Une personne seule à la tête d’un domaine, un duo à la vigne comme à la ville, deux passionnés engagés ensemble, toutes ces combinaisons sont légions dans nos chers domaines viticoles. Trouver un trio relève de l’exploit mais que dire d’un quatuor ? C’est de cette aventure extraordinaire, au sens propre du terme, dont il est question dans cet article. Pour se faire, direction une région qui me touche au cœur par la grande qualité de ses vins et la beauté intemporelle de ses paysages : j’ai nommé l’Alsace !
mettre ses vignes au pot
A l’origine de ce collectif des Funambules, il y a quatre personnes : Suzy et Gilles Thomas, frère et sœur à la ville, Cyril Heitzmann et Guillaume Schneider. Tous originaires de la région et tous potes, ils ont grandi et vécu leur jeunesse au sein de familles déjà impliquées dans la vigne et dans le vin à Ammerschwihr notamment, superbe village d’Alsace.
L’histoire a commencé, sans qu’il le sache, par Gilles. En effet, il intègre dès sa sortie d’études le domaine de 6 hectares du papa pour l’épauler au début des années 2010 afin de reprendre petit à petit les rênes de l’activité. Au moment justement de faire ce choix crucial, c’est Suzy, sa sœur, qui le rejoint en 2016.
Mais une question les taraude : est-il possible de s’associer pour le meilleur, et pas pour le pire, entre frère et soeur ? Ils discutent, réfléchissent et tombent d’accord sur leur besoin de développer une autre forme de gouvernance, différente des lieux communs dans ce monde viticole.
Pour répondre à ces questionnements, rien de tel qu’une soirée entre amis. Et c’est justement à ce moment-là que Cyril et Guillaume débarquent. Après une décennie à faire de la prestation pour d’autres domaines, le père de Cyril lui propose de reprendre ses 5 hectares de vignes.
L’occasion rêvée d’envisager une association entre les deux familles dans les vignes et dans les statuts ! Suzy, Gilles et Cyril mettent en commun leur patrimoine terrien (11 hectares) et embarquent Guillaume (ainsi que quelques parcelles de vignes de sa propre famille) avec eux au détour d’un verre et d’une discussion : voilà comment naît leur histoire commune.
mousquetaires à la vigne et au chai
Après deux ans de travail, c’est donc en 2020 que les Funambules, Groupement Agricole d’Exploitation Commune (GAEC) est officiellement lancé. Avec quel credo ? Le sacro-saint équilibre que ce soit dans leur groupe comme dans tous les aspects de leur vie, personnelle ou professionnelle, dans les vignes, et pour finir dans les vins. Comme pour montrer la fragilité autant que la force nécessaire à un tel projet, c’est à l’image d’un funambule, en recherche permanente de ce précieux équilibre, qu’ils ont choisi de s’identifier.
Dans leur groupe donc. C’est par la gouvernance partagée qu’ils mettent en application cette recherche d’équilibre.
Dans un premier temps, chacun fait ce qu’il savait faire de mieux avant les Funambules que ce soit la vigne, la vinification ou bien le commerce.
Ce qui doit permettre d’atteindre dans un second temps une forme de maturité à partir de laquelle chacun devra être en mesure de remplacer un des quatre autres comparses en cas de besoin ou simplement d’envie. Quand l’individu est au service du collectif en somme !
En parallèle de cette évolution et pour grandir sereinement, ils poursuivent ensemble l’activité de prestation viticole initiée par Cyril et Guillaume et la vinification de quelques cuvées du domaine paternel de Suzy et Gilles, de façon à accompagner la trésorerie des Funambules. Après quelques années à fonctionner de la sorte, une étape importante est franchie en 2022 puisque ce millésime est le premier où notre quatuor récoltera les 11 hectares du domaine pour les besoins uniques des Funambules.
L’Agroécologie ou rien
Passons aux vignes maintenant. Au cours de cette fameuse soirée lors de laquelle les Funambules ont été imaginés, il y a eu une évidence dans les échanges : celle de passer l’ensemble des hectares cultivés à l’agroforesterie. C’est entre autres Ver de Terre Production, une remarquable association travaillant sur les sols, qui permet de les aiguiller vers cette pratique. Alors simple effet de mode ou bien conviction profonde ? Il n’y a qu’à discuter avec eux quelques instants pour comprendre de quel côté le GAEC se trouve.
Plus qu’une conviction, c’est même d’une nécessité absolue dont il s’agit au moment de démarrer la culture de la vigne.
Dès la première année, le fauchage de l’herbe comme le labour sont arrêtés, les engrais organiques sont mis de côté, le groupe leur préférant le semi d’engrais verts (plantes, légumineuses etc).
Des nichoirs et des arbres sont plantés pour développer entre autres des habitats pour les oiseaux et des zones ombragées et plus fraîches pour les vignes (bien nécessaires en ces temps de dérèglement climatique).
Peu soucieux du quand-dira-t’on, pourtant réel quand ce genre de virage est opéré, ils foncent à la poursuite de leur conviction. Le résultat mettra du temps à se faire sentir dans les sols comme dans les vins, certainement une décennie voire même plus.
Toujours est-il que le plaisir de venir travailler dans un environnement vivant, peuplés d’animaux est un réel bonheur pour notre quatuor.
Prendre plaisir à aller à son bureau n’est pas donné à tout le monde.
Avant, ils l’espèrent, de montrer par l’exemple, à défaut de démontrer par la science, que leur pratique est à minima viable économiquement (crainte majeure d’autres domaines) et surtout durable, principal défi de notre siècle.
Leur vin, pour se faire plaisir
En plus du plaisir de travailler dans un superbe environnement, ils ont également récolté leurs premiers fruits issus des arbres plantés la première année.
Un pas de plus vers une autonomie toujours plus grande au domaine. Comme on l’a dit, l’impact de leur travail se fera certainement sentir dans les vins (est-ce seulement la vie des sols ? difficile à dire) dans les années à venir.
Pour l’heure, le choix de la vinification naturelle sonne juste. Comme une curieuse résonance avec le groupe, l’équilibre des vins est remarquable.
Aucune composante du vin ne domine l’autre donnant à goûter des vins frais et digestes, tous plus fruités les uns que les autres. Gagnant en complexité et en longueur, leurs cuvées haut de gamme méritent évidemment le détour.
Déjà accessibles dans leur prime jeunesse, ils ne donnent envie que d’une chose : revenir les déguster avec la tribu dans quelques années.
Il y a comme un vent frais à venir pour partager la vision commune des Funambules. Dans un monde viticole où l’égo peut jouer des (mauvais) tours, c’est un pied de nez subtil et exemplaire que de dire haut et fort : “à plusieurs, nous sommes plus forts ! pour le pire et surtout pour le meilleur !”. Dans cette voie-là, nul doute que notre plaisir sera assuré pour de longues années !!
Florian