Les sols représentent une des ressources indispensables pour l’homme à l’échelle de la planète. Sans les sols, aucune source de matières premières (comme les matériaux, les aliments, les fibres ou les combustibles), ni support de construction pour les infrastructures. Sans les sols, pas de purification de l’eau, pas de réduction des contaminants présents dans l’environnement, pas de régulation du climat et des crues.
Sans les sols, pas de recyclage des éléments nutritifs qui permettent le bon fonctionnement des écosystèmes ni de séquestration du carbone. Enfin, sans les sols, une multitude d’organismes n’existeraient pas, ceux-là même qui sont à l’origine de notre survie et du bon fonctionnement de la planète.
Voilà tout l’intérêt de faire l’autruche (à bon escient pour une fois) et de mettre la tête dans le sol, pour voir de plus près ce qu’il s’y passe. C’est ce que se sont engagés à faire un ensemble de chercheurs français au travers du Groupement d’intérêt scientifique sol, créé en 2001.
2 200 échantillons de sols à travers toute la France
Objectif de ces travaux : inventorier les sols et les étudier sous toutes les coutures. L’inventaire a commencé en 2002 avec la mise en place du Réseau de mesure de la qualité des sols (RMQS) : 1 échantillon prélevé systématiquement tous les 16km, en métropole, en Corse et en Outre-Mer.
Avec un total de 2 200 sites prélevés, ce dispositif d’échantillonnage de sol est le plus intensif connu à ce jour à travers le monde. Grâce à de nombreuses analyses physiques et chimiques, les sols de France ont été décrits et cartographiés : constitution physique, pH, stock de carbone, teneurs en argiles, limons et sables, teneurs en contaminants, utilisation du sol… autant d’informations référencées à l’échelle de notre territoire.
Depuis 2006, des chercheurs de l’Inrae de Dijon se sont lancés le pari fou de sonder la vie microbienne des sols en analysant les 2 200 échantillons de sols du RMQS.
Un million d’organismes par gramme de sol !
Mais pourquoi les microorganismes des sols ? Parmi toute la biodiversité présente à la surface et dans les sols, les bactéries et les champignons représentent l’immense partie cachée de l’iceberg, tant en quantité (plusieurs milliards d’individus dans 1 gramme de sol), qu’en diversité (jusqu’à 1 milliard d’espèces) mais également au travers le rôle essentiel et inquantifiable qu’ils jouent dans le fonctionnement et la santé des sols.
Ce projet ambitieux a pu voir le jour grâce aux technologies de séquençage de l’ADN qui ont émergé dans les laboratoires de recherche depuis les années 2000.
Tout comme le séquençage du génome humain a beaucoup apporté aux sciences médicales, le séquençage du métagénome bactérien du sol (ensemble des génomes de toutes les bactéries présentes) constitue une mine d’or, pleine de renseignements pour comprendre le rôle de ces organismes dans les services que les sols rendent aux sociétés humaines (fertilité, dépollution, structure, maintien d’un bon état sanitaire, etc.).
Un « atlas du sol »
Après 10 ans d’investigation, notre équipe de recherche a livré le fruit de son travail au grand public au travers d’un atlas, pour sensibiliser les Français au patrimoine vivant que contiennent les sols de leur territoire : L’Atlas Français des bactéries du sol (paru en 2018 aux éditions Biotope/publications scientifiques du MNHN).
Cet ouvrage livre les clés de ce monde invisible à tous ceux qui travaillent avec, sur et pour le sol, qu’ils soient agriculteurs, industriels, décideurs et politiques mais aussi les chercheurs, les enseignants et les étudiants.
Cet atlas vous apprendra par exemple que les sols de France comptent plus de 115 000 espèces de bactéries qui se répartissent en 35 grands groupes (qu’on appelle phylum).
Comme les cartes l’illustrent, toutes les espèces ne sont pas partout. Leur distribution géographique dépend des conditions de vie que chacune tolère, c’est-à-dire des caractéristiques du sol, mais aussi de l’utilisation du sol faite par l’homme. Par exemple, on ne trouve pas exactement les mêmes communautés de bactéries dans les sols de forêts et dans les sols de grandes cultures. Grâce à cet atlas, vous pouvez savoir quelles bactéries se trouvent sous vos pieds où que vous soyez en France.
Le type de sol et son usage déterminent aussi l’abondance de microorganismes et la diversité des espèces qu’on trouve dans le sol. L’abondance et la diversité des micro-organismes sont deux facteurs primordiaux du bon fonctionnement d’un sol. Une forte abondance indique généralement une bonne activité microbienne, c’est-à-dire que la matière organique est bien dégradée et les éléments nutritifs sont mis à disposition des plantes par les microorganismes. En parallèle, une plus forte diversité est assimilée à un plus fort potentiel, en termes de fonction, de résistance aux perturbations et de défense contre les pathogènes.
Ces deux paramètres microbiens sont fortement influencés par le type de sol (acidité, teneur en argiles, matière organique, etc.) mais pas de façon identique. Ainsi leur cartographie montre que certaines régions de France sont des hotspots (c’est-à-dire très riches) en termes d’abondance sans être caractérisées par une diversité particulièrement élevée.
C’est le cas du nord des Alpes, des Vosges et de la Lorraine. Au contraire, les microorganismes sont très diversifiés dans les sols de Bretagne sans y être particulièrement abondants. La région des Landes mérite qu’on s’y attarde puisqu’abondance et diversité y sont toutes deux parmi les plus faibles de France. Ceci s’explique par l’acidité et la texture sableuse des sols de cette région, plus propice à l’installation de forêts de pins qu’à des fins agricoles.
Au total, 16 habitats microbiens différents ont été mis en évidence dans les sols de France métropolitaine. Chaque habitat est particulier en termes de milieu de vie et accueille une communauté qui lui est spécifique. Certains de ces habitats sont spécifiques à certaines régions alors que d’autres sont plus largement distribués.
Par exemple, la région des Landes, citée précédemment, représente un habitat à elle toute seule. À l’autre extrême, l’habitat microbien le plus répandu se répartit dans les plaines du sud-ouest, sur le pourtour méditerranéen et dans le centre. Cet habitat dont les sols sont les plus alcalins de France, a la particularité d’héberger 94 genres bactériens que l’on ne retrouve nulle par ailleurs sur le territoire. Cette spécificité en fait donc un habitat à protéger, en limitant la dégradation des sols. La plus grande partie de ces sols est occupée par l’agriculture (grandes cultures et viticultures) ou par des prairies permanentes ou naturelles et la préservation de cette biodiversité est une condition sinequanone à la fertilité physique et biologique des terres ainsi qu’au maintien d’un bon état sanitaire.
L’Atlas français des bactéries du sol, riche d’une soixantaine de cartes, nous fait découvrir le territoire français sous un nouveau jour et nous amène à explorer le trésor qui se cache sous nos pieds.
Battle Karimi, Post-doctorante en agroécologie, Inrae et Sébastien Terrat, Maître de Conférence, Inrae
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.
Image à la Une : nicolas prieto / unsplash