Il y a plein de raisons de s’interroger sur le bien fondé de maintenir une viticulture traditionnelle alors que les conditions de production -à commencer par les conditions climatiques- n’ont plus rien de traditionnelles. Les modèles, sur lesquels nos anciens s’appuyaient, sont-ils encore à jour ? Que faut-il en garder ? A commencer par les cépages.
Mais de quoi parle-t-on ?
La création de variétés de vignes résistantes aux maladies s’accélère depuis une quinzaine d’années pour réduire le recours aux phytos et faire face au réchauffement climatique. Une technique qui consiste à insérer les caractères de résistance de vignes américaines et asiatiques dans le fond génétique des vignes européennes (Vitis Vinifera).
En fait le sujet n’est pas nouveau : saviez-vous que ces cépages hybrides couvraient 30% du vignoble français jusqu’en 1958 ? Sauf que la qualité et la typicité des vins n’étaient pas au rendez-vous.
Les lois de la protection des appellations d’origine leur ont donné un sérieux coup de frein à partir des années 30. Merci l’INAO !
De sorte qu’en 1951 exit les hybrides en AOC. Puis en IGP. La plantation de cépages résistants n’est alors possible que pour la catégorie des Vins de Table (catégorie appelée aujourd’hui Vins de France).
Une spécificité française
Si, en France, l’hybridation diminue, elle se maintient ailleurs en Europe : Allemagne, Suisse, Hongrie, République tchèque, qui n’éprouvent pas les mêmes réticences…
Cependant la Recherche reprend les choses en mains dans les années 70, avec à sa tête l’Inrae et l’IFV . Il faut se rappeler que le développement d’un cépage résistant s’écrit sur un temps long : 15 ans ! Aujourd’hui quelques variétés résistantes (4) ont été classées définitivement au catalogue officiel des variétés de vigne de FranceAgriMer : Artaban, Floreal, Vidoc et Voltis sans compter celles qui ont été classées définitivement par l’Allemagne (9) et par l’Italie (1).
Certaines IGP peuvent y avoir recours depuis 2019.
C’est le cas du Domaine de Revel qui a lancé un vin blanc sec sous IGP Comté Tolosan, 100 % souvignier gris, un cépage tolérant au mildiou et à l’oïdium : Notre vignoble est soumis aux influences climatiques atlantiques et méditerranéennes. Nous sommes autant soumis au mildiou qu’à l’oïdium » précise le vigneron, Mickaël Raynal dans Vitisphère.
Cependant l’introduction de ces nouveaux cépages ne manque pas de poser un certain nombre de questions :
Les anciens contre les modernes ?
Justement ce sujet était l’objet d’un débat au dernier Wine Paris. Le sujet : Cépages résistants ou matériel végétal endogène ?
C’est un faux débat pour Xavier Planty président de l’ODG Sauternes et copropriétaire du Château Guiraud qui s’insurge contre ce qu’il appelle la pensée unique, scientifique, selon laquelle il faut toujours aller chercher la solution plus loin : le problème des pesticides ne se situe pas au niveau des cépages mais au niveau de nos pratiques agronomiques aujourd’hui. Nous avons la démonstration que par des pratiques agronomiques cohérentes, quand on a des sols qui sont vivants eh bien le problème de pesticides devient excessivement marginal…
Pour lui, on oublie trop vite que les anciens vignerons ont fait du vin dans des conditions bien pires puisque ils étaient incapables de prévoir les attaques de mildiou, d’oïdium. Alors qu’aujourd’hui, avec les systèmes de modélisation, de prévisions, on peut mettre en place des stratégies qui permettent de maintenir des cépages à un très haut niveau et sur une longue histoire.
A l’INAO, en la personne de Christian Paly, président du Comité Vins, on partage ce point de vue à la nuance près que les AOC nées en France en 1935 n’ont pas figé dans le marbre des règles, des façons de faire. Les AOC sont un élément vivant un peu comme une langue vivante, qui s’améliore, qui évolue dans sa grammaire, dans son vocabulaire et les AOC des années 30 ne sont plus les AOC de 2020 : ces dernières continueront à évoluer parce que nous sommes tout sauf une langue morte.
Des vins qui ne feront plus rêver
Xavier Planty : quand on fait un vin d’appellation d’origine contrôlée eh bien on suscite chez nos clients un imaginaire qui est très fort et qui ne peut pas simplement se réduire à des problèmes de techniques. Cet imaginaire, le jour le jour où on aura des cépages résistants industriels, et bien on sera complètement à côté de la plaque. Il ne faut pas oublier qu’on n’aura jamais de la syrah résistante du merlot résistant et du cabernet sauvignon résistant. On aura d’autres cépages, d’autres trucs qui ne seront jamais du vitis vinifera.
Le vigneron bordelais nous propose une image forte : La comparaison n’est pas scientifiquement parfaite bien entendu mais la différence génétique entre un humain et un chimpanzé c’est 1%. La différence génétique entre un vitis vinifera et un hybride c’est 3 à 4% !
Vitis vinifera le mantra des AOC
Pour Christian Paly, pas de quoi s’inquiéter : la réglementation communautaire en l’état interdit l’utilisation d’autres cépages que des vitis vinifera dans les AOP. Mais l’adaptation du matériel végétal ne passe pas que par du croisement. On a oublié dans beaucoup de régions des anciens cépages qui ne sont plus utilisés aujourd’hui et qui pour autant répondaient aux exigences en matière de sécheresse de résistance à des maladies. N’est-ce pas le rôle de l’INAO, le rôle des syndicats d’appellations, de s’interroger sur la réintégration de ce type d’outil végétal ?
Par exemple le manseng, le castets, font partie de ces cépages tardifs oubliés dans le Bordelais. Ils sont pourtant issus des piémonts pyrénéens.
Retour aux sources
C’est bien là qu’il faut avancer pour Xavier Planty : Je pense qu’il y a plein de cépages accessoires qu’on a mis de côté…Ce que je regrette c’est que tous les financements sont mis pour la recherche sur les cépages résistants. Mais ça l’Inrae est très fort pour capter les budgets ! Il faut aussi qu’il y ait des recherches sur l’agroécologie, sur la vie des sols, sur les symbioses, sur ce qui fait le terroir.
Car, pour le vigneron sauternois, Il n’y a aucune raison que la vigne souffre de façon irrémédiable de la sécheresse alors que l’on sait qu’avec des pratiques agronomiques cohérentes il est possible de stocker 60% d’eau en plus et d’avoir un système racinaire jusqu’à 30m de profondeur.
Les hybrides au crash test
Christian Paly : pour retrouver de la réactivité, pour retrouver de l’oxygène en matière de capacité à expérimenter l’INAO a fait évoluer ses règles il y a 2 ans maintenant et nous avons la possibilité, j’insiste bien dans le cadre de vitis vinifera, d’avoir non plus la liste des cépages principaux d’une AOC et la liste des cépages secondaires de l’AOC, nous avons inventé une troisième liste qui est une liste de cépages en vue d’une adaptation climatique avec un maximum de 5% de l’encépagement de l’appellation et un maximum de 10% d’une capacité d’assemblage au sein de l’appellation.
C’est bien cette capacité d’expérimentation dans l’appellation qui était plébiscitée par toute la profession.
Une affaire de gros sous ?
Au delà de l’expérimentation, Xavier Planty a bien son idée là dessus : vous n’aurez jamais un cépage qui durera 50 ou 60 ans. Le croisement s’affaiblit avec l’âge et le mildiou contourne la résistance. Donc pour moi il faut être conscient de ça…j’ai été producteur de maïs. Et bien on change de maïs hybride tous les 4 ou 5 ans parce que la variété s’affaiblit. Et là c’est pareil.
Et d’enchérir par cette mise en garde : Vous acceptez que votre matériel végétal soit aux mains de 3,5,6, planteurs au niveau mondial et vous n’êtes plus maître de rien du tout. C’est pour ça que je suis contre. Je souhaite garder ma liberté. Dans l’agriculture on a beaucoup trop sous-traité nos origines de semences, de matériel végétal, aujourd’hui je crois qu’il n’y a que 3 ou 5 gros groupes mondiaux…Et rassurez-vous ils sont derrière la recherche, à l’affut et le marché viticole est un marché qui les intéresse beaucoup…beaucoup !
François
Image à la Une : © Pépinières Viticoles Amblevert
Bonjour François,
Très bon article qui nous conforte dans notre vision.
Si vous recueillez des infos sur les anciens cépages locaux qui seraient adaptés à plus de chaleur et sècheresse, ça m’intéresse.
Bonne fin d’année, a bientôt Yves
Merci Yves, c’est promis ! Bonne fin d’année à Pique Russe !