Le tonneau, comme le coq gaulois, est l’une des fiertés françaises.
Invention elle aussi gauloise, le tonneau est bien plus malin que l’amphore pour transporter des denrées liquides. Qu’on l’appelle fût de chêne, barrique à Bordeaux, pièce en Bourgogne, le tonneau a toujours fait la course en tête ; ça roule, ça s’empile, ça ne casse pas et normalement ça ne fuit pas. Certainement un don de Dieu, ce contenant magique, recyclable à vie, qui bonifie le vin et l’eau-de-vie ; c’est aussi un instrument de torture médiéval et le best seller de nos brocantes.
Le tonneau est bien le résultat du génie humain disent à l’unisson les quatre auteurs bourguignons de l’ouvrage « La noblesse du tonneau » (640 pages, 60€), un catalogue raisonné du tonneau à travers les âges magnifiquement illustré qui ravira le collectionneur.
Saviez-vous que ces blagueurs de Frères Lumière ont filmé en 1900 une utilisation très spéciale des tonneaux ? Chez Peter Jackson dans le Hobbit vous verrez que le tonneau aide à se faire la malle, mais n’essayez pas vous-même ! Par Toutatis, j’ai failli oublier Obélix !
Bref, quand l’occasion s’est présentée de visiter la Tonnellerie de Jarnac en Charentes, je l’ai saisie au vol. Cette entreprise familiale, indépendante, ancrée dans la tradition et ouverte à l’innovation fut rachetée en 2004 à la barre du tribunal par Bernard de Montaigu qui, après une carrière à l’international dans le textile, n’a eu de cesse d’investir et de la développer.
merci Robert !
La Tonnellerie de Jarnac qui produit environ 800 fûts neufs par an compte parmi les 80 tonneliers membres de la Fédération des Tonneliers de France, le plus souvent installés dans les régions viticoles. Quelques mots sur cette profession- petite par la taille mais grande par la renommée : un chiffre d’affaires de 430 M€ en 2017, 615 000 barriques fabriquées dont 70% partent pour l’export, USA en tête. La tonnellerie de France a énormément bénéficié de l’engouement pour le goût boisé promu par le critique américain Robert Parker à la fin du siècle dernier, sans oublier l’insolente santé économique des eaux-de-vie de Cognac.
Ah ! J’oubliai la vedette : le chêne français. Ce chêne de préférence sessile ou pédonculé est vieux de 150 ans quand il arrive à la merranderie puis à la tonnellerie. Il a été choisi pour ses qualités organoleptiques et son fameux «grain fin» dans les forêts du Val de Loire, du Centre, de Normandie, des Vosges et bien sûr la prestigieuse forêt du Tronçais dans l’Allier. Sa responsabilité est immense car il va élever les plus grands vins et eaux-de-vie de la planète en magnifiant leur bouquet tout en les enrobant d’arômes délicats. L’alchimie mystérieuse des tanins du bois fondus aux tanins du vin reste encore à expliquer.
Industrie de transformation ou artisanat d’art ?
Un peu des deux, ma foi, car on parle ici de maître tonnelier ou de Meilleur Ouvrier de France mais aussi de robotisation et de groupes de dimension internationale comme Oeneo, Taransaud ou François Frères.
Bernard de Montaigu était de retour d’un voyage aux USA. Il passe la majeure partie de son temps à courir le monde pour promouvoir sa tonnellerie et visiter ses agents en Europe, en Afrique du Sud, en Chine, en Amérique du Sud, en Australie. Comme le propriétaire d’un grand cru classé, il doit mouiller la chemise pour incarner l’excellence française ; son élégance aristocratique n’est pas le dernier de ses atouts.
Du chêne français pour préserver les forêts chinoises…
« Le marché est dynamique mais repose sur un équilibre de plus en plus fragile. Le chêne a vu son prix doubler en 10 ans, la matière première devient un produit rare, or elle représente de 30 à 60% du coût d’une barrique. » Les Chinois en seraient responsables, eux qui achètent massivement nos grumes pour préserver leurs propres forêts, comme le souligne l’économiste François Langlet.
« La filière est en demande de main-d’œuvre qualifiée, me dit Martine, son épouse, très au fait des questions de formation au sein de l’entreprise et de la profession. Autrefois, on était tonnelier de père en fils, aujourd’hui c’est moins le cas. Derrière le prestige et le savoir-faire reconnu, il y a des conditions de travail difficiles et la paie qui ne suit pas toujours.
C’est Jérémy, tonnelier qualifié et fils du responsable technique qui fut mon guide pour la visite de l’atelier. Ce solide gaillard a le mot rare mais le geste précis.
Je garde encore en mémoire la façon dont il a percé un tonneau pour placer la bonde et cautériser la « plaie » avec du feu et de l’eau. Un mouvement totalement maîtrisé, presqu’une chorégraphie.
La fabrication d’un tonneau est un artisanat visuel, aussi rien ne vaut une vidéo, extraite de Midi en France pour en comprendre les enchaînements.
Le contrôle qualité tient lui aussi du ballet lyrique tant l’enchaînement des gestes du contrôleur est précis et maîtrisé. Juste avant, le contrôle d’étanchéité tient du « torture test » avec l’eau et l’air injectés sous pression dans la barrique. La préparation des expéditions paraît anodine, mais il n’en est rien : « le bois est une matière vivante qui peut prendre les odeurs, c’est le savoir-faire de notre transitaire de trouver les bons conteneurs, ceux qui n’auront pas transportés des graisses ou des matières alimentaires dégradées par exemple.
Le contrôle va bien au-delà de l’aspect visuel du conteneur, un prélèvement d’air est systématiquement effectué et analysé en laboratoire avant de donner le feu vert, me dit Cynthia, responsable des expéditions.
Vous avez dit bousinage ?
C’est probablement le sommet du processus de fabrication d’un tonneau, celui qui associe les éléments prométhéens : le bois, le feu et l’eau au savoir-faire du tonnelier. « Cuisson œnologique du fût » selon le Dico du Vin, le bousinage est une opération de chauffe de finition qui permet de « toaster » l’intérieur des douelles selon la température et l’intensité voulues et régulée par l’eau vaporisée sur la barrique. A l’atelier, le contrôle laser des températures et des temps de chauffe s’affiche sur une batterie d’écrans de monitoring. Chauffe normale, longue ou cintrage vapeur, le client, l’œnologue, le maître de chai de la maison de Cognac vont ainsi décider du type de chauffe en fonction de l’objectif d’élevage, du cépage, du terroir et des arômes recherchés. Nous avons beaucoup investi dans la précision du bousinage en partenariat avec un laboratoire d’analyse pour établir un profil sensoriel pour chaque type de chauffe précise Bernard.
Le goût boisé excessif n’a plus le vent en poupe, le consommateur lui préfère aujourd’hui la touche légèrement boisée, mais comment « démocratiser » ce goût sachant que les barriques de chêne français coûteront toujours plus cher ? Question académique pour les postulants aux Masters of Wine. La Tonnellerie de Jarnac y apporte une réponse industrielle pragmatique : le vente de produits œnologiques, entendez par là les copeaux, staves à vin et autres cubes de chêne français introduits dans les cuves inox durant la fermentation. Mais chut ! Ne cassons pas le mythe.
Jean Philippe
image à la Une : ©eterritoire