Le saké japonais est la seule boisson au monde qui se déguste entre 0 et 50°C pour nous offrir une palette aromatique infinie ! Voici les mots prononcés par Xavier Thuizat, Meilleur Sommelier de France, Meilleur Ouvrier de France et Saké Samouraï, venu spécialement à Lille pour faire découvrir la versatilité de cette boisson nippone. Ancien élève du lycée hôtelier de Tain-l’Hermitage, actuellement chef sommelier de L’Écrin, le restaurant de l’hôtel Crillon à Paris, Xavier Thuizat a offert de son temps aux Lillois alors qu’il venait de recevoir la veille le prix Michelin 2024 de la sommellerie.
Fusion de talents
L’occasion ? Une soirée exceptionnelle orchestrée par Stéphanie Hennion, créatrice et dirigeante de l’école de vins et spiritueux Déjeunons Sur l’Herbe.
L’envie de Stéphanie était de réunir des talents autour de la création d’un menu unique, fusion entre la cuisine française pour un accord harmonieux avec cette boisson japonaise millénaire qui peut surprendre plus d’un en bouche.
C’est à Lille au restaurant l’Octopus que les cinq services ont été créés d’une main de maître par Nicolas Choquet après de nombreux échanges avec le spécialiste en sakés, Xavier Thuizat. Les sakés ont été fournis par un autre passionné lillois, le caviste Les vins d’Aurélien.
Les Hauts-de-France, terre du saké ?
Et s’il y a une région qui devrait apprécier le saké, c’est bien le Nord selon le sommelier, car le saké se situe à mi-chemin entre la bière et le vin… Il s’agit d’une fermentation de riz, issue d’un brassage précis pour transformer l’amidon en sucre puis en alcool produit au coeur de brasseries japonaises ! Les brasseries japonaises servaient autrefois les samouraï, guerriers de l’Empire. On en dénombrait plus de 30 000 au XIXème siècle alors qu’aujourd’hui la chute est vertigineuse, pour atteindre moins de 1500 (les chiffres continuent de baisser).
C’est donc vers l’export que le saké a de l’avenir, par la conquête du cœur des Européens.
Le saké en cocktail
Nous débutons en toute convivialité autour d’une grande tablée telle une paulée par des mots d’introduction au saké suivi d’un cocktail spécialement créé pour l’occasion par le mixologue passionné et autodidacte du bar récemment ouvert au cœur de la métropole, GPRS.
Le vin a son terroir autour du sol, du climat et du savoir-faire alors que le terroir du saké repose sur l’eau, le riz et le savoir-faire. L’eau est d’une importance capitale, bien différente de celle que nous connaissons car au Japon, elle est 7 à 12 fois plus pure qu’une bouteille d’Evian !
Nous dégustons le Martini Saké, créé à base d’un Junmai Daiginjo produit avec la levure numéro 7 connue pour ses arômes de pomme acidulée et « citrus » (agrumes) auquel vont venir en écho le Martini, un gin dry aux notes agrumées, du vermouth des Alpes aux notes herbacées, quelques gouttes d’essence de citron « maison » et deux gouttes d’absinthe ! En bouche, un cocktail frais, doux sans la lourdeur du sucre que l’on peut retrouver parfois dans certains cocktails et un fruité explosif !
shintoïsme vs longueur en bouche
Puis, nous poursuivons avec ce que l’on pourrait appeler le miroir du vin nature, un Namazaké (Schichiken), un saké non pasteurisé, fragile et à la durée de vie courte (environ 6 mois). Légèrement perlant, il offre un nez exubérant, frais, éblouissant par sa délicatesse.
Sous les conseils de Xavier Thuizat, nous apprécions cette notion d’évanescence recherchée par les Japonais : les Français aiment dans le vin une grande longueur en bouche, alors que le principe du shintoïsme, c’est ressentir l’instant présent et être au plus près de l’eau.
C’est la quête d’un excellent saké !
comme une sauce
Rien de tel qu’un accord frais avec un carpaccio de Saint Jacques accompagné d’une glace au kombu (algue japonaise). Pour apprécier l’accord, mâchons le plat et appliquons le saké en bouche comme la sauce d’un met. Voilà, l’émotion est là, courte, fraiche, iodée et nette ! Puis, nous écoutons une brève explication sur l’importance de la nature au Japon, où 95% des productions agricoles sont bio, chaque être vivant étant considéré comme une représentation de dieu et donc à traiter avec respect. Le riz subit des taux de polissage différents selon les sakés : moins nous le polissons et plus nous obtiendrons un nez de céréales.
levures sous contrôle
Le saké est très sensible aux variations de température, c’est pourquoi la période idéale pour sa fermentation est l’hiver. Il commence à fermenter dès 5°C alors que le vin débutera autour de 15°C. C’est une levure incroyable, soigneusement sélectionnée par le gouvernement japonais. Car au Japon, seules 1% des levures sont indigènes, le restant est contrôlé par l’Etat. Il existe une centaine de variétés de riz à saké dont dix seulement produisent 99% des sakés (Yamadanishiki, Omachi, Gohyakumangoku). Au Japon, il faut compter 150 000 pieds de riz à l’hectare alors qu’en France, on parle de 3500 pieds de vignes.
le saké et le néant
L’eau qui alimente les rizières mais qui sert aussi dans les brasseries pour la production de saké est capitale. C’est l’eau de Fushimi qui est considérée comme la plus sacrée au Japon : elle est 17 fois plus pure et plus douce que celle d’Evian.
Xavier Thuizat explique son ressenti : On a cette sensation de zéro absolu, la beauté du néant !
Pour ce faire, nous poursuivons avec le saké Koikoi Junmai Ginjo, d’une incroyable délicatesse aux arômes de poire tout en finesse et un second nez de banane fraiche suivi des notes végétales fraiches d’anis et de fenouil.
Koikoi, c’est la carpe japonaise, alors quoi de mieux que de le déguster avec un sandre cuit délicatement au jus d’agrume et du fenouil.
Maroilles et saké
La dégustation s’enchaine avec un saké Junmai Amabuki selon la méthode ancestrale Yamahai. Yamahai est une méthode traditionnelle pour laquelle la patience est de rigueur : les brasseurs attendent que le pied de cuve déclenche sa fermentation naturellement sans la provoquer par une quelconque modification de température. La dégustation monte crescendo avec un saké extrêmement fin au nez, une délicatesse crémeuse en bouche et cette sensation soyeuse.
Un crémeux que l’on apprécie avec l’audace du chef Nicolas Choquet d’avoir créé un lien avec la région par une écume aux Maroilles servie sur une volaille. Le saké contrairement au vin ne vous provoquera pas d’aigreur à l’estomac car très faible en acidité. Vous retrouvez la signature racinaire des sakés de tradition Yamahai, riches et amples.
Tout au long du menu, une verrerie réfléchie a été adaptée à chaque service : depuis le verre à cocktail en passant par les verres à vin et coupelles en porcelaine. Le saké adore l’oxygène et son aromatique évolue selon l’importance accordée à la verrerie.
saké givré
Enfin, une expérience inédite pour nombre d’amateurs ce soir-là sera de déguster le même saké selon deux températures de service. Xavier Thuizat prépare ainsi selon la méthode traditionnelle du bain-marie la chauffe idéale à 37°C du saké Sayori Nakadori à déguster absolument avec un Comté affiné…
Tandis qu’il sera apprécié servi frais dans une coupelle de porcelaine avec de la brousse de chèvre surmontée d’écorces râpées de cédrat pour accentuer la fraicheur. Les sakés servis les plus froids, à -5°C sont givrés et connus sous le nom « mizore saké ».
Enfin, nous terminons par une note sucrée, une sorte de liqueur de yuzu, fraiche et acidulée le Yuzu-shu servi avec une méringue au thé vert matcha surmontée de crème matcha et clémentines. Et à la fin de tous ces services ? Une sensation de légèreté, de douceur s’ensuit au contraire des menus français traditionnels !
Audrey