Et qu’est-ce qu’on fait des bouteilles vides ?

Tu les déposes comme d’habitude au conteneur du coin de la rue. Une routine qui tourne sauf quand la benne déborde le dimanche soir avec son lot de cadavres le trottoir. Le recyclage du verre à Nantes est un sujet de fierté pour l’agglomération avec un taux de collecte record de 85%. Mais un doute s’installe. La situation énergétique du moment remet en question la vertu essentielle du verre, celle de son recyclage à l’infini.

Composé de silice (sable très fin), de calcin et divers additifs, on le concasse, on le chauffe, on lui donne une forme nouvelle et le tour est joué. Sauf que le recyclage nécessite énormément d’énergie, en raison de la refonte du verre à 1600°C durant 24h, tout est dit. Alors que fait-on ? Voilà que la consigne du verre bouteille revient au goût du jour.

Même si le souvenir du gamin de la rue Mouffetard immortalisé par Henri Cartier Bresson en 1952 nous rappelle un passé plutôt misérable.

Mais là on parle de la consigne du XXIème siècle, écologique, numérique, en économie circulaire à base de collecte, de nettoyage et de redéploiement des bouteilles.

RAMENEZ-MOI, S’IL VOUS PLAÎT

Vous laissez vos bouteilles dans les bacs là-derrière ; seulement les bouteilles de 75cl. Normalement on ne reprend que celles qu’on a vendues ici. Le gérant de mon magasin Biocoop est un peu agacé, surtout quand je lui demande à combien il me reprend les bouteilles ; visiblement, il ne s’attendait pas à ces nouvelles contraintes du bio local.

Davy, le patron d’ABC Terroirs une cave, épicerie fine et produits locaux bien implantée à Nantes, me donne ce conseil : c’est Bout à Bout qu’il faut contacter, ils pilotent la filière de réemploi des bouteilles dans la région. ABC Terroirs joue le jeu en reprenant pour 20 centimes uniquement les bouteilles qu’il a vendues. Un geste commercial, on est solidaire du projet, les clients nous posent beaucoup de questions.

C’est le domaine Landron Chartier à Ancenis, qui est à l’origine du mouvement, aussi j’exprime ma solidarité envers Bernard et Benoît en achetant une bouteille de leur Coteaux d’Ancenis Malvoisie dont l’étiquette héberge deux toutes petites vignettes : « Ramenez-moi, Bout à Bout » et « Rapportez moi pour réemploi ».

La piste Bout à Bout, me conduit à Célie Couché, adepte du zéro déchets, qui développe depuis 7 ans une filière écoresponsable de réemploi de bouteilles de verre (vin, bière, cidre) financée jusqu’à présent sur fonds publics. Tout s’accélère en 2022 avec l’explosion des prix de l’énergie.

La structure associative se transforme pour accueillir une levée de fonds citoyenne de 400 000 € sur Lita.co, elle vient de recruter un directeur général connaisseur de l’agro-alimentaire et se déploie « à fond la caisse » comme le montre cette vidéo activiste :

DES CHIFFRES TROP MIROBOLANTS

L’affaire pourrait rapporter gros. Une étude d’ACV Deroche Consultants, validée par l’ADEME et citée par tout le monde pointe qu’avec « un réemploi des bouteilles lavées à l’échelle régionale, on peut économiser :  -76 % d’énergie, -33 % d’eau, et éviter -79 % d’émissions de CO2 par rapport au recyclage ». Et VinoFutur 2 de rajouter : «La bouteille pèse entre 34 et 55% de l’empreinte carbone d’un domaine viticole, plus que le vin. À titre de comparaison, le carburant du tracteur dans les vignes pèse moins de 16% dans ce bilan ».

La course au réemploi des bouteilles est lancée, les bénévoles font le tour des cavistes, des rayons bio et des vignerons du coin pour proposer logos, étiquettes et bacs de réemploi.

L’entreprise d’insertion Envie 44, assure la collecte des casiers à bouteilles. Un bel élan citoyen, certes, mais y-a-t-il un modèle économique derrière tout ça ?

ÉTUDE DE CAS FAÇON BUSINESS SCHOOL

La fabrication industrielle des bouteilles en verre est un secteur lourd, peu concurrentiel, très gourmand en investissement qui pèse en France près de 5 milliards d’euros. Il est dominé par trois multinationales (Verralia, ex Saint-Gobain, l’américain O-I, et l’espagnol Vidrala).

Avec 20 établissements verriers répartis dans les régions viticoles, le nombre de bouteilles fabriqués tournerait autour des 10 milliards d’unités par an. Ah, désolé, nos prix augmentent de 11,5% avec effet rétroactif malheureusement dit le commercial verrier.

Son client de la coopérative viticole est abasourdi, il essaie d’argumenter, rien à faire. Furieux, il menace d’aller à la concurrence mais elle a déjà majoré ses prix. En stratégie on appelle cela le pricing power.

Qui est le maître du jeu ?

Alors, lorsqu’on parle réemploi, nettoyage et redéploiement de la consigne notre sens civique est en émoi tout comme celui du monde politique et socio-économique. Les instances professionnelles, les vignerons, les brasseurs entrevoient une alternative possible au monopole des multinationales.

Imaginez qu’en 2025, le marché de la consigne du verre représente un petit 1%, ça ferait déjà un marché colossal de quelques dizaines de millions de bouteilles.

LE VIGNERON N’EST PAS LE PERDANT

Qu’est ce qui va pousser un vigneron à aller vers la consigne ? Certainement la transition écologique en marche dans son domaine, l’amélioration de son bilan carbone, un discours marketing plus percutant et surtout des économies très concrètes en achetant des bouteilles « d’occasion ».

Émeline Bergeron du domaine La Fessardière en muscadet bio aime agir en pionnière de la transition écologique. Attentive à son bilan carbone et à son compte d’exploitation, elle n’a pas hésité à souscrire à l’offre de bouteilles réemployées de Bout à Bout : Ils nous livrent les bouteilles que nous payons 0,25€ l’unité. Il faut compter le double maintenant pour les bouteilles des industriels.

Les quantités sont encore très faibles, mais c’est un énorme changement de mentalité, on est aussi poussé par les clients.

LE FAR-WEST DE LA CONSIGNE

Il y a quand même quelque chose qui bloque, un goulet d’étranglement : on ne sait pas (encore) laver les bouteilles de façon industrielle. Ma bouteille s’appelle revient (Locaverre) est un concurrent de Bout à Bout implanté sur les départements de la Drôme et de l’Ardèche. Ils sont partis très fort et ont même pris de l’avance avec une communication média percutante. Et surtout ils ont fait un gros investissement dans le lavage des bouteilles comme le montre ce reportage de France 3 Rhône-Alpes :

Le mouvement a complétement décollé depuis la sortie du Covid, les initiatives fusent partout en France, comme pour La Tournée : « le grand retour de la consigne » en région parisienne, les clients se font livrer chez eux avec leur appli mobile.

Ou encore celle de Le Fourgon, sur la région lilloise avec un système de livraison « chez vous » de boissons consignées dans leurs fourgonnettes électriques logotées ou l’Incassable à Marseille « le réemploi, c’est du solide », partenaire de plusieurs brasseries, ou encore la consigne Loop chez Carrefour, « en route vers le zéro déchet en magasin ».

Croyez-vous que les industriels verriers vont se laisser tondre la laine sur le dos ? Coïncidence, l’année 2022 a été proclamée : Année internationale du Verre par l’Assemblée générale de l’ONU avec mille et une promesses des industriels dont celle de réduire drastiquement leurs émissions de CO2 d’ici 2030. Et d’affronter les ONG qui poussent à la roue de la consigne : fabriquer des emballages en verre pour un usage unique est absurde, tout en bataillant contre l’adversaire de toujours : l’emballage plastique.

On vit dans un monde formidable….

Jean-Philippe

Ecrit par Jean-Philippe RAFFARD
--------------------------------------------------------------- Toujours volontaire pour une virée dans le vignoble du bout de la Loire, du bout de la France, du bout de l’Europe ou du bout du monde, là où il y a des vignerons, là où il y a du bon vin. Jean Philippe n’oublie pas sa vie antérieure en marketing-communication pour lever le voile sur le commerce du vin et l’ingéniosité des marchands.
Catégories : le métier

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