Partons ensemble sur les routes espagnoles de la Rioja oriental. « Oriental » c’est le nom récemment adopté en 2018 par cette partie de l’extrême Est de la célèbre appellation espagnole la « Rioja ».
Après des années de réclamation des vignerons locaux, ce changement de nom a pour but de rééquilibrer le positionnement marketing de l’ancienne Rioja Baja. Pour beaucoup, le nom « baja » signifiant « basse » apportait une connotation péjorative à cette sous-région, face à ses consœurs, la Rioja Alavesa et la Rioja Alta, jouissant d’une belle réputation.
La Rioja est une des plus anciennes appellations en Espagne. Baja est ainsi devenue « oriental ». L’industrie moderne de la région remonte au 19ème siècle, époque où l’on voit apparaître la relation entre le produit, le vin, et le terroir. Pour éviter les usurpations d’identité, l’appellation d’origine contrôlée a été adoptée en 1925.
Un terroir pour les vieilles « Garnacha »
Il fait 33 degrés en ce mois d’août, nous sillonnons de longues routes désertiques parsemées de part et d’autre d’exploitations agricoles à perte de vue : des vergers à profusion pour nourrir l’Europe de pêches, pommes, oranges, des champs de tournesol d’un jaune or gorgé par le soleil, et au loin, sur les faibles hauteurs que compte cette région, des parcelles entières de vignes pour tenter de capter le peu de fraicheur sur les faibles altitudes de 300 à 400 mètres.
La Rioja est une des deux seules appellations la plus élevée dans la hiérarchie en Espagne avec le Priorat, au sud de Barcelone. Il s’agit de la DOCa : Denominacion de Origen Calificada. Le cépage roi est tout d’abord le Tempranillo, un cépage rouge vif aux belles notes de fruits rouges qui arrive de manière précoce à maturité d’où l’origine du nom (temprano, ‘tôt’ en espagnol).
Mais dans cette partie orientale, la chaleur et la sécheresse règnent contrairement à la Rioja Alta, plus proche du fleuve Ebro et située sur les hauteurs des premières montagnes au sud du Pays Basque, l’altitude apportant de la fraîcheur et conservant l’acidité du tempranillo. La Rioja Alta peut afficher des altitudes au-delà de 700 mètres, des hauteurs permettant la rencontre de deux climats : océanique au nord et méditerranéen au sud.
Au contraire, la Rioja oriental et son climat désertique (méditerranéen et surtout sec) est propice à la Garnacha (Grenache). De plus, le terroir offre un sol alluviaux et argilo ferreux. Le grenache est une vigne très résistante, à la couleur plus claire et au taux d’alcool souvent bien élevé ! Tellement résistante, la Garnacha peut même se vanter d’être centenaire dans la région. La région de la Rioja se répartit en production sur le territoire de 40% en Alta, 40% oriental (ex-baja) et 20% Alavesa.
La tradition espagnole de mains en mains chez Ilurce !
Inmaculada, l’oenologue de la maison, nous accueille avec le sourire et un joli français aux notes espagnoles dans le domaine familial d’Ilurce, l’ancien nom de la petite bourgade locale d’Alfaro. Alfaro est connue aussi pour sa belle et grande église de briques, refuge favori des cigognes venues installer leurs énormes nids sur la toiture.
Inmaculada nous présente tout d’abord la région Rioja oriental et explique d’ailleurs que ce nouveau nom est sujet à controverse. Comme tout changement, il y a d’un côté ceux qui adoptent la nouveauté sous un bon augure, et les sceptiques de l’autre. D’ailleurs, sur ce point, Inmaculada nous explique que les réfractaires ont peur que le mot « oriental » apporte un côté péjoratif avec une référence possible au monde de l’Orient, l’Asie. Alors entre modernisme, nouveautés et traditionalistes, qui satisfaire dans l’histoire ?
Les bâtiments dans lesquels nous sommes accueillis sont flambants neufs, et surtout immenses ! On ne parle pas d’une petite exploitation. Et pourtant, moins de dix personnes y travaillent !
Ilurce, c’est surtout une affaire de famille car Inmaculada représente la quatrième génération avec ses frère et sœur. La cinquième est déjà prête puisque ses deux filles rencontrées lors de notre passage s’impliquent déjà dans les visites guidées et le travail à l’embouteillage ! L’une d’elle était en train d’apposer fièrement les étiquettes de leur médaille d’or remportée cette année au concours international de la grenache (2021).
Mille tonnes de grappes à l’entrée du pressoir !
C’est parti pour une visite du propriétaire. Nous n’aurons pas la chance de découvrir les vignes malheureusement. La famille a fait le choix d’installer leur établissement viticole à l’entrée de la ville d’Alfaro, coeur de la Rioja Baja, tandis que les vignes sont plantées sur les hauteurs de la « petite » montagne la plus proche à quelques kilomètres. Alfaro représente tout de même 6,6% de la production de la Rioja.
La stratégie de la famille est très intéressante. D’un côté, elle dispose de 50 hectares de vignes depuis 1940, exploitées par l’arrière-grand-père et pour lesquelles une récole manuelle et une attention délicate est privilégiée. D’ailleurs, la famille possède des grenaches vieilles de plus de cent ans !
De l’autre, le domaine achète des grappes en volume à des exploitants viticoles, souvent récoltées mécaniquement pour faire face aux superficies immenses. Elles permettront d’élaborer une gamme de vins plus accessibles en réponse aux volumes demandés à l’export (USA, Europe). Les grappes sont réceptionnées ici, triées, pressées et iront dans les immenses cuves en inox du chai (40 000 litres pour chacune des vingt cuves présentes).
Les grappes récoltées manuellement seront traitées séparément dans les plus belles cuves en béton, plus petites en volume pour assurer une fermentation en délicatesse et une régulation thermique optimale.
Les cuves béton sont dédiées à la plus haute gamme des vins de la maison.
Au total, ce sont près d’un million de kilos de grappes qui arrivent chaque année à l’entrée du pressoir.
Vous avez dit rouge ? Ilurce dit « Coco », « Cacao » et « fruits à gogo »
Les vins du domaine familial seront vieillis en fûts de chêne américains et français sur la propriété (le parc de barriques se répartit à 50/50 entre les deux types de chêne) tandis que les vins de grappes achetées aux vignerons locaux iront vieillir pendant l’hiver en fûts dans la Rioja Alta dans d’autres entrepôts détenus par Ilurce.
Ici, le terroir et le climat font que le domaine exploite environ 50% de Tempranillo et 50% de Grenache. Ilurce privilégie ces deux cépages rois mais exploite aussi d’autres cépages autorisés par l’appellation comme le Graciano. L’utilisation des deux types de chêne, français et américains, a toujours été la tradition en Rioja et permet justement d’apporter ce style si particulier aux vins de la Rioja avec des notes grillées de café et de cacao d’un côté et de la noix de coco de l’autre, sur fond de fruits noirs et rouges.
Des repères pour s’y retrouver
D’ailleurs, pour ceux qui n’ont pas la patience de faire vieillir leurs vins, la région est connue pour ses différents niveaux de vieillissement des vins : Joven (pas de vieillissement en barriques, le vin est jeune et sur le fruit), Crianza (il doit vieillir au minimum un an dont 6 mois en barrique), Reserva (vieillissement total de 3 ans) et Gran Reserva (5 ans minimum dont 2 ans au moins en barrique, ce qui permet de vous offrir dès l’achat de la bouteille un bouquet complexe d’arômes évolués et une douceur velouté de tanins fondus).
Ilurce ne propose que la gamme Crianza de cette classification. Pour le reste, la stratégie marketing adoptée tourne autour d’une gamme de vins en monocépage car comme l’explique Inmaculada : « Notre premier client c’est les Etats-Unis et nous avons remarqué que les consommateurs sur ce marché aiment acheter un nom de cépage. Alors, nous avons créé des cuvées en ce sens avec un 100% Graciano, un 100% Tempranillo et des 100% Grenache. Le consommateur s’est habitué aux étiquettes des vins du Nouveau Monde et a développé ses repères en magasin selon le type de cépage. Cela permet aussi d’exprimer le cépage en lui-même. »
Une bouteille pour fêter les 100 ans de mariage du grand-père ?
Côté marketing, on retrouve cette liberté d’une petite structure familiale où chaque membre de la famille partage ses idées et son histoire au travers des différentes cuvées : l’une d’entre elle, en 2018, Amado, affiche sur une étiquette bleu ciel un joli dessin d’une traction pour fêter les 100 ans du mariage du grand-père dans ce modèle de voiture.
Une autre cuvée décline des couleurs de camouflage vert et des bottes militaires en référence à l’oncle de la famille qui a retrouvé les vignes après son service militaire.
ou un rosé hors du commun ?
Ilurce propose aussi un rosé très original et se démarquant de ce que nous avons l’habitude de voir en France : « Je sais que le consommateur d’aujourd’hui réclame des rosés très pâles mais nous ne souhaitons pas suivre la mode dictée par les consommateurs. Nous préférons rester ancrés dans notre tradition d’un rosé très coloré et très concentré, même si notre importateur américain nous suggère de suivre cette nouvelle mode. »
Bravo pour cette affirmation de l’identité de la famille dans ses vins car il serait bien trop triste de trouver toujours des produits similaires sur le marché et c’est ce qui fait notre plaisir dans cette petite pépite dénichée ici : un rosé à la couleur grenadine intense que l’on retrouve au nez avec des notes de fraises écrasées en complément.
Cette couleur est obtenue grâce à la pratique du rosé de saignée après une longue macération de 24 à 40 heures selon les années et les cépages… Puis, le rouge continue sa fermentation avec un double passage de raisins par l’ajout de moût supplémentaire (peaux, pépins…) à nouveau pressé ensuite. Cela accentuera la concentration tant en couleur qu’en arômes, d’où ces vins sombres et complexes…
La fermentation des rouges continuera une dizaine de jours. Pour la filtration, même s’il existe des filtres industriels, la famille reste attachée aux traditions : « Rien ne vaut les sarments de vignes pour filtrer le jus des éléments solides. C’est naturel et très efficace depuis des générations. Alors, pourquoi changer ? » conclut Inmaculada avant de nous faire visiter son laboratoire où elle opère avec magie ses talents d’œnologue aux côtés d’une vitrine « musée » des instruments hérités de ses grands-parents.
Audrey
Photo à la Une : ©riojawine.com