Pas de Chablis sans huîtres !

Les relations entre vins et géologie sont bien connues dans notre pays. Des excursions sont organisées et des livres entiers y ont été consacrés. Parfois la liaison n’est pas évidente au profane, car les noms se ressemblent : par exemple les terrasses en graves du Médoc (par exemple graves argileuses ou graves argilosableuses) et le vignoble des Graves. Par ailleurs, beaucoup de vins sont des assemblages de cépages différents (merlot, cabernet franc et cabernet sauvignon, dans le Bordelais aussi).

La Bourgogne (au sens large, comprenant l’Auxerrois) semble offrir l’exemple le plus simple, car ses vins sont très majoritairement constitués d’un seul cépage : le chardonnay pour les blancs et le pinot noir pour les rouges.

Nous avons vu dans notre série consacrée aux paysages du Tour de France que les vignes des côtes de Bourgogne sont plantées sur un coteau tourné vers l’orient (d’où le nom Côte d’Or), de direction nord-sud, allant partout de l’altitude 550 m à 200 m vers la plaine de la Saône. Les vignobles s’étagent de 250 à 350 m. Tout semble donc identique, et pourtant on trouve, au nord, les côtes de Nuits et, au sud, les côtes de Beaune, deux appellations distinctes.

Certes, l’altitude a une incidence, mais l’autre différence notable tient au terrain : du Jurassique moyen au nord et du Jurassique supérieur au Sud. La logique est la même pour le Chablis.

« Cuvée des dinosaures »

Etiquette d’un vin de Bourgogne soulignant « Mon vin puise arôme en Terre » et tirant son nom d’une période géologique.
Jean-Marc Brocard

De nombreux viticulteurs, dans l’appellation de leur vin, soulignent le terrain sur lequel poussent leurs vignes en mettant en avant certaines de ses caractéristiques géologiques. Certains utilisent une subdivision de l’échelle des temps géologiques et appellent leur cuvée « Jurassique » ou « Kimmeridgien » (il s’agit du deuxième étage stratigraphique du Jurassique supérieur, qui date d’il y a 155 à 149 millions d’années environ) pour un Bourgogne de la région de Chablis.

Etiquette d’un Bourgogne nommé d’après un dinosaure emblématique.
Domaine Ferrer Ribière

D’autres mentionnent des minéraux (Cuvée Aragonite pour un Mâcon), des roches (Amphibolite pour un Muscadet), ou des fossiles, comme Ampelomeryx pour un Côtes de Gascogne, Cuvée du Ptérosaure pour un Saint-Chinian ou encore « cuvée des dinosaures » pour une blanquette de Limoux. Mais celui qui m’a la plus impressionné est le Syrahnosaurus Rex des côtes catalanes qui associe le nom du cépage (syrah) et le célébrissime Tyranosaurus rex !

Chablis et huîtres fossiles

Nombreuses sont donc les évocations des fossiles trouvés dans les vignobles. Mais un seul requiert la présence de certains fossiles pour donner droit à une appellation : le chablis. En effet, pour produire du chablis, le sous-sol doit appartenir à un niveau bien précis du Jurassique : le Kimméridgien. Ce sous-sol est riche en petites huîtres fossiles en forme de virgule : les Exogyra virgula.

Ces petites huîtres (environ 1 cm) sont des marqueurs géologiques qui vont de pair avec le vin de Chablis.
P. de Wever, Fourni par l’auteur

Pendant le Kimméridgien, il y a plus de 150 millions d’années, le niveau bas d’une ancienne mer chaude a facilité le mélange de dépôts carbonatés avec les éléments issus de l’érosion terrestre, comme l’argile. Ce phénomène explique la présence de marnes et de petits fossiles d’huîtres dans les sols datant du Kimméridgien. Ce sous-sol particulier contribue à la minéralité du Chablis.

Remarquable association que ces huîtres et ce vin. Ces huîtres fossiles ne peuvent toutefois rassasier que l’appétit de connaître… seul le breuvage satisfait le gastronome.

Carte géologique du Chablis et de ses vins.
P. de Wever, Fourni par l’auteur

La relation entre les couches géologiques comportant ces huîtres et la qualité des vins ressort bien sur les schémas ci-dessus, tant sous forme de carte que de coupe verticale.

La carte montre que l’on retrouve les crus de Chablis sur les marnes du Kimméridgien (bleu vert). Les « grands crus », eux, se retrouvent sur les pentes les plus raides, dotées d’un ensoleillement plus important (étant tournées vers le sud-ouest) que les « premiers crus ».

La diversité des terroirs protège le vivant

À noter, d’ailleurs, que certains vignobles n’ont pas été touchés par le phylloxera, redoutable maladie de la vigne, de par leur type de terrain.

Feuille de vigne touchée par le phylloxera.
Judy Gallagher/Flickr, CC BY

Ainsi, les vignobles sur terrains sableux n’ont pas été affectés lors des grandes crises du début du XXe siècle. Ceci pour une raison toute simple : l’insecte doit passer une partie de sa vie dans des galeries souterraines qui ne tiennent pas dans le sable !

Dans ce cas précis, la vigne a été protégée parce que l’insecte ravageur et le terrain ne s’accordaient pas.

La place de la géodiversité, c’est-à-dire la diversité des paysages et des terroirs, est à la base de l’ensemble des écosystèmes terrestres et marins. Cette partie « non-vivante » de la nature joue donc un rôle crucial dans la conservation des espèces et de leurs habitats.

Ce fait est de plus en plus reconnu dans le monde scientifique, aussi bien à l’échelle locale que régionale. De fait, vins et fromages font la célébrité de la France. Si un pays doit être conscient des relations sous-sol, plantes et gastronomie, c’est bien la France.The Conversation

Patrick de Wever, Professeur, géologie, micropaléontologie, Muséum national d’histoire naturelle (MNHN)

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.

Image à la Une : Barmalini / Shutterstock pour The Conversation

Ecrit par Patrick de Wever
Catégories : le métier

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