Nous sommes mi mars. A quelques dizaines de kilomètres de Paris dans l’Eure. Sur cette ancienne pâture qui surplombe le cimetière de Giverny où repose Claude Monet, une bande de copains s’affaire au milieu d’une forêt de piquets. C’est le grand jour car on y plante 6300 pieds de vigne.
L’aboutissement d’un long chemin parcouru par celui qui est à l’origine un jeune paysagiste de 23 ans, Camille Ravinet, et qui a décidé de reconvertir en vignoble une prairie anciennement plantée en cépage cailloutin jusqu’au 19ème siècle.
Mais entretemps le Phylloxéra était passé par là.
le vignoble oublié
Tombé par hasard sur l’histoire de cette parcelle d’1,6 ha, Camille se prend alors à rêver de faire revivre ce vignoble : son orientation plein sud sur la rive droite de la Seine et son inclinaison sont idéales, une analyse pédologique confirme la présence d’un sol argilo-calcaire, de silex, de coquillages…
Mais avant tout pour cela il faut devenir viticulteur. Qu’à cela ne tienne, titulaire d’un BTSA, Camille se forme auprès de Bruno Verret vigneron en Bourgogne.
La dénomination « Coteaux de Giverny » s’impose. Avec le potentiel commercial autour évidemment.
Camille opte pour une plantation en chardonnay de la moitié de la parcelle un cépage non aromatique qui s’exprime selon ce que lui transmet le terroir, explique-t-il.
une affaire de copains
Ce matin là toute le monde y va de son coup de pioche et de son coup de talon : Pierre Louis Laugerias, le copain de toujours, celui qui a monté le projet de crowfounding sur Miimosa, Daniel Drouin, le maire adjoint qui a découvert par hasard ce qui se préparait sur cette prairie un jour en se promenant, Reynol Sotomayor le responsable com de la Cavavin de Vernon et qui ressent cet instant comme un privilège qui lui est accordé, le père Ludovic Bazin de la paroisse locale… Il parait même qu’un ministre en charge des collectivités territoriales est venu encourager Camille sur la parcelle !
En tous cas le premier élu de la commune, Claude Landais, est rassuré . On avait peur d’avoir une bande genre Larzac et catogan, non ceux-là ont l’air plutôt sérieux !
Au delà de la bienveillance naturelle que la jeunesse du personnage inspire, Camille Ravinet est de ce type de personnes qui attirent naturellement les sympathies. Portés par leur vision, ils forcent le respect et leur force de conviction emporte tout : comme une évidence. Le monde des vignerons en connaît quelques uns. Et ce ne sont pas ceux qui ont le moins bien réussi…
le parcours du combattant
De la détermination : il lui en fallu pour obtenir les autorisations de planter auprès de FranceAgriMer entre autres.
Entretemps la réglementation a changé mais ce sont bien deux ans passés à créer sa société, monter les différents dossiers.
Sans compter les contraintes imposées par Natura 2000 car la parcelle visée qui fait partie du Parc Naturel des Coteaux et Boucles de la Seine est à l’intérieur du périmètre « Vallée de l’Epte francilienne et ses affluents« .
Il lui faut donc mettre en oeuvre des mesures compensatoires avec des plantations de haies, prévoir l’enherbement spontané sur les tournières, alors que de toute façon son projet s’inscrit dans une démarche d’agroécologie qui respectera le cahier des charges du bio avec l’objectif à terme de la biodynamie…
Bio sinon rien
Oui, ici bien sûr on parle bio, circuit court, production locale : je veux m’inscrire dans une démarche durable et environnementale Et aussi défendre une agriculture bio, diversifiée et exemplaire qui change des exploitations céréalières de l’Eure. Les piquets sont en chêne de la région et produits par une menuiserie d’ici…Les travaux d’entretien seront effectués par traction animale…L’étiquette de mes bouteilles sera réalisée par une artiste de Giverny, ma production sera vendue à Vernon chez le caviste Cavavin et dans les restos du coin…Et l’on oubliera que cette variété de porte-greffes vient des USA, les ceps de Savoie et que la vendange partira en camion frigo vers la Bourgogne…
Oenotourisme à l’envers
Mais ne sapons pas ce bel enthousiasme, Paris ne s’est pas fait en un jour !
Personnellement je trouve l’idée très originale de ramener le vin là où il aurait dû y rester et surtout autour d’une attraction touristique majeure (800.000 visiteurs/an !).
Les vignerons font souvent le grand écart pour associer des activités touristiques régionales à leur domaine. C’est l’objectif du label Vignobles et Découvertes d’ailleurs.
Ici c’est l’oenotourisme à l’envers ! on part de l’attraction -deuxième destination touristique de Normandie- pour y planter le vignoble ! Un peu à la façon de cet hôtelier du Sauternois cité lors des Assises Nationales de l’Oenotourisme qui ré-active le vignoble en déshérence de son voisin pour renforcer l’attractivité de son hébergement !
On déguste quand ?
Les premières vendanges sont prévues en 2021. Une commercialisation envisagée donc pour 2022 si tout se passe bien. D’abord en VSIG (Vin de France) , Camille espère pouvoir créer à terme une IGP en associant des productions locales autres que le vin.
Et après ?
Camille est un garçon audacieux mais il a appris aussi le bon sens paysan : il a une approche homéopathique de son futur vignoble me confie Reynol le caviste. Il commence par exploiter la moitié de la parcelle disponible, soit 80 ares en chardonnay et prévoit de planter le reste en chenin après la première récolte, si tout va bien. Pas forcément pour un assemblage, je préfère les vins de cépages.
Et puis d’ici 5 ans peut-être son propre chai de vinification près de Vernon. A terme ce seront 5 à 6000 bouteilles qui sortiront des vignes des Coteaux de Giverny.
On vous en reparlera ! Bonne chance Camille : les astres sont alignés…
François
reportage photo : Maylis Ghorra
les Nympheas : Wikipedia Commons