Si je vous dis que je suis une petite appellation par la taille, que je suis située sur la rive droite bordelaise, majoritairement sur des plaines proches de la Garonne et que le merlot y occupe la place du roi, à quelle appellation pensez-vous ? Il y a de fortes chances pour que cela soit Pomerol qui vous vienne à l’esprit.
Avec ces 800 hectares de vignes, elle coche tous les critères énoncés et sa réputation est reconnue dans le monde entier.
Si vous allez à quelques kilomètres à l’ouest, Canon-Fronsac et ses 280 hectares remplit également les mêmes critères. Comment se fait-il que deux appellations si proches, avec autant de points communs, n’aient pas la même destinée ?
Je vais tenter de vous donner quelques explications.
Les terroirs, des différences subtiles
Situées de part et d’autre de Libourne, les terroirs de Canon-Fronsac et de Pomerol reposent sur des molasses dites du Fronsadais. Spécifiques à cette région, elles proviennent de l’accumulation de roches sédimentaires. La base du terroir est donc la même d’autant que l’altitude est la même pour les deux appellations. Ce qui diffère, c’est le sol affleurant. Quand à Canon-Fronsac, c’est le complexe argilo-calcaire qui prédomine, à Pomerol, ce sont des sables, des graviers et des argiles que l’on trouve. Dans les deux cas, c’est un royaume d’expression pour le cépage phare de la rive droite bordelaise.
Cité pour la première fois en tant que “merlau” dans le vignoble libournais, il serait originaire de la région. Parfaitement adapté aux terroirs de nos deux appellations, il est évidemment autorisé dans les deux cahiers des charges. Les habitudes de la région et son expression hautement qualitative en font le cépage souvent majoritaire dans les assemblages. Signe de son extraordinaire potentiel, il n’est pas rare que l’assemblage d’un certain Petrus contienne plus de 90% de Merlot.
Finalement, la qualité reconnue des deux terroirs et les cépages autorisés constituent la base idéale pour faire de grands vins de garde. Où se situent les différences alors ? Allons faire un tour du côté de l’histoire.
La réputation, une course croisée
Aux XVIIIème et XIXème siècles, les terroirs de Canon-Fronsac, comme ceux de Fronsac, étaient plus connus que ceux de Pomerol à tel point que leurs vins se vendaient plus cher que ceux de Saint-Emilion, alors une des références de l’époque.
Éminents représentants de la région à l’époque, leur situation a bien évolué depuis, notamment par la faute d’un petit puceron, puissant ravageur des vignes. C’est que la crise du phylloxéra a eu l’effet d’une bombe dans le vignoble hexagonal.
Parmi les victimes, nos deux appellations. Seulement Pomerol a su se relever plus facilement que Canon Fronsac. L’accès aux vignes y était plus simple et les négociants plus proches : la majorité des bureaux étaient à Libourne. Moteurs de la fameuse place de Bordeaux, ils ont joué un rôle prépondérant dans la reconnaissance de Pomerol par la promotion et la diffusion des vins qu’ils vendaient. C’était sans compter sur une grande famille de Pomerol.
Une famille au coeur du succès de Pomerol
Derrière la réussite d’un vignoble, d’un domaine, il y a aussi la réussite des personnes qui le portent. Et à Pomerol, les membres de la famille Moueix ont eu un impact considérable sur le destin de l’appellation.
Acquéreurs de Petrus dans les années 50, ils le font découvrir notamment aux époux Kennedy aux Etats-Unis et le placent sur les plus grandes tables du monde, démarrant la construction d’un statut iconique pour ce fameux Petrus.
Également négociants et propriétaires d’autres domaines sur Pomerol, ils œuvrent sans relâche à la renommée de ce petit morceau de terre.
Une force à Pomerol, l’esprit de village
Il semble également qu’un esprit singulier règne dans les vignes. L’entraide et la camaraderie y sont encore bien implantées. Aurélie Carreau, vigneronne à la Tribune, micro-propriété de 0,5 ha, en témoigne : “L’esprit de village est très fort ici. Depuis que je travaille dans l’appellation, j’ai toujours connu ça. Et cela donne très envie d’y rester” confie-t-elle.
Hors des classements qui règnent sans partage dans la région bordelaise, Pomerol est installé sur un socle “terroir – esprit de corps” suffisamment solide pour éviter les guerres de clocher. Je ne prends pas trop de risques en pensant que l’avenir de ses vins est radieux autant dans ses qualités que dans ses succès commerciaux.
Allons maintenant voir ce qui se passe à l’Ouest de Libourne.
Canon-Fronsac : un village “vert”
Essentiellement constitué de propriétés familiales, les domaines se connaissent et se côtoient depuis des générations générant un esprit d’entraide très fort. Pour preuve, Hélène Ponty nous raconte : “Quand j’ai besoin d’un outil, je peux appeler presque toutes les propriétés voisines de la mienne pour en emprunter un. Pour gérer une galère, c’est la même chose. Il y a deux ans, par exemple, quand mon tractoriste a renversé notre pulvérisateur en plein traitement, toute l’équipe de mon voisin est venu nous aider à le remettre debout”.
En plus d’être tourné vers le collectif, le renouvellement au sein des familles est à l’œuvre. Ainsi, l’appellation Canon-Fronsac est portée par la dynamique de sa jeunesse.
Tournée vers l’agriculture biologique ou la biodynamie, ces nouvelles générations sont en train de certifier près de la moitié du vignoble (!!!), bien au-dessus de la moyenne régionale évaluée à 12%.
C’est le cas de La Dauphine, du domaine Jean Yves Millaire ou bien encore des Vignobles Ponty.
Canon-Fronsac, un manque de leader ?
Il se trouve que la famille Moueix, les mêmes qu’à Petrus, ont aussi investi à Canon Fronsac (un signe qui ne trompe pas sur la qualité des vins !) devenant propriétaires de domaines à la fin du XXème siècle. Depuis lors, ils les ont cédées à d’autres familles, désireuses de s’implanter dans l’appellation.
Des domaines, comme le Château Vrai Canon Bouché ou la Dauphine jouissent d’une réputation intéressante mais, contrairement à Pomerol, aucun domaine ne semble prendre le leadership de Canon-Fronsac.
N’est-ce pas là le challenge des années à venir ?
Je le crois très fortement et la génération actuellement au commande des domaines, pétrie de talent et de conviction, doit prendre cet objectif à bras le corps.
Florian
Voilà un article très plaisant à lire, documenté et qui ouvre à nouveau le débat sur une des injustices récurrentes dans le monde vin : la reconnaissance de la grande qualité des vins (ici de Canon-Fronsac) par le marché et les réseaux de ventes. Un grand merci à Florian.