Ce samedi 17 avril, en déplacement auprès de viticulteurs dans l’Hérault, le premier ministre Jean Castex a annoncé la création d’un « fonds de solidarité exceptionnel », doté d’un milliard d’euros, pour venir en aide aux exploitations agricoles touchées par la vague de gel dévastatrice de début avril, qui a notamment affecté 80 % du vignoble français.
Selon la Fédération nationale des syndicats d’exploitants agricoles (FNSEA), la principale organisation syndicale agricole, un tiers de la production viticole française sera perdu à la suite de cet épisode météorologique, ce qui représente environ deux milliards d’euros de chiffre d’affaires en moins pour la filière.
Ce soutien exceptionnel pose donc la question du renouvellement des instruments d’assurance contre les conséquences du changement climatique pour les viticulteurs. En effet, seulement 15 à 18 % d’entre eux sont aujourd’hui assurés, selon le ministère de l’Agriculture.
Avec la récurrence des aléas climatiques, pourquoi un chiffre aussi faible ?
Trois raisons fondamentales l’expliquent.
Juger le risque
D’abord, il existe un manque d’habitude à devoir gérer le risque climatique. En effet, avant 2011, les viticulteurs ne s’assuraient pas contre ce risque. Le fonds de calamité agricole, géré par l’État et financé via des cotisations professionnelles, indemnisait les conséquences du gel, de la grêle, de la sécheresse et de l’excès d’eau. Depuis 2011, ces risques sont devenus « assurables ». À savoir qu’ils peuvent être couverts par des contrats multirisques auprès d’assureurs privés.
Dès lors, contrairement à d’autres cultures, la viticulture n’est pas éligible au régime de calamité agricole qui vient d’être déclenché par le gouvernement (sauf pour les pertes de fonds, à savoir si les pieds de vigne eux-mêmes – et pas simplement les bourgeons – sont tués par le gel).
La perception du risque, au vu du prix de ces contrats d’assurance, est la deuxième grande cause de non-couverture. En effet, la dernière grande gelée date de 1991 et la précédente renvoie aux années 1960. La plupart des viticulteurs se sont plutôt concentrés sur un autre risque, la grêle, qui a aussi largement sévi ces dernières années (en 2013 notamment).
Face à un risque jugé limité, le prix des contrats d’assurance est apparu trop élevé, même si L’État peut prendre en charge jusqu’à 65 % du coût des contrats d’assurance multirisques climatiques. De fait, seul un nombre limité de viticulteurs particulièrement concernés ont recours à ces assurances. Cela crée un phénomène classique de sélection adverse où seuls les viticulteurs les plus exposés aux risques souscrivent aux contrats d’assurance, faisant ainsi grimper les primes demandées par les assureurs.
Enfin, le processus même d’indemnisation est long et compliqué. Le viticulteur doit démontrer une perte de récoltes de plus de 30 %, la gestion de son dossier peut prendre des mois et mobiliser des experts et les pouvoirs publics si le régime de catastrophe naturelle est déclenché. Le gouvernement insiste d’ailleurs sur la rapidité nécessaire avec laquelle il faudra essayer de gérer les dossiers actuels pour éviter les longs mois habituels de procédure et les problématiques de trésorerie pour les viticulteurs.
Mauvaise perception du risque, inertie des comportements, prix, lenteurs et complexités dans l’administration des dossiers, tels sont les enjeux à relever pour conduire à une meilleure couverture du risque climatique dans la viticulture.
Comment faire ?
Financiariser l’assurance climatique
L’idée-force pour pallier les faiblesses du système actuel serait d’alléger la gestion des dossiers et de réduire les primes malgré un risque plus élevé. Cela attirerait plus de viticulteurs vers les produits d’assurance. Une gageure ? Pas forcément.
En effet, des outils de gestion de risque de plus en plus sophistiqués se développent. L’assurance climatique indicielle permet de ne plus verser des indemnités liées à la déclaration d’un sinistre, mais à la position d’un indice par rapport à un seuil donné. Dans le cas de gel, le déclenchement de l’indemnisation serait lié à la réalisation de températures négatives relatives au degré de maturité de la plante (qui peut se repérer par les températures anormalement douces les jours précédents le gel). Ces relevées de températures proviennent des stations météorologiques qui maillent les territoires viticoles et des calculs triangulaires qui en sont issus pour couvrir les zones sans stations.
Le remboursement automatique, sans évaluation directe des dégâts, réduirait considérablement le coût de fonctionnement et les délais pour le viticulteur, deux des principales limites des contrats actuels proposés par les assureurs.
Cependant, l’inconvénient de l’assurance indicielle découle de l’écart potentiel entre la réalité du choc climatique subi par un viticulteur et la mesure au niveau des stations météorologiques. Cet écart est appelé risque de base. Moins il y a de stations météorologiques et/ou plus il existe de microclimats et plus le risque de base augmente. Il en découle éventuellement une faible corrélation entre les sinistres et les indemnités.
Les progrès constants des mesures météorologiques permettent de réduire en tendance ce risque. Surtout, d’autres instruments financiers peuvent être mobilisés. Nous démontrons ainsi dans une étude récente l’intérêt des options réelles basées sur des indices climatiques. Elles peuvent être utilisées pour couvrir le risque de base des contrats d’assurance indiciels ou directement à la place de ces contrats eux-mêmes.
Les options réelles n’ont rien de nouveau. Il existe depuis plusieurs décennies des mécanismes d’options réelles adaptées à une grande variété de domaines industriels, mais très peu dans le domaine agricole. Et aucune en viticulture à notre connaissance. Sans rentrer dans la technique, ces outils amèneraient un degré de souplesse supplémentaire aux viticulteurs dans leur gestion du risque climatique et permettraient aux assureurs d’élargir la palette des types de protection.
Un changement de paradigme ?
L’intérêt d’une financiarisation des contrats d’assurance tient aussi au fait que le risque peut être transféré plus simplement à des réassureurs ou sur les marchés financiers. Certains chercheurs évoquent une solution de « protection financière » de l’agriculture. Financiariser les contrats, comme l’on titrise une dette, permettrait en effet de les vendre sur les marchés auprès d’agents prêts à spéculer sur le climat. Les spéculateurs assurant ainsi leur rôle de base qui consiste à porter le risque pour des agents ne souhaitant pas le porter (les viticulteurs).
Cette financiarisation représenterait une petite révolution, car on ne parlerait plus de mutualisation de risques indépendants, principe de base de l’assurance. Ce paradigme apparaît de fait dépassé au regard d’un risque climatique systémique, comme le montre ce gel printanier, mais aussi les vagues récurrentes de sécheresses ou d’excès d’eau qui touchent l’ensemble du territoire. Ne plus mutualiser le risque permettrait aussi d’alléger l’État dans son rôle d’assureur en dernier ressort. Les trois acteurs, viticulteurs, assureurs et pouvoirs publics, pourraient ainsi gagner à ce changement de paradigme.
Nous ne leurrons pas cependant. Même en optimisant les outils assurantiels, ce qui est une nécessité à court terme, les seuils de rentabilité vont s’élever dans la viticulture. Le GIEC anticipe en effet une accélération de la fréquence des évènements climatiques extrêmes.
Seules les exploitations les plus solides économiquement pourront donc résister, car le changement climatique va s’accompagner d’un besoin de financement supplémentaire (investissement pour la lutte technique contre les risques, besoin accru de trésorerie pour financer les stocks, etc.). Dans le contexte économique actuel, cet épisode de gel pourrait donc constituer le point de départ d’un changement en profondeur l’industrie du vin qui favoriserait la concentration du secteur.
Jean-Marie et Eric
Jean-Marie Cardebat, Professeur d’économie à l’Université de Bordeaux et Prof. affilié à l’INSEEC Grande Ecole, Université de Bordeaux; Éric Le Fur, Professeur, INSEEC Grande École et Jean-François Outreville, Professeur émérite, Burgundy School of Business
Image à la Une : domaine Arica
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.