L’émotion est là, le cœur bat un peu plus vite, la bouche s’assèche lorsqu’on la découvre à droite du pont levant Chaban Delmas en venant de la rive droite. Un choc visuel, le cerveau se met aussitôt en mode références : des marqueurs architecturaux défilent dans ma tête : Fondation Louis Vuitton à Paris, le MuCEM de Marseille, des souvenirs plus lointains, Guggenheim Bilbao, ou le Museum of Anthropology de Vancouver…. Bordeaux a son totem : la Cité du Vin et toutes les raisons d’en être fier, d’autant que cette Fondation pour la culture et les civilisations du vin, catalyseur de toutes les énergies, place le mécénat au coeur du dispositif.
La cathédrale, c’est comme ça qu’on l’appelle ici, me dit une gironde bordelaise, voisine de file d’attente. Je la regarde incrédule, tout le contraire de la cathédrale Saint-André avec ses flèches élancées ; mais non, là on sait qu’on n’y verra pas les barbus ! Soudainement, tout s’éclaire : l’architecte Anouk Legendre* du cabinet XTU dénie farouchement : Non, non, il n’y a aucune référence à une architecture religieuse…même si on avait le sentiment qu’ici à Bordeaux, le vin était comme une religion.
Lisez ou relisez Le Vin et le Divin de Jean-Robert Pitte, et vous comprendrez comment le vin et la vigne sont l’essence même de la civilisation judéo-chrétienne. Curieuse coïncidence, la Géorgie berceau de la civilisation du vin est le premier vignoble invité à l’été 2017. Pour avoir été moi-même en Géorgie, je puis vous dire que là-bas, les habitants n’ont pas honte d’afficher leurs racines chrétiennes orthodoxes. Après Charles Martel à Poitiers, Alain Juppé lance-t-il le premier acte de résistance à Bordeaux ?
Les louanges vont être nombreuses,
alors procédons avec méthode : trois jours après l’inauguration, le lieu est nickel-chrome et vous apporte ce bonheur indicible du toucher, des odeurs et de la lumière du flambant neuf. Les équipes de GO sont accueillantes et souriantes, palliant un certain manque d’expérience par une extrême bonne volonté. Le lieu est inspirant presque euphorisant, il éveille votre curiosité, libère votre énergie ; vous vous surprendrez montant quatre à quatre les escaliers conduisant au 1er et 2ème étages – pour le belvédère-dégustation c’est au 8èmeétage, par l’ascenseur. Il n’était pas question de faire un musée du vin ; pour moi la Cité du vin serait plutôt comme un smartphone avec beaucoup d’applications pour entrer dans les châteaux, les vignobles, le monde du vin en général. C’est à nous de concevoir les applications et au public de choisir parmi elles souligne Gary Shelley*, directeur artistique de l’agence scénographique britannique Casson Mann.
Éblouissante scénographie !
qui associe nos sens et notre imaginaire et aussi beaucoup d’audace pour offrir une splendide immersion dans les civilisations du vin. Des trouvailles, des idées lumineuses comme ce peep-show revisité pour découvrir quelques bachannales licencieuses. Ce buffet des 5 sens où un dispositif ingénieux composé d’un cornet, d’une petite pompe et d’une cloche en verre « redonne confiance en vos sensations olfactives ».
Ce compagnon de voyage, un guide interactif composé d’un casque placé au dessus des oreilles, permettant de converser avec ses voisins et d’une télécommande disponible en 8 langues qui s’utilise pour déclencher les contenus audio et vidéo ; une prouesse technologique exclusive de l’entreprise berlinoise Tonwelt. Immersion totale dans un monde d’images parfois surdimensionnées, parfois si proches du visiteur comme cet entretien virtuel avec le chef Hélène Darroze.
Rien d’arrogant côté Bordeaux ;
Bien sûr la ville hôte, capitale mondiale du vin, occupe la place qui lui revient, mais les autres civilisations du vin ne sont pas en reste : un tour du monde présente 18 régions viticoles, nous avons volontairement choisi des vignobles contrastés et parfois surprenants, comme les vignobles volcaniques, les terrasses ou les grandes vallées de vigne à perte de vue explique Véronique Lemoine*, responsable scientifique.
Il y a aussi cette animation sur les grands fleuves du vin, là où Loire, Rhône, Seine, Douro, Rhin partagent l’espace avec la Garonne. Démonstration est faite que sans une voie fluviale de communication, il ne pouvait y avoir de grands vignobles.
La saga historique de Bordeaux, depuis sa période romaine en passant par les deux siècles d’occupation anglaise mentionne le progrès décisif pour la santé de la vigne que fut l’invention de la bouillie bordelaise (Alexis Millardet, 1882).
Je pensais aux milliers de tonnes de cuivre déversés depuis plus d’un siècle sur les 118 000 hectares du vignoble : sans conséquence ? Et là, disons que le discours tenu sur la viticulture est très conventionnel, comme le sont les pratiques culturales des grands domaines. Comme tout un chacun, j’aime les vins loyaux, bon au goût, sain au corps, respectueux de l’environnement et de la santé de ceux qui l’ont fabriqué.
J’ai cherché vainement un espace dédié à la responsabilité environnementale
pour trouver finalement le tête-à-tête avec les experts, où ces questions sont abordées indirectement. Philippe Hernandez*, responsable de la programmation culturelle dévoile le projet des Mardis de la Cité : des rendez-vous qui offrent la possibilité au public de rencontrer, écouter et débattre avec des acteurs différents, un peu à la façon de C à Vous ; le premier mardi du mois, des débats scientifiques sont prévus avec la présence de chercheurs . J’espère qu’il n’oubliera pas d’inviter Alfred Tesseron, le propriétaire du château Pontet-Canet, grand cru classé de Pauillac qui pratique la biodynamie depuis 2004 avec des résultats exceptionnels et beaucoup de choses à dire sur la responsabilité environnementale.
L’aventure de la Cité du vin ne fait que commencer.
Jean Philippe
* les propos prêtés à Anouk Legendre, Garry Shelley, Véronique Lemoine et Philippe Hernandez sont extraits de la revue Terre de Vins hors-série juin 2016
Photo à la Une : ©XTU/Anaka/la Cité du Vin