Petits mais costauds, des champignons améliorent la nutrition et la santé des vignes

Avec ses 6 000 à 15 000 variétés cultivables enregistrées, la vigne est l’une des cultures pérennes les plus valorisées au monde. Elle présente en effet une surface de production de 7,3 millions d’hectares pour une valeur économique d’environ 37,6 milliards d’euros. La France, avec plus de 10 % de la surface viticole mondiale, est en 2023 le premier pays producteur de vin avec plus de 45 millions d’hectolitres, mais également le premier exportateur de vin au monde. La filière viticole compte plus de 600 000 emplois directs et indirects en France, et représente plus de 15 % de la valeur de la production agricole.

Avec l’émergence de nouvelles méthodologies et technologies permettant d’extraire et de travailler sur l’ADN, l’ARN et les protéines, la recherche scientifique a montré que les macro-organismes vivants, tels que les plantes, les animaux et les insectes ne sont pas des individus isolés dans leur environnement. En effet, ceux-ci interagissent avec de nombreux microorganismes tels que les bactéries, les champignons et les virus.

Le concept d’holobionte décrit une unité écologique, prenant en compte l’organisme hôte et tous les micro-organismes avec lesquels il est associé et interagit. Au sein de l’holobionte vigne, les racines, tout comme celles de la majorité des plantes terrestres, interagissent avec certains champignons du sol appelés champignons mycorhiziens à arbuscules (CMA). Ceux-ci forment une symbiose mutualiste à bénéfices réciproques, la symbiose mycorhizienne à arbuscules. Cette association symbiotique racinaire, dont les plus anciens fossiles remontent à environ 450 millions d’années, aurait participé au passage de la vie aquatique à la vie terrestre, c’est-à-dire à la colonisation des terres émergées par les plantes.

Des champignons indispensables pour la vigne

Les hyphes des CMA sont des filaments plus ou moins ramifiés qui peuvent mesurer de quelques centimètres à plusieurs mètres de long. Les hyphes extra-racinaires des CMA se développent dans le sol et extraient l’eau et les nutriments minéraux (ex. azote, phosphore). Leur diamètre (5-10 µm), beaucoup plus petit que celui des racines les plus fines (100 µm), permet ainsi à la plante d’explorer un volume de sol plus important (au moins 40 fois plus) et d’en extraire plus de nutriments.

Schéma de l’interaction entre champignons et ceps.
Sophie Trouvelot, Fourni par l’auteur

On estime que jusqu’à 70-80 % du phosphate et 30-40 % de l’azote d’une plante proviendrait des CMA. L’eau et les nutriments minéraux sont transportés par ce réseau d’hyphes jusque dans les racines où ils sont échangés contre des composés carbonés (sucres et lipides) issus de la plante au niveau des arbuscules. La plante, elle, est la seule source de carbone des CMA. On estime que jusqu’à 20 % des composés carbonés produits par la plante sont transférés au CMA. En plus de leur rôle central dans la nutrition des plantes, les champignons mycorhiziens à arbuscules apportent d’autres services à celles-ci. Ils participent notamment à l’amélioration de la résistance des plantes face à différents stress abiotiques (ex. déficit hydrique, salinité, contamination par des métaux lourds) et biotiques (résistance induite par la mycorhization contre des agents pathogènes).

Favoriser les cycles biologiques des sols

La viticulture de demain sera assurément basée sur une gestion agroécologique des parcelles afin de favoriser les cycles biologiques des sols. L’agroécologie peut se définir comme l’application des concepts et principes de l’écologie à la conception et à la gestion d’agroécosystèmes durables. Dans le cadre de cette transition agroécologique en faveur d’une viticulture durable basée sur des changements de pratiques (ex. limiter l’utilisation des intrants chimiques de synthèse tels qu’engrais et pesticides), la valorisation des services apportés par les microorganismes du sol et en particulier par les CMA est devenue d’un intérêt crucial.

Aujourd’hui, la valorisation des services apportés par les CMA, en viticulture mais aussi en agriculture, repose essentiellement sur l’inoculation. En Europe, le nombre d’entreprises commercialisant des inocula a explosé, passant de 10 à plus de 75 ces 20 dernières années. Cependant, plus de 75 % des inocula vendus sont formulés avec seulement quatre espèces de CMA. Depuis peu, des entreprises proposent, à partir de sol prélevé dans une parcelle, de multiplier les CMA indigènes, en utilisant différentes plantes pièges, avant de les inoculer dans la parcelle prélevée. Une offre pléthorique de divers inocula est ainsi proposée aux professionnels, des viticulteurs aux pépiniéristes, en passant par les interprofessions.

Cependant, force est de constater que la qualité de ces inocula est extrêmement variable, suggérant l’utilité de la mise en place d’un cahier des charges de la qualité des inocula commerciaux. De plus, l’impact environnemental de ces inocula est rarement testé et le réel bénéfice économique lié à l’inoculation pour l’agriculteur ou le viticulteur est difficile à évaluer. En effet, des effets contrastés peuvent être observés en fonction du mode d’application, de la plante voire même de la variété.

La valorisation des services apportés par les CMA indigènes présents dans les sols est certainement une stratégie prometteuse dans la gestion des cultures, qu’elles soient annuelles (ex. céréales, légumineuses) ou pérennes (ex. vigne). Un objectif majeur est d’optimiser les services apportés par les CMA en utilisant comme modèle de fonctionnement celui des écosystèmes naturels. L’évaluation et la gestion des services fournis par les CMA deviendront l’un des principaux défis de la production végétale dans un contexte d’agriculture écologiquement responsable et durable. Ainsi, les CMA ont toute leur place dans l’ingénierie agroécologique qui a pour objectif de concevoir des systèmes agricoles durables, basés sur l’exploitation des processus écologiques et des régulations biologiques tout en ayant un bénéfice pour l’homme et la biosphère.

C’est pourquoi il est nécessaire de comprendre les mécanismes complexes qui sous-tendent l’établissement et le fonctionnement de la symbiose mycorhizienne à arbuscule, c’est-à-dire de comprendre quelles sont les fonctions (ex. nutrition phosphatée, résistance au stress) apportées par cette incroyable diversité de champignons et comment ces fonctions, liées aux champignons colonisant les racines, évoluent au cours du développement et de la vie de plante. Fournir un service de diagnostic et de conseils adapté à la viticulture est un attendu utile pour préserver et optimiser les services rendus à la vigne par cette symbiose.

Les progrès récents dans notre compréhension du fonctionnement de cette symbiose mutualiste permettent de développer et d’utiliser des « marqueurs fonctionnels » qui peuvent être définis comme des « indicateurs de processus biochimiques entiers répondant à un évènement donné ». Ces marqueurs fonctionnels peuvent être des molécules porteuses d’information génétique (ex. ARN), des protéines ou même des métabolites. La qualité de ces marqueurs est une des clés pour évaluer la place et le rôle de la symbiose mycorhizienne à arbuscules au vignoble (ou au champ), optimiser les services qu’elle peut apporter et apporter des conseils aux professionnels et les aider à participer à la prise de décisions visant à optimiser la santé et la protection des vignes.

C’est ainsi qu’au sein de l’Unité Mixte de Recherche Agroécologie de INRAE Bourgogne Franche-Comté de Dijon, nous développons actuellement une approche basée sur l’utilisation de marqueurs fonctionnels chez la vigne, une plante d’intérêt agronomique au niveau tant régional que national et international.

Un prérequis a été l’identification de marqueurs potentiels avec des essais menés dans des conditions contrôlées (sous serre). Ces candidats identifiés, il reste indispensable de les valider sur différents couples de porte-greffes/cépages, en conditions fluctuantes de vignobles des différentes régions françaises, comme internationales. Dans un second temps, ces marqueurs pourraient alors être également transférés à d’autres plantes d’intérêt agronomique telles que les céréales et les légumineuses.The Conversation

Pierre-Emmanuel Courty, Directeur de recherche – Inrae – Physiologie des interactions plante microorganismes racinaires, Inrae; Antoine Sportès, Docteur en biologie moléculaire végétale, Inrae; Daniel Wipf, Professeur de biologie et physiologie végétales, Université de Bourgogne et Sophie Trouvelot, Enseignant-Chercheur en sciences et santé de la vigne, Université de Bourgogne

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.

Image à la Une : John Cameron / UnsplashCC BY-SA pour The Conversation

Ecrit par Pierre Emmanuel Courty Antoine Sportès, Daniel Wipf, Sophie Trouvelot
Catégories : le métier

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