Jouer au vigneron avec Vitigame

Voilà un nom qui évoque le challenge, l’affrontement ludique entre équipes concurrentes, un nom qui renvoie au palmarès et au podium. C’est fou ce qu’un nom de marque bien choisi peut déclencher comme torrents d’imaginaires. On redescend sur terre, Vitigame est un serious game dont le but principal n’est pas le divertissement. Il combine une intention sérieuse, de type pédagogique, informative ou d’entraînement avec des ressorts ludiques issus du jeu.

SAUVER LA PLANÈTE VIN

Le jeu Vitigame a été conçu et développé depuis plusieurs années par une équipe surmotivée d’enseignants-chercheurs de l’École Supérieure des Agricultures ESA d’Angers, conduite par la Dr. Christel Renaud-Gentié du département viticulture-œnologie et co-construit avec l’unité Grappe (ESA- INRAE, l’Institut National de Recherche pour l’Agriculture, l’Alimentation et l’Environnement).

On l’aura compris, l’enjeu de Vitigame, c’est de sauver la planète vin ou pour le dire autrement de réconcilier vigne et environnement. Mais là, le méchant n’est pas Dark Vador mais bien notre aveuglement d’humains à vouloir nous empoisonner à petit feu « à l’insu de notre plein gré », comme disaient les Guignols de l’Info.

CHOC DES CULTURES

Biodiversité, durabilité des écosystèmes, écoconception, agroécologie sont les univers de travail d’Oona, Auriane, Laura et Mathieu, les étudiants de Master II qui ont participé à la réalisation du jeu. Ils m’ont très gentiment accueilli dans une petite salle de l’École pour me présenter leur « bébé ». Choc des cultures, mon univers n’est pas le leur. Les sciences du vivant me fascinent mais les bases m’ont toujours manqué. Les étudiants ont fait preuve d’une grande tolérance et ont aussi compris mon besoin d’accompagnement après mes dégustations œnologiques poussées au Salon des Vins de Loire.

Le jeu est là, déployé sur une table, offrant au regard une multitude de cartes : fiches études de cas, boîte à outils, cartes action, barrettes météo et dépliants. Étonnante accumulation de support carton dans un monde toujours plus numérique. L’équipe commence à m’expliquer que le jeu se joue de 4 à 8 joueurs sous la direction d’un « maître du jeu » le tout étant sous-tendu par le logiciel d’ACV– Analyse du Cycle de Vie. Je sens que vous êtes en train de décrocher alors voici une petite vidéo bien plus explicative :

CASSE-TÊTES EN SÉRIE

3, 2, 1, on se lance ! Mathieu, le maître du jeu, me demande de choisir un «itinéraire technique » à piocher parmi plusieurs ; il s’agit du cas réel d’un domaine viticole anonymisé. Ensuite je dois me fixer un objectif prioritaire en lien avec la réduction de mes impacts environnementaux. Je choisis : suppression du désherbage chimique. L’alternative, c’est le désherbage mécanique, mais il détériore mon bilan carbone. Qu’à cela ne tienne, on achète un engin électrique mais mon compte d’exploitation passe dans le rouge….Dois-je faire bosser davantage mes équipes ?

On avance dans le cycle des saisons et dans celui de la vigne : fin mai, beaucoup de pluie, pression forte du mildiou, il faut envisager un traitement en produits de biocontrôle ; le maître du jeu me propose le guide des produits phytosanitaires existant sur le marché. Attention, se cachent parmi eux les très méchants agents CMR – cancérogène, mutagène et reprotoxique. Je croyais qu’ils étaient définitivement interdits, visiblement non. Alors, je reviens au désherbage mécanique, tant pis pour le bilan carbone, on essaiera de l’améliorer en optant pour les bouteilles consignées. Ce n’est pas un Serious game mais bien un Wargame !

Me sentant un peu coincé je demande une carte « chance », pas de chance, le jeu n’en propose pas. Cela me fait penser à mon ami vigneron du Puy Notre-Dame qui me racontait le violent épisode de grêle survenu là-bas il y a 2 ans : ça a frappé tout près de mes vignes, chez le voisin malheureusement pour lui, mais aucun dégât chez moi. Il reste heureusement une part d’aléatoire et d’inconnu dans la pratique du métier, sinon qui aurait encore envie de devenir vigneron ?

RÊVES D’ÉTUDIANTS

On s’accorde une petite pose pour échanger sur l’avenir professionnel des futurs diplômés. Les étudiantes en apprentissage dans des domaines bordelais réputés ne se voient pas porter l’habit de vigneronne, du moins pas dans un premier temps. Plutôt en laboratoire œnologique. Mathieu avoue un faible pour la brasserie artisanale et serait à franchir le pas en cas de rencontres favorables. Pour l’heure, c’est la mission à l’international qui les préoccupe.

L’échange porte autour du Working Holiday Visa délivré par l’Australie et la Nouvelle-Zélande. Le fameux challenge des « deux vendanges dans l’année » gagne de plus en plus en popularité chez les diplômés oeno-viti comme le racontait la jeune vigneronne Lucie Biteau à Génération Vignerons.              

UN OUTIL PROVOCATEUR

Vitigame Pro a démarré fort l’année 2023 en remportant un prix au concours SIVAL Innovation d’Angers. La diffusion démarre avec un retour favorable du monde professionnel : ce jeu nous fait ressentir l’importance du choix, des dates, des produits à utiliser pour les traitements phyto….ces choix ont un impact direct sur la réussite du traitement et sur l’environnement témoigne Béatrice Taillée, professeure de viticulture et vigneronne.

Le jeu tourne dans les Chambres d’agriculture en tant qu’outil d’animation pour provoquer des échanges et lancer les débats. C’est évidemment à l’usage que l’on verra si le jeu, consommateur de temps et de concentration mentale apporte une véritable valeur ajoutée au monde viticole souvent désorienté.

VISER LES SOMMETS

L’équipe de conception du jeu va probablement pointer mon erreur en l’appelant Vitigame Pro, mais je persiste et signe. Cette toute première version est le point de départ d’un immense travail de modélisation des choix techniques, environnementaux, éthiques, financiers auxquels sont confrontés les vignerons d’aujourd’hui et de demain.

Suivront probablement des nouvelles versions qui rectifieront les erreurs identifiées et amélioreront sa « jouabilité ».

Cette grande aventure née dans les laboratoires scientifiques de l’ESA et de l’INRAE croisera certainement le chemin des éditeurs spécialisés qui apporteront des moyens et des compétences en game design. Ces joyeuses bandes de créatifs étaient tous réunis à Cannes, fin février pour le Festival International des Jeux – l’autre » festival de Cannes – qui distribue des prix et récompense l’innovation.

No limit ! l’intelligence artificielle (IA) qui se nourrit des apprentissages antérieurs aurait toute sa place dans les développements ultérieurs de Vitigame. Et que dire de ChatGPT qui trouve réponse à tout ?

« Un voyage de mille lieues commence toujours par un premier pas » Lao Tseu

Jean-Philippe

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