Bordeaux brisé, Bordeaux outragé, Bordeaux ressuscité ! Le flot d’éloges et de commentaires enthousiastes qui ponctue les dégustations des Primeurs 2020, a de quoi redonner la foi aux plus sceptiques. La capitale mondiale de vin est de retour, sachez-le ! Et ce n’est pas le succès de Bordeaux Fête le Vin ce week-end qui viendra le contredire.
UNE RÉSILIENCE STUPÉFIANTE
La libération des contraintes sanitaires a surement joué un rôle dans cette déferlante d’optimisme au moins autant que la brillantissime campagne marketing en France et à l’international qui a orchestré l’événement des Primeurs. Les Echos Spécial Vins titrait sur la «nouvelle esthétique des vins de Bordeaux » avec la bénédiction des châteaux qui s’affichent sur une dizaine de pages publicitaires. Les grands hebdomadaires et quotidiens ont suivi, ne voulant pas passer à côté de cette manne tombée du ciel. La résilience de Bordeaux est stupéfiante, on brûle les anciennes idoles : la retraite de Parker a fait souffler un grand vent de liberté déclare l’œnologue Stéphane Derenoncourt tandis que le marchand Bernard Le Marois (Wineandco) pousse à la dépense : c’est un millésime de sortie de crise, personnellement j’en achète en pagaille.
L’ACHAT DÉCOMPLEXÉ
Rien n’est plus facile que d’acheter un grand vin de Bordeaux. Ici pas besoin de venir de la part d’un tel ou un tel, de jurer vos grands dieux que vous n’allez pas le placer illico sur le Bon Coin. Vous avez le choix : soit l’achat en primeur du dernier millésime (livraison dans 12 à 18 mois) soit l’achat classique pour les millésimes plus anciens.
Vous disposez d’un peu de cash ? Eh bien, sachez que le grand vin 2020 du Château Angelus, Premier Grand Cru Classé A de Saint Emilion noté 98-99 par la critique vous attend dans les sublimes caves de la famille de Boüard de Laforest, présente depuis huit générations. Angélus, j’adore ce nom qui évoque bien sûr la célèbre peinture de J-F Millet (musée d’Orsay) le fier labeur et la beauté simple de la vie.
Revenons à notre achat, vous pourriez passer commande sur le site agréé Millesima de 3 bouteilles, il vous en coutera 916€ ht. Vous ne manquerez pas de suivre les évolutions de votre investissement en mettant une alerte sur le site d’Idealwine. Peut-être aurez-vous la chance de mettre en pratique la promesse des clubs d’investissement : on achète trois bouteilles, on en revend deux pour déguster gracieusement la troisième. Il n’est pas incompatible d’être féru de vin et investisseur avisé.
Le critique Jacques Dupont qui connait mieux que personne les ventes en primeurs précise dans édito du Point Bordeaux 2020 : Le traditionnel amateur de vin a laissé souvent la place à des organismes spécialisés, des fonds de pension parfois, qui évidemment ne se serviront jamais d’un tire-bouchon.
L’optimisme de la place de Bordeaux provient bien évidemment de la trilogie exceptionnelle 2018-2019-2020 mais aussi de l’essor considérable de la financiarisation et du «vin-papier.»
Est-ce l’argent facile, les taux bas, l’afflux de liquidités qui font monter les actions, l’immobilier, le bitcoin et tous les actifs tangibles ?
L’investissement. Le tiers des ventes des grands vins ?
Ce sont les Anglo-saxons et leurs fonds de pension qui dominent ce business avec le LIV-ex Fine Wine fournisseur des cotes, évaluations des experts, données et historique des transactions des plus grands vins de la planète.
L’indice Liv-ex Fine Wine 100, composé des 100 vins les plus cotés – la moitié pour Bordeaux- n’a rien fait ces 10 dernières années, préparez-vous au rattrapage !
Les « petits » très touchés par la mévente peuvent espérer grappiller quelques pourcents. Les Crus bourgeois revalorisent leurs millésimes antérieurs en particulier l’excellent 2016 qui est sorti, malheureusement pour lui en pleine turbulence.
Justement voici un Grand Cru Classé qui s’affiche sur La Grande Cave en exhibant ses 16 évaluations comme un général de l’Armée rouge plastronnait ses décorations. Ça fait de l’effet au premier regard, puis on se demande s’il n’y en pas un peu trop.
Château Batailley, 2016, 5ème GCC de Pauillac cherche à se vendre à plus de 70 € la bouteille, alors on ne lésine pas sur l’affichage de ses qualités. Mais suis-je vraiment la cible ? Essayons de comprendre comment la « machine spéculative » bordelaise fonctionne. Si j’achète une caisse de vin dans un but d’investissement, ce n’est pas le prix unitaire de la bouteille qui compte, mais la progression de sa valeur à 3, 5 ou 10 ans.
C’est la même logique pour une action cotée. Le vin n’est que le support – le sous-jacent- de l’investissement, comme peuvent l’être les matières premières, le cacao, l’or ou le bitcoin.
LA TYRANNIE DU CLASSEMENT 1855
Le château Batailley est un 5èmeGrand Cru Classé tout comme ses 18 collègues, les châteaux Belgrave, Camensac, Dauzac, Haut-Bateilley, Cantemerle, Pedesclaux, etc.
La dure loi de classement 1855 impose à chaque niveau un couloir de prix. Les Premiers sont à 500€ minimum la bouteille et les cinquièmes (et dernier) à 35-50 € la bouteille. D’ailleurs sa cote aux enchères sort à 44 € sur Idealwine.
Aie ! C’est beaucoup trop bas pour la famille Castéja, propriétaire de 10 châteaux et gros négociant. Alors on va booster l’excellent millésime 2016 à un prix nettement plus élevé pour créer du mouvement et intéresser les investisseurs. Et peut-être figurer dans le « CAC 40 » des Grands Crus Classés de Bordeaux. Pour ce faire on multiplie les dépenses marketing et les dégustations d’experts. Évidemment les investisseurs qui achètent du « vin-papier » n’en boiront sans doute jamais une goutte mais se frotteront les mains si sa cote a doublé en 5 ans.
J’espère que vous avez compris, moi pas vraiment et ça me confirme dans mes recherches de petits bordeaux géniaux à moins de 15 euros avec l’aide de mon caviste.
Jean Philippe
Cher Monsieur,
Je suis assez surpris par les propos et la teneur de votre article concernant Batailley et la Grande Cave.
Si jamais un jour vous souhaitez en discuter, je me tiens bien évidement à votre disposition pour en parler.
Sincères salutations,
Frédéric Castéja
Merci M. Castéja pour votre commentaire et pour notre entretien qui a suivi. Je conviens parfaitement qu’une phrase de l’article peut sembler déplacée car elle vous met en cause.
D’autant que l’investigation que vous m’avez suggérée aboutirait plutôt à une modération tarifaire pour l’ensemble de vos vins.
Soit. Je redis ici que le Pauillac GCC Batailley 2016 est un excellent vin, comme en attestent ses 16 notes élogieuses, peut-être pas à la portée de toutes les bourses quand même. Jean-Philippe Raffard