Les temps s’annoncent difficiles pour beaucoup de caves coopératives entre les départs à la retraite annoncés de leurs boomers, l’arrivée de ces néo-vignerons qui retirent leur raisin de la cave pour le vinifier eux-mêmes et le désamour croissant des consommateurs pour ces vins “collectifs” auxquels ils préfèrent des vins plus personnels.
Alors les caves se réinventent à travers des marques qui expriment mieux le terroir : Vinovalie, Maison Sinnae, Rhonéa, Nicolas Feuillatte…Et la profession se relooke : les coopérateurs-viticulteurs deviennent des artisans vignerons ou encore des maîtres vignerons…
sauver des vignes
Le Mas des Justes ? On rembobine : nous sommes dans le Gard -le Midi Rouge, terre de révolte des vignerons– plus précisément dans les Cévennes, à proximité du bassin houiller d’Alès où pissaient les vignes de carignan pour abreuver les mineurs.
Au départ, il y a une cave coopérative, la cave de Saint Maurice -200 adhérents répartis sur 50 communes, 2000 hectares de vignes et 180 000 hectolitres par an- qui vit sa vie, se développe bien, notamment en bio mais dont la notoriété des vins ne dépasse pas la région. Une région dont la beauté des sites n’est pas contestée mais qui reste en marge des flux touristiques. Et puis il y a ces vignes, 13 hectares, qui sont promises à l’arrachage.
C’est l’histoire qui se répète : de vieilles vignes au milieu de la garrigue pas forcément les mieux placées et leur viticulteur qui prend sa retraite. Faute de repreneur, la cave qui se sent dans l’obligation d’acheter ces vignes. Et qui cherche un projet. Pendant 4 ans, elle y installera des jeunes pour se faire la main mais qui rapidement préfèreront aller travailler sur des vignes plus rentables.
Un turn-over de vignerons s’installe et une question aussi : est-ce bien le rôle de cette cave coop de racheter des vignes alors que sa pérennité n’est pas en danger ? Mais le site est magique et personne ne peut se résoudre à envisager l’arrachage.
un peu de remue-méninges…
Alors germe une idée dans la tête de quelques uns des coopérateurs convertis au bio et attentifs à une viticulture respectueuse. Romain Rigon, 39 ans, enfant du pays, cinquième génération de vignerons : le monde change, la vigne n’y échappe pas. Or ici nous vivons en vase clos. Profitons de cette région magnifique pour nous faire connaître et pour nous ouvrir sur le monde. Un projet pour partager tous ensemble la vie du monde agricole dont la vigne serait le trait d’union ? Ramener les gens les pieds dans la terre mais la tête dans les étoiles ! Une idée farfelue ?
… et pas mal d’utopie
Il y a des mots dont la portée est tellement puissante qu’ils perdent en vol tout leur sens : collectif, solidaire, non lucratif… Des notions essentielles pour faire société mais usées, rebattues, vidées de substance.
Pourtant, à une époque où le chacun pour soi s’est imposé, Romain Rigon ne veut pas l’entendre : le collectif, c’est dans mon ADN, je me plais dans son fonctionnement. Un nouveau courant ? Un changement de comportement citoyen en vue ? Une inversion de tendance sociétale qui émergerait doucement ? Et qui pourrait aussi bien s’exprimer dans la volonté philanthropique de ces chefs d’entreprise qui préfèrent la transmettre à un collectif plutôt qu’à leurs héritiers naturels (Léa Nature, Pierre Fabre, Chicorée Leroux…).
Changement de paradigme
Retour au projet du Mas des Justes : Romain Rigon et Laurent Durif, respectivement vice-président et directeur de la Cave de Saint-Maurice connaissent parfaitement le système coopératif ainsi que ses acteurs, les viticulteurs. Ils prennent l’initiative de bâtir autour de ce petit vignoble de 13 hectares en IGP Cévennes, un nouveau domaine viticole mais dans un autre cadre coopératif dont les acteurs cette fois seraient extérieurs au monde de la vigne : la société civile en fait. Pour puiser dans cette communauté une énergie et une somme d’idées nécessaires…
Et pour générer de l’attractivité autour d’un vignoble qui leur ressemble. Un projet un poil déroutant, unique en son genre et totalement désintéressé, car il n’y a rien à gagner à part quelques bouteilles de vin. C’est ainsi qu’est né le Mas des Justes : une utopie devenue réalité, un laboratoire végétal, culturel, sociétal…
Pas si fou que ça
Au fond l’idée n’était pas si extravagante puisqu’il aura fallu à peine quelques mois en 2020 pour que soient souscrites l’ensemble des 320 parts sociales à 1000€ de la nouvelle société coopérative « Sur le chemin des Cévennes ». Des parts souscrites par quelques 200 sociétaires dont votre serviteur, autant séduit par l’idée qu’intrigué par le projet.
Des sociétaires qui vont participer aux idées et à la prise de décision : acteurs du monde culturel, de la communication, du sport, des transports, de la formation professionnelle et bien sûr du vin, qui partageront leur énergie et leur réseau pour le compte du Mas des Justes. Comme une grande famille où les générations se côtoient. Sans plaisanter, c’est beau, non ?
la feuille de route
Le projet se dessine et prend corps en quelques mois. Avant toute chose, faire de ce vignoble un modèle viticole vertueux. Avec des vignes en bio et en biodynamie, expérimenter les méthodes culturales de demain. Pas forcément avec de nouvelles techniques ou de nouveaux outils mais par un assemblage de bonnes pratiques rassemblées en un même lieu : agroforesterie, apiculture, essais couvert végétaux, nichoirs…Bref, en faire un domaine de référence pour la région.
En plus du carignan, syrah, cabernet sauvignon, merlot, grenache noir et cinsault pour les rouges et les rosés il faudra planter de nouveaux pieds de vigne comme du viognier pour le futur blanc.
Puis faciliter l’appropriation du vignoble par ses sociétaires qui participeront régulièrement aux travaux de la vigne et aux vendanges.
Ensuite aménager un lieu de rassemblement autour d’événements culturels. En préparation : un parcours pédagogique, une immersion en réalité augmentée pour découvrir la vie de la vigne et du vigneron, un amphithéâtre pour recevoir un large public…
Sans oublier de créer un lieu de convergence reconnu pour la qualité de ses formations et qui s’adressera en premier lieu aux vignerons de la région qui souhaitent faire évoluer leur pratiques culturales.
Sur le même sujet : deux articles de Florence Monferran parus dans le Point
les pieds sur terre
Mais avant toute chose, le Mas des Justes c’est aujourd’hui un domaine viticole qui produit un rosé et deux rouges, soit à peu près 50 000 bouteilles. Et son modèle économique repose en grande partie sur la vente de sa production.
Si la qualité de ses vins n’a pas tardé à être remarquée par le guide Hachette Vins 2022 avec 2 étoiles accordées d’emblée pour la cuvée Mas des Justes Rouge, il n’en reste pas moins que se sont les sociétaires qui seront les meilleurs ambassadeurs pour faire connaître le Mas des Justes. Allez, au boulot !
Quand on vous dit que le monde du vin n’arrête pas de se réinventer…
François
Photo à la Une : © le Mas des Justes – SCIC/SAS Sur le Chemin des Cévennes