I.N.E.D.I.T, les dégustations parallèles

Une fois par an, ma balade auvergnate ne me laisse que des bons souvenirs. Pas de foule envahissante, pas d’engins pétaradants, plutôt des honnêtes gens, souvent des pèlerins qui vous saluent sur les chemins de randonnée. Des forêts partout, des lacs, des rivières, des ruines médiévales et d’autres charmes authentiques. Des lieux puissants aussi comme Le Puy de Dôme (1465m) ou la petite station désuète de Saint Nectaire.

D’autres vous vanteront les cures thermales premiums de Chatel-Guyon ou le vieux Clermont médiéval autour de sa cathédrale classée aux 50 nuances de pierre de Volvic, noire marbré comme du Soulages.

Les amateurs de vins, les vrais, se retrouvent à la Cave du Théâtre animée par Cyril Sartre et Tomy Dupieux, un jour peut-être honorée comme trésor oenologique. Elle en prend le chemin cette Cave du Théâtre en cumulant les récompenses (meilleure Carte Terre de Vins en 2024 et 2025, finaliste Star Wine List en 2024 et 2025).

La renommée de son club œnologique et ses soirées dégustation rayonnent bien au-delà de la métropole auvergnate, tout comme son rôle dans la promotion d’une brochette de vignerons exceptionnels regroupés au sein de la Loire Volcanique.

Prévoyez d’y passer en fin de journée et d’enchaîner avec un dîner au restaurant-maison La Régalade  « meilleure carte des vins de France pour un restaurant traditionnel ». Le chef Sébastien Nugère n’a pas encore gagné son étoile au pays des Michelin aussi les prix reste doux comme la laine de mouton du Massif Central.

quand les grands esprits…

C’est l’histoire de deux dégustations, portant sur le même vin à quelques 800 kilomètres de distance, qui se sont déroulées presque le même jour (fin juin), sans qu’aucune information n’ait filtré d’un côté comme de l’autre. Pas très clair, tout ça ?

Il y a un an, Génération Vignerons avait rencontré le talentueux vigneron Riomois, Benoît Montel, figure montante de la viticulture volcanique (voir la dégustation d’élevage signée Benoît Montel). Benoît nous avait démontré comment les différentes formes d’élevage avaient une influence sur le goût et l’équilibre des vins.

Passant immédiatement aux travaux pratiques, il proposait à la vente une cuvée de son chardonnay 2022 issue de sa parcelle Bourrassol vieillie dans 6 contenants différents. Son argumentation m’ayant convaincu, la caisse de 6 bouteilles répondant au joli nom d’INÉDIT a pris la direction de la Loire-Atlantique.

Aux premiers beaux jours, notre ami Jean-Luc Poignard, animateur du club oenologique jlpgoodwines sur l’île de Noirmoutier me fit cette proposition audacieuse : et si on proposait une dégustation « inédite » sur la plage des Sableaux le 20 juin en soirée ? Tu verras ça va plaire ! Il ne restait plus qu’à prier saint Médard ou saint Vincent pour que la météo nous soit favorable.

Qui aurait pu savoir qu’au même moment, Tomy Dupieux, le patron de la Cave du Théâtre organisait la même dégustation pour un cercle restreint d’amateurs ? On ne peut pas aller au-delà de 12 invités, me précise-t-il. J’ai compris que la demande était bien plus forte, comme à Noirmoutier d’ailleurs.

Difficile d’établir un parallèle entre les deux dégustations. Les Clermontois avaient un vigneron de « chez eux » aussi l’échange fut plus pointu, plus technique comme on le verra dans les commentaires. Forcément  ce n’est pas le même regard porté par les insulaires vendéens qui apprécièrent la vive fraîcheur du chardonnay et le côté ludique fun du cadre dégustatif.

Tout s’est très bien passé, sauf…..et là avec Tomy, on a éclaté de rire. INÉDIT comporte deux I, les 6 contre-étiquettes étant identiques, comment différencier le « I » de l’élevage en cuve inox du « I » de l’élevage en fût d’acacia ? Les Clermontois ont résolu le problème en faisant une petite entorse à l’ordre des lettres ; ils ont démarré par les deux « I » pour jouer la différence. Je revois Jean-Luc dans la cabine de plage devant les bouteilles ouvertes : Non, mais ça, c’est quand même boisé, tu trouves pas ? Très légèrement boisé car l’acacia est pauvre en vanilline et marque moins les vins. Finalement l’ordre des lettres a été respecté.

retour à la plage

jlpgoodwines : Les animations œnologiques que je propose progressent chaque année grâce aux sélections que je fais des vignerons et des régions.Six cuvées d’un vin de la même famille, c’est une opportunité incroyable mais aussi un pari risqué. Celui de laisser mes participants passer à côté des différences subtiles et de ne pas percevoir les nuances du travail du vigneron.

Dès que les verres se remplissent, il y a un certain recueillement, des yeux qui se ferment au-dessus du calice.

Puis, à ma gauche un premier constat de Cyril : Il y a bien les descripteurs du chardonnay sur cette première cuvée, c’est discret, c’est fin. Je suis agréablement surpris ! Il connait bien le cépage.

Cette mise en ligne des 6 cuvées de Benoît Montel n’échappe pas aux critères très personnels qui s’expriment librement autour de la table.

Christophe : Je ne connaissais pas ce vin, c’est bon, pourtant je suis de Clermont-Ferrand. Belle région viticole aux vins de volcan de plus en plus appréciés.

Jérôme : Je suis un peu perdu, j’oublie vite les vins précédents, je n’arrive pas à tous les comparer.

Tous jouent le jeu, se concentrent, et par quantité minuscule, sirotent lentement.

Sarah me complimente pour le choix du vin, dans un joli accent anglais et avec un sourire de plaisirMon ressenti est excellent et la qualité de cette bouteille … hum, c’est un très bon chardonnay.

Je fais regoûter l’avant dernière cuvée à Jérôme et nous posons des mots sur sa texture, son aromatique, la perception de son acidité en bouche. D’accord, ça marche, ça y est j’ai plus de longueur en bouche, c’est poudreux, c’est presque poivré. Il peut y avoir des tannins sur un vin blanc ? Benoit Montel a réussi son œuvre. Les écarts de sensations en bouche sont perceptibles à tous.

Avant qu’on se quitte, on va voter, si vous le voulez bien, pour vos cuvées préférées :

Le « I » cuve inox : 5 voix

Le « N » amphore porcelaine : 2 voix

Le « É » amphore en grès : 6 voix

Le « D » amphore terre cuite : 1 voix

Le « I »  fût d’acacias :  5 voix

Le « T » fût de chêne : 7 voix

Comment tout apprendre de l'apport des contenants sur un blanc ?

Génération Vignerons remercie la Cave du Théâtre pour l’autorisation qui nous a été donnée à reproduire ici le texte publié dans son blog.

Il s’agit de son chardonnay 2022, récolté sur le lieu-dit Bourrassol, entre Châteaugay et Ménétrol, une parcelle plutôt solaire, exposée sud-est, sur sols argilo-calcaire avec un peu de basalte, vignes plantées en 1999. Les raisins ont été récoltés début septembre, à environ 13%, en pressurage direct grappe entière dans un pressoir pneumatique horizontal. Après un débourbage de 48h à froid, le vin a enchaîné fermentation alcoolique puis fermentation malolactique en cuve inox, pendant 6 semaines environ. Il y a eu un léger sulfitage après malo (puis un second à la mise en bouteille). C’est à ce moment-là que le vin a été transféré dans les divers contenants, pour 9 mois, sans interventions (pas de bâtonnage par exemple).

I Cuve inox : (contenant le plus neutre, pratique et économique, pas de porosité, pas d’aromatisation) Le vin est à peine moins doré que les suivants, un nez de fleurs blanches et fruits jaunes. La bouche présente de la vivacité à l’attaque, pas de travail de texture, on a même l’impression d’un très léger perlant au départ mais qui disparait vite. On apprécie son côté vif et frais au départ, le vin perd un peu de son intérêt au fur et à mesure qu’il se réchauffe.

N Porcelaine : (un œuf en ballon de rugby de 500L. Fait à partir d’une argile blanche riche en kaolinite. La plus chère des céramiques, fragile. Pas de porosité, pas d’aromatisation, mais un brassage et une proportion de lies plus importants que sur la cuve inox) Couleur à peine plus dorée, nez qui semble un peu plus mûr. Bouche plus large à l’attaque, au départ on a une impression d’un vin plus élevé en alcool que le précédent, puis avec l’ouverture il semble plus complexe et gagne en intérêt.

E grès : (amphore de 500L en forme d’œuf. Fait à partir d’une argile riche en silice, à cuisson élevée, 1100 à 1300°. La porosité est faible, pas d’aromatisation, brassage des lies, comme sur toutes les amphores il y a aussi une inertie thermique bien qu’elles ne soient pas enterrées ici) Couleur proche du précédent, le nez est un peu plus marqué par les agrumes confits, mûr mais moins miellé que d’autre. La bouche semble plus « caillouteuse », donnant une vraie sensation minérale, avec une impression d’acidité plus élevée, sans perdre en volume, finale avec de beaux amers, presque des petits tannins, beaucoup d’allonge, plus de fraîcheur et de longueur. Le gagnant du soir à l’unanimité. Benoît avait prévenu l’an dernier à la sortie de la caisse « Le grès demande toujours un peu de temps, la première année c’est le plus compliqué avec des amers trop marqués, mais ensuite c’est souvent celui qui s’impose ».

D terre cuite : (amphore de 500L. Cuisson d’une argile plutôt rouge, entre 800 et 1000°. Forte porosité ici. Pas d’aromatisation) Couleur un poil plus dorée, nez qui semble riche, fruits jaunes mûrs, presque exotiques. Bouche avec du volume, de la gourmandise, elle manque un poil d’acidité derrière le précédent, mais c’est très bon aussi.

I fût d’acacia : (fût de 228L neuf de chez Meyrieux, l’acacia a un grain plus serré que le chêne, il est donc moins poreux, il est aussi plus pauvre en vanilline et marque moins les vins. Très efficace sur les vins blancs, on le voit apparaitre de plus en plus, parfois en assemblage avec d’autres contenants, parfois en fût hybride avec une douelle sur deux chêne/acacia)  Couleur un peu plus claire, nez un peu plus miellé, petite touche vanillée légère. La bouche a une belle texture à l’attaque avec un léger gras, elle a gardé une bonne acidité, petite sucrosité gourmande, la finale est bien moins marquée par le bois que le suivant. Un contenant intéressant.

T fût de chêne : (fût de 228L neuf, chauffe blonde, tonnellerie Meyrieux. Forte porosité et aromatisation forte) Couleur à peine plus foncée, le nez est tout de suite plus vanillé, pas spécialement toasté ici. La bouche est très jolie à l’attaque, soyeuse, gourmande, avec une petite sucrosité vanillée, un fruité mûr, la finale est par contre un peu trop arrondie par l’élevage, on reste sur cette sensation vanillée. Cependant le bois a déjà été bien absorbé depuis l’an dernier, on sent qu’il ne manque que deux/trois ans de plus pour en faire un joli vin d’inspiration bourguignonne à l’ancienne. Un grand merci à Benoît pour cette belle opportunité. C’était une première pour la plupart des participants est tout le monde a trouvé la dégustation à la fois enrichissante et d’un très bon niveau. Si le grès s’est imposé ce soir-là, la prudence reste de mise : en fonction du vin choisi, du millésime, du temps d’élevage, de l’âge auquel on boit les vins, du moment (à table ? l’été ?) etc… tous les contenants peuvent avoir leur intérêt. Sans oublier non plus qu’il y a la possibilité d’assembler plusieurs d’entre eux. Ce qui est sûr c’est qu’il y a des différences marquées, voire très marquées sur le grès et le chêne, entre les vins. La seule façon de mieux comprendre l’importance de l’élevage est de multiplier ce genre d’expérience. Alors vivement les prochaines caisses Benoît ! Pour les 2025 peut-être ? 

réinventer la dégustation

Il ressort de ces deux dégustations comparatives plusieurs enseignements qui pourraient ouvrir la voie à une nouvelle pratique organoleptique, celle de la dégustation d’élevage qui compléterait la verticale (millésimes comparés) et l’horizontale (comparaison d’un même millésime sur une même appellation).

Peut-être s’agit-il d’une innovation « kolossal »? Seul l’avenir le dira. Souvent les innovations marquantes naissent au fond d’un labo ou d’un caveau ; on n’y prête pas beaucoup d’attention, et puis « la bonne idée au bon moment » fait son chemin vers le succès. Benoît Montel le vigneron, chercheur et expérimentateur passionné, forcené du travail, est-il le mieux placé pour mesurer la portée de son innovation ? 

En tout cas sa dégustation d’élevage n’a rien d’un coup de com au regard du travail supplémentaire généré à la cave. Il est probable que le vigneron ne s’y retrouve pas financièrement à 120€ le carton de 6 bouteilles- rappelons-le, toutes différentes- même si ses 200 cartons sont vite partis vers les cavistes et les clubs œnologiques.

la dégustation respectueuse

Comment diffuser l’information au-delà des amateurs des vins de Benoît Montel ? Génération Vignerons a évidemment son rôle à jouer pour sensibiliser les clubs œnologiques et les producteurs notamment ceux de Loire qui multiplient les contenants diversifiés (amphores en terre cuite, œuf ciment, jarres ou fibre de verre) en plus du bois et de la cuve inox. Le cépage chenin qui imprime bien l’élevage serait certainement un cadre d’expérimentation pertinent, sans nécessairement commencer par 6 élevages différents.

Qu’on me permette de mettre en avant un argument essentiel en faveur de la dégustation d’élevage, c’est le renouvellement du narratif. Ne voit-on pas s’épuiser le commentaire « standard » de dégustation, au point qu’on le lit sans le lire…surtout quand ils émanent de l’IA. Le narratif de comparaison, comme on a pu le lire dans les comptes rendus, a le mérite de respecter l’amateur, le dégustateur, l’animateur dans l’expression de ses goûts et ses préférences sans tenter d’imposer quoi que ce soit. D’autres vignerons relèveront-ils le défi ?

Jean-Philippe

Ecrit par Jean-Philippe RAFFARD
--------------------------------------------------------------- Toujours volontaire pour une virée dans le vignoble du bout de la Loire, du bout de la France, du bout de l’Europe ou du bout du monde, là où il y a des vignerons, là où il y a du bon vin. Jean Philippe n’oublie pas sa vie antérieure en marketing-communication pour lever le voile sur le commerce du vin et l’ingéniosité des marchands.

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