même recommandation : Youtube foisonne de vidéos de leurs interventions, leurs conférences, les formations qu’ils proposent…
sols nus, sols foutus !
Cette formule choc de Konrad Schreiber décrit bien la nécessité de faire revivre les sols. A l’appui de ce propos, on vous propose cette vidéo spectaculaire (trouvée parmi les ressources du site de l’Association Française d’Agroforesterie ©Wim van Egmond Micropolitan Museum 2017 ) qui met en scène la dégradation du sol avec ou sans les micro organismes…C’est ce qu’on appelle la bioturbation.
L’agroforesterie serait-elle LA solution ? 3 à 4000 hectares supplémentaires sont implantés chaque année…
Vers la reconnaissance officielle
L’agroforesterie est devenue aujourd’hui une piste reconnue pour ramener la biodiversité dans les vignes.
l’IFV déclare ainsi que la présence d’arbres au sein des vignes est, entre autres, favorable au maintien voire au retour de la biodiversité dans la parcelle. Elle limite les pertes par lixiviation de l’azote et accroît la capacité de stockage du carbone.
Dans le cas de haies, elles participent à limiter les dérives aériennes des produits phytosanitaires…
Dit en langage courant, l’arbre fournit le gîte et le couvert à certaines espèces comme les chauve-souris qui viendront se nourrir de ravageurs de la vigne. Avec ses feuilles caduques et son bois raméal, il contribue au développement du couvert végétal et donc à rétablir le vivant dans le sol.
Planté là où il faut, il contribue à créer courants d’air et ventilation dans la surface foliaire du pied de vigne. Il laisse passer le soleil l’hiver et apporte de l’ombre l’été, il stocke le carbone, évite l’érosion des sols, pompe l’eau et l’injecterait sous les racines des pieds de vigne…Le bonheur quoi !
des idées frappées au coin du bon sens
Alain Vidal du Château Dubraud dans le Blayais est séduit par cette démarche. Il a déjà rétabli les haies et les couverts végétaux : on ne laboure plus, on paille les sols, on met des copeaux de bois (ndlr : BRF pour Bois Raméal Fragmenté ), on sème un mélange de céréales de légumineuses et de crucifères qu’ensuite on va coucher et non pas broyer et sous ce mulch apparaît toute une micro faune…
L’étape suivante pour lui ? Les arbres : on va planter tous les 20 rangs, ensuite ces arbres on les taille, 2m à 2,50m, tous les 2 ans on enlève le bois raméal, qu’on broie et qu’on met dans les vignes. Et dans les trognes vont venir nicher des chauve souris, des micro organismes…On réintroduit peu à peu la vie !
Parmi les réalisations historiques : celle de Mark d’Angeli, le vigneron engagé et pionnier de la biodynamie dans sa ferme de la Sansonnière à Bellevigne-en-Layon, celle aussi du domaine Léon Barral en appellation Faugères, où l’agroforesterie est aussi depuis longtemps au coeur de la conduite du domaine. Didier Barral s’en explique dans cette vidéo d’Actu Environnement :
Et la science repasse par là
Une évaluation des systèmes agroforestiers vient d’ être réalisée pendant 3 ans : c’est le projet VITIFOREST mené dans trois contextes viticoles différents (Bordelais, Cahors, Côtes de Gascogne).Des conclusions nuancées sont disponibles dans une brochure assez complète disponible sur le site de l’IFV.
quels arbres pour quel projet ?
Vous êtes tenté ? Euh…si vous êtes en Appellation, il vous faudra d’abord vérifier que votre cahier des charges vous y autorise ! Et alors quelles essences planter ? Tout dépend de votre région bien sûr. Mais quel est votre projet au départ ? production de bois ? production de fruits ? les deux combinées ? pas de production du tout ? En fonction de votre choix, la valorisation de cette production n’aura pas le même impact sur vos revenus…
Dans mon-viti.com, Albane Bervas précise : selon l’espace disponible, invitez les fruitiers dans les parcelles, les arbres pour le bois d’œuvre dans les espaces dégagés, les arbustes en bordures des tournières ou le long des fossés, etc. mais surtout faites vous plaisir !
François
Photo à la Une : ©domaine Emile Grelier l’un des domaines où a été conduit le projet VITIFOREST.