Tiens, je prendrais bien un petit rancio sec !
Pierre, la mine contrite, me fait comprendre qu’il y a un manque.
Lui, le spécialiste des vins rares et des vermouths turinois à l’Aquoiboniste, le bar à vin le plus convivial de Nantes, doit concéder qu’il ne peut pas tout avoir.
Qu’à cela ne tienne, voilà pour toi une bouteille Blanc de Méditerranée d’Alain Pottier et Sophie Pujol, domaine de la Tourasse.
Un petit geste pour convertir les terres de l’Ouest au goût rancio !
Tous à Perpignan
Quand je lui avais dit que je partais à Perpignan pour les Rencontres européennes, j’ai senti comme de l’envie passer dans son regard.
Le titre ne fait pas rêver, certes, mais le lieu, oui : Àcentmètresducentredumonde. Il faut être un peu initié pour comprendre : Salvador Dali, la gare de Perpignan bien vide ce jour-là pour cause d’intempéries majeures.
Déjà repéré l’an passé lors de mon séjour à Banyuls, J’ai de nouveau traversé la France pour me joindre à la renaissance d’un goût ancien – le rancio sec- appelé à un avenir exceptionnel grâce à une poignée de vignerons fondateurs suivis par les milliers de supporteurs de l’association Be Ranci qui le font revivre sous l’égide de Perpignan, élue ville européenne du vin en 2019.
Ils sont venus des quatre coins de l’Europe, les 70 vignerons installés derrière leur fonds de tonneau pour partager, échanger et apporter les plus délicates attentions aux déclinaisons de leurs nectars aux couleurs d’automne joliment habillés de flaconnages créatifs. Point de dégustation ici, mais une communion des adorateurs de vins oxydatifs.
Pablo et Léna cavistes suisses au Passeur de Vins témoignent :
On est ici parce qu’on adore les vins oxydatifs en général – vous savez on est proche du Jura- pour découvrir et dénicher des pépites, voir les vignerons. On est persuadé que c’est un mouvement fort et on est là pour participer à son renouveau, surtout ici en Catalogne où il a failli disparaître.
Un signe ne trompe pas,
l’énorme couverture médiatique de l’événement ; impossible de flécher tous les liens qui s’y rattachent.
Un seul se doit d’être visité, celui de Marie–Louise Banyols, à la fois la muse, l’initiatrice et la patronne de ces Rencontres, aussi l’une des plumes des 5 du Vin.
On a fait sortir le rancio sec de la cuisine, ça c’est sûr ; a-t-il trouvé sa place dans le coffre à liqueur pour autant ?
Petit repérage dans l’espace rétréci par la cohue envahissante ; les espagnols, les catalans du Sud, vedettes de ces Rencontres sont inaccessibles.
Alors rencontrons en VO Sarah Perez.
Les gars de Château-Chalon
Les vignerons du Jura sont logés en mezzanine : Berthet-Bondet, Philippe Châtillon et François Rousset-Martin, heureux de confronter ses « oxydatifs » aux rancios secs me dit : le Vin Jaune chez nous, c’est une fierté et un savoir-faire qui remonte très loin ; les Japonais l’aiment beaucoup ; il y a une affinité avec le goût Umami, si recherché là-bas.
Le vin de voile, ce « vin au goût de jaune » est une AOC au cahier des charges rigoureux (cépage unique savagnin, 6 ans et 3 mois minimum de maturation en fût).
Sa Vigne aux Dames se démarque du goût rancio décliné en mille facettes à l’étage en dessous : davantage de rondeur à la salinité marquée.
Jour de folie
Une évidence me frappe, le rancio sec est un appel puissant au talent et à l’imaginaire des vignerons. Son élaboration relève d’un artisanat d’art- d’un art même- qui travaille la métamorphose du vivant par le temps.
Qui pour en parler avec justesse et sensibilité, si ce n’est les artistes eux-mêmes ?
Avec leurs mots, leurs couleurs, leurs mélodies, leurs chorégraphies.
S’il vous plaît, Sylvain Tesson, apportez votre regard de romancier et baroudeur à l’épopée du vi ranci !
A la source du rancio sec
Je retrouve les vignerons catalans de la côte Vermeille, là où le renouveau du rancio sec a pris sa source.
Vincent Cantié, ingénieur agronome, vigneron poète et fondateur du domaine de la Tour Vieille à Collioure produit un vin de type oxydatif, MEMOIRE (d’automnes), dans la pure tradition catalane.
Nous prélevons une partie du moût en fermentation (grenache blanc et gris) destiné au Banyuls blanc ; on obtient un vin blanc sec de fort degré alcoolique. Il est ensuite soumis à un « élevage d’abandon » dans des barriques en chêne à moitié pleines seulement. Une fleur ou un voile se forme alors à la surface du vin. On attend 5-6 ans et quand le vin est prêt, on le met en bouteille.
Tellement épuré, tellement dépouillé, imagine-t-on la montagne de savoir-faire et d’écoute de la nature pour arriver à un tel sommet ?
Hommage au grand guitariste
Son voisin de barrique, Thierry Parcé du prestigieux domaine de la Rectorie à Banyuls présentait son Pedro Soler, en hommage au fameux guitariste flamenco. Grenache gris, grenache blanc, Il est élevé en solera – les plus vieux millésimes « éduquant » les plus jeunes – dans des fûts de 400 litres non ouillés disposés en extérieur pour favoriser les variations de température sur 15 années en moyenne d’âge.
Déjà goûté à Banuyls l’an passé, ce vin premium (70€) m’évoque définitivement les vieux Madères colheita à déguster en digestif dans le confort d’un fauteuil Chesterfield, pourquoi pas accompagné d’un cigare !
Les formidables Jerez d’Emilio Hidalgo, l’AltoGrado de Nino Barraco venu de Sicile à la puissante intensité aromatique, et Samuel Tinon venu de Tokaj à qui nous consacrerons un article ; à eux et à tous les autres qui se reconnaissent dans l’adage de ces Rencontres :
Chaque vin oxydatif reste unique et porte en lui l’esprit de son temps et l’âme de son auteur.
Jean Philippe