À quel prix acheter vos vins ? Demandez à l’algorithme !

Tous les ans, entre avril et juin, Bordeaux entre en effervescence. C’est la campagne des Primeurs. Ce moment où les vins, encore en élevage dans leurs fûts de chêne, sont goûtés par les professionnels, les journalistes et les grands experts. Tous pourront se faire une opinion sur la qualité des vins présentés.

Les grands experts donneront des notes pour chaque château, tandis que les châteaux annonceront les prix en primeur de leurs vins. Ce prix auquel les négociants pourront immédiatement acheter les vins et les revendre dans la foulée aux professionnels comme aux particuliers. La livraison effective des vins n’aura lieu que l’année suivante, lorsque le vin aura terminé son élevage et aura été mis en bouteille.

Lorsque les premiers prix « sortent », une grande fébrilité s’empare de la filière. Quelle va être la tendance du marché ? Quel château va se montrer raisonnable ou, au contraire, déraisonnable en augmentant fortement ses prix au risque de mal vendre ses vins ? Quelles sont les « bonnes affaires » ?

La sortie des prix primeurs est commentée abondamment sur toute la planète vin. Les acheteurs et les vendeurs s’entendent finalement rarement sur la notion de juste prix.

C’est ici que les économistes interviennent.

Définir le « juste prix »

La notion de « juste prix » est une des plus anciennes questions économiques. Introduite par Aristote, développée par Saint-Thomas d’Aquin, elle sera au centre des ouvrages économiques d’Adam Smith, de David Ricardo et de biens d’autres encore. En dehors de sa dimension morale, elle renvoie à un prix qui reflète les déterminants économiques fondamentaux et qui, par définition, ne doit être ni sur ni sous-évalué, ne lésant ainsi ni l’acheteur, ni le vendeur.

Décomposer le prix d’un vin en fonction de l’ensemble de ses caractéristiques, tout en prenant en compte les cycles du marché et les déterminants économiques de la demande, permet d’évaluer précisément le juste prix d’un vin. Ce juste prix est donc issu de facteurs idiosyncratiques et de facteurs communs influençant le marché du vin.

Dans une étude à paraître, nous nous sommes livrés à cet exercice. Nous avons cherché à estimer le « juste prix » des primeurs bordelais de ce printemps 2022 sur la base de la dynamique des prix depuis le milieu des années 2000 sur le marché secondaire, sur lequel s’organise la revente des bouteilles, les variables économiques influençant la demande. Partant du fait que les marchés primaires et secondaires sont forcément reliés, nous avons construit un modèle d’estimation du prix des vins sur le marché secondaire que nous appliquons ensuite aux vins sortant sur le marché primeur.

Ainsi, le prix d’un vin va dépendre de sa réputation (la prime liée à la marque telle que repérée sur le marché secondaire), de son âge (un an de plus/moins donne un prix plus élevé/moins élevé de 3 %), de la qualité du millésime (repérée par les grands experts) et de la qualité intrinsèque du vin (issue des grands experts également sous la forme de notes). Ce modèle a un pouvoir explicatif très fort avec 98 % de la variance des prix expliqués.

Appliqué aux primeurs, il fonctionne très bien. Les premières sorties révèlent que la plupart des châteaux (au moment où nous écrivons) sortent à un prix conforme à leurs fondamentaux issus du modèle. À titre d’exemples, le célèbre château Cheval Blanc a été lancé au prix de 390 euros quand le modèle donnait un prix fondamental de 384 euros ; le cinquième cru classé 1855 de Médoc, Château Cantemerle, est sorti à 18 euros pour un prix fondamental de 18,90 euros. En moyenne, le taux de divergence entre le modèle et les dix premières sorties est de 2,27 %.

Trois châteaux seulement s’écartent significativement de leur prix fondamental (en les excluant, le taux de divergence du modèle passe à 0,41 %), à la hausse comme à la baisse. Cette différence peut s’expliquer par des stratégies commerciales particulières avec des arbitrages opposés entre la création de valeur liée à un prix élevé et l’écoulement rapide des volumes lié à un prix mesuré. Cet écart peut aussi s’expliquer par une lecture particulière de l’évolution à venir du marché ou encore une volonté de positionnement différent du vin (volonté de montée en gamme par exemple).

Bientôt des sommeliers virtuels ?

Mais l’enjeu est ailleurs. Pour intéressante que soit l’étude des prix des primeurs bordelais, c’est l’extension de cette étude aux vins « grand public » disponibles dans les canaux de distribution standards qui pourrait impacter le marché de masse (mass market).

Au regard de l’ampleur des bases de données disponibles sur le web concernant le vin, cette méthodologie peut en effet être étendue à des dizaines de milliers d’autres vins. Rappelons que la seule application Vivino revendique plus de 50 millions d’utilisateurs et compile de l’information (y compris des notes sur les vins données par les utilisateurs) pour, justement, plusieurs dizaines de milliers de vins. Modéliser le juste prix de ces vins apparaît donc possible, toute l’information étant disponible.

Un chercheur australien a d’ailleurs déjà créé un petit algorithme permettant de sortir le « juste » prix d’un vin en fonction des caractéristiques rentrées par l’utilisateur.

Nul doute que de nouveaux algorithmes, plus performants et, surtout, brassant beaucoup plus de vins, vont fleurir. Le développement des notes et des commentaires issus des consommateurs eux-mêmes sur les applications dédiés aux vins enrichira en données ces algorithmes qui délivreront des prix « fondamentaux » ou « juste prix » pour éclairer les consommateurs dans leurs choix.

De la même façon que l’intelligence artificielle est largement utilisée dans le conseil pour le choix des vins (en fonction de vos, goûts, de vos achats précédents, de ce que vous aimez manger, etc.), les sommeliers virtuels seront certainement capables très bientôt de vous dire à quel prix acheter un vin.

Devant un rayonnage, il vous suffira sans doute de scanner des prix et des bouteilles pour que le sommelier virtuel vous dise si vous faites une affaire ou s’il vaut mieux passer son chemin.

Cet outil d’aide à la décision, amené à se développer, conduira à une meilleure efficience du marché en réduisant l’asymétrie d’information qui pèse sur le consommateur confronté à un choix délicat face à des centaines de vins. On ne peut que s’en réjouir.

Philippe

Philippe Masset, Professeur associé, Haute école spécialisée de Suisse occidentale (HES-SO); Jean-Marie Cardebat, Professeur d’économie à l’Université de Bordeaux et Prof. affilié à l’INSEEC Grande Ecole, Université de Bordeaux et Jean-Philippe Weisskopf, Associate Professor of Finance, École hôtelière de Lausanne, Haute école spécialisée de Suisse occidentale (HES-SO)

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.

Ecrit par Philippe
Catégories : le métier

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