C’est le temps des copains…

Vous savez ici, les vignerons présents sont mes invités, ce n’est toujours le cas, il faut le dire, dans les salons des vins, me glisse Fred Niger, vigneron infiniment respecté en Pays nantais et notre hôte du jour.

Un mot emprunté au guide Hachette sur ce vigneron issu du monde juridique et de l’internet.

« Frédéric Niger est arrivé en 2009 au domaine de l’Écu (24 ha aujourd’hui). L’ancien propriétaire, l’emblématique biodynamiste Guy Bossard, décédé en mai 2023, lui a transmis son savoir précieux jusqu’en 2013. Depuis lors, Frédéric poursuit le travail biologique (depuis 1975) et biodynamique (certifiée en 1998) de la vigne et s’astreint à une vinification la plus naturelle possible… Au-delà des flamboyants muscadets Classic, Granite, Orthogneiss et Taurus, l’audacieux vigneron expérimente vingt-huit cuvées en Vin de France vinifiées en amphore. Ces vins vivants nous font sortir de notre zone de confort gustative. »

Éloges amplement mérités pour celui – avec quelques autres- qui a non seulement sauvé le Muscadet de l’effacement mais réussit à le faire rayonner aujourd’hui aux quatre coins de la planète vin.

un rendez-vous incontournable

Cette 4ème édition du Temps des Copains, organisée par l’équipe du Vignoble de l’Écu, réunit sur deux jours bénis par une météo estivale soixante-dix vignerons venus de la France entière.

Les amis de Claire et Frank Niger sont là, qu’ils soient vignerons, voisins, admirateurs, fournisseurs, agents, cavistes ou amateurs avisés. Ceux qu’on a plaisir à sentir à ses côtés dans les moments de joie comme dans les moments difficiles.

Ses amis vignerons sont aussi ses compagnons de lutte dans le grand combat du bio et de la biodynamie mené depuis plus de 30 ans avec le succès que l’on sait. Chacun dans son appellation, dans son domaine a dû affronter les sarcasmes et les quolibets des collègues conventionnels qui «les prenaient pour des fous » et entravaient parfois leur travail.

Ces compagnons de lutte sont rassemblés dans des réseaux influents comme Renaissance des Appellations, les labels Demeter et Biodyvin. Leurs vins sont distribués dans les métropoles du Japon, de Corée, en Europe du Nord ou en Californie par les mêmes importateurs. Évidemment ça crée des liens.

jugé par ses pairs

En 2024, qui contesterait la prééminence du bio, voire de la biodynamie sur la viticulture utilisatrice de pesticides ? Ces « pionniers de l’excellence » ne se sont pas contentés d’apposer un label et respecter quelques principes. Ils innovent encore et toujours à la cave comme à la vigne, pour sortir de meilleurs raisins issus de cépages oubliés, des jus plus purs, plus « nature » plus ceci, plus cela.

Et qui peut mieux juger des avancées des uns et des autres ? Certainement pas les critiques internationaux empêtrés dans des enjeux financiers qui les dépassent. Être jugé par ses pairs, par ceux qui occupent le même rang, qui sont égaux en dignité, c’est l’ambition de l’artisan vigneron, fier de son métier et de ses vins.

La forte présence des vignerons de Loire n’avait rien de surprenant. Guiberteau, Huet, Fosse-Sèche, Sanzay, Pothiers, Grange Thiphaine et tant d’autres attiraient comme l’aimant le verre implorant du visiteur. Aussi il me vint l’idée d’aller échanger avec des vignerons un peu à l’écart, ceux pour qui l’engagement en biodynamie a été plus difficile. Et en premier lieu, les Bordelais.

JOIN THE BORDEAUX CREW !

Présent pour la première fois au Temps des Copains, le Clos Puy Arnaud est un domaine emblématique du Bordelais, plus précisément de Castillon-La-Bataille. Thierry Valette, son propriétaire est un grand nom de la biodynamie bordelaise tout comme Jean-Michel Comme, longtemps directeur du château Pontet Canet, cru classé 1855 de Pauillac.

Thierry Valette exploite ce petit domaine de 12ha situé sur un magnifique terroir dans la continuité du plateau calcaire de Saint-Émilion. Génération Vignerons l’avait rencontré à Saumur où il nous avait confié qu’il était adhérent à la fois à Demeter et à Biodyvin : Les deux organismes sont complémentaires, et même s’il y a des coûts en plus, j’y gagne par plus de connaissance, de retours d’expérience, de réseaux aussi.

Ce jazzman vigneron sait aussi être philosophe quand il fait sienne la devise du Mahatma Gandhi : «montrer l’exemple n’est pas le meilleur moyen de convaincre, c’est le seul ».

Son grand vin étant déjà dans ma cave, je fus séduit par sa cuvée Bistrot 100% malbec tout en fraîcheur et en éclat de fruit, largement distribuée à moins de 13€.

UN COUPLE AUX CARMELS

Quittons les rives de la Dordogne pour celles de la Garonne avec Yorick et Sophie Lavaud venus présenter leurs vins et leur domaine Les Carmels, à Cadillac. Leurs 5 ha de vignes cultivées en agriculture biologique d’un seul tenant sont bien enracinés sur un mamelon d’argile et graves coiffant une roche mère calcaire.

Lui est un ingénieur agronome épris de nature, Sophie, elle, administre et commercialise, tâches au combien stratégiques à Bordeaux en ce moment.

Pour eux, Il n’y a pas que la vigne dans la vie agricole. Le verger et le potager s’imposent dans leur projet de maraîchage. L’idée étant d’arriver à un écosystème riche autonome et hétérogène. Copains comme cochons ! c’est le nom de sa cuvée du Temps des Copains. Un cabernet franc vinifié en blanc de noir, peu alcoolisé, élevé en jarre de grès. C’est frais, croquant et gourmand, un poil perturbant.

La cuvée Renaissance, 100% cabernet franc, libère, elle, une explosion aromatique cassis/violette. On y voit une parenté certaine avec notre « breton » du Val de Loire, avec plus de rondeur et d’intensité, peut-être. Pourquoi en Vin de France ? Vous croyez qu’on vendrait quelque chose en AOC Cadillac Côtes de Bordeaux ? Tout est dit.

HALTE À LA MAISON BLANCHE

C’est Nicolas Despagne qui m’accueille. Lui n’est pas un Grand d’Espagne, mais un grand nom du Bordelais, membre de la confrérie Bordeaux Pirates. C’est mon frère qui dirige Grand Corbin Despagne, grand cru classé de Saint Émilion. A la succession, j’ai pu reprendre Maison Blanche en AOC Montagne Saint-Émilion, sous le nom de Despagne-Rapin, un patronyme bien connu à Bordeaux.

Mais c’est sa conviction bio et biodynamique (Demeter) depuis 15 ans qui fait la différence. Les vins de Nicolas Despagne sont « naturels, sincères et authentiques » comme affiché sur sa charte éthique. Château Maison Blanche est le grand vin du Domaine – mi merlot mi cabernet- qui n’a rien à envier à un Saint-Émilion Grand Cru, si ce n’est le nom.

Ah ! cruelle réalité foncière qui fait vendre moitié moins cher, un vin issu de vignes de l’autre côté du chemin. Son Vinum Simplex est une perle rare, une solera – ou cuvée éternelle- de cabernet franc. Explication : les millésimes sont élevés dans un même fût et quand on soutire pour la mise en bouteille, on complète avec le dernier millésime à la façon andalouse. Encore une fois, l’audace et créativité signent un (certain) renouveau de Bordeaux.

AOC POMEROL

Ma quatrième étape bordelaise me conduit à un stand très fréquenté : le domaine Gombaude-Guillot, en AOC Pomerol. Est-ce la perspective de déguster un vrai pomerol ou le charme solaire de Marine Techer qui créait l’affluence ?

Là encore, Olivier Techer, en tandem avec son père a pris le virage de la biodynamie dès 2008 pour ses 8 ha de vignes situés au cœur de l’appellation.

Un vigneron qui aime casser les codes comme l’exprime sa cuvée Pom’N Roll, avec une vinification la plus naturelle et un assemblage de merlot, malbec et cabernet qui n’a pas connu la barrique. Derrière l’étiquette un peu déjantée, il y a un grand vin avec de la rondeur, du fruit rouge frais, des épices, des tanins soyeux et une surprenante longueur.

Petit rappel, le prix moyen des vignes en AOC Pomerol s’élève à 2 M€/ha (voir le Prix des Vignes 2024).

LA FAMILLE TODESCHINI

Le passage chez les frères Todeschini fut malheureusement trop bref. Juste un échange et une dégustation avec Karl ou peut-être Yann, l’un des deux frères bâtis comme des internationaux de rugby. Famille vigneronne depuis trois générations, on remerciera au passage l’aïeul venu d’Italie qui a fait des investissements judicieux.

Les frères Todeschini exploitent le château Mangot, grand cru classé de Saint-Émilion ainsi que le château La Brande en Castillon-Côtes-de-Bordeaux. S’il sont venu un peu plus tardivement à la biodynamie, ils mettent les bouchées doubles, tellement convaincus de ses apports. La cuvée Préface MMXXII est ésotérique pour l’amateur non accompagné d’un guide, en l’occurrence l’un des frères Todeschini. Sur les coteaux argileux de Castillon, la famille a planté leur premier cépage blanc, un merlot blanc issu d’un métissage de merlot noir et de folle blanche renouant avec une tradition ancienne. Finalement, ce vin rare ressurgi du passé est bien sympa à boire !

Un petit signe à Fred Niger pour le remercier de son accueil et une pensée admirative pour cette « élite vigneronne». Elle n’est pas dans l’esbrouffe ni dans l’arrogance, juste dans la démonstration des savoir-faire vignerons. Ils font le job, leur job, ils sont heureux d’être ensemble et si vous voulez être de la fête, vous n’aurez pas à attendre trois plombes pour votre allocation.

Jean-Philippe

Ecrit par Jean-Philippe RAFFARD
--------------------------------------------------------------- Toujours volontaire pour une virée dans le vignoble du bout de la Loire, du bout de la France, du bout de l’Europe ou du bout du monde, là où il y a des vignerons, là où il y a du bon vin. Jean Philippe n’oublie pas sa vie antérieure en marketing-communication pour lever le voile sur le commerce du vin et l’ingéniosité des marchands.
Catégories : événements et salons

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