fini la pub, place aux cadeaux

Il faudra se passer cette année de la campagne publicitaire d’Interloire, – l’interprofession des Vins de Loire- qui égayait depuis de nombreuses années les couloirs du métro parisien ou les pages des magazines. On sera donc privé de paysages enchanteurs, de châteaux Renaissance, de vignes tirant la révérence au fleuve royal inscrits au Patrimoine mondial ; en voilà un rappel avec cette petite vidéo.

Cette année le budget sera consommé par la « dégustation privée ». On entend par là une opération promotionnelle inédite et originale, approuvée à l’unanimité des Fédérations viticoles de Loire, comme le précise Alexis Trentesaux, le directeur communication et marketing de l’Interprofession.

Alexis, la trentaine bien engagée est diplômé d’EDHEC Business School. Il a longtemps travaillé dans l’entreprise de restauration Sodexo avant de rejoindre Interloire il y a 2 ans. Les stratégies marketing, il connaît, tout comme les valeurs de l’humanisme quand il cite Antoine de Saint Exupéry sur son compte Linkedin « La grandeur d’un métier est avant tout d’unir les hommes ; il n’est qu’un luxe véritable, et c’est celui des relations humaines. » Ça mérite d’être cité.

LA DÉGUSTATION PRIVÉE

L’opération, elle, se résume en 3 lignes, comme l’indique Vitisphère (avril 2025). 3 000 bouteilles vont être distribuées à un panel de 1 500 jeunes citadins pour leur faire découvrir les AOC de Loire. A charge pour eux d’en faire la promotion sur les réseaux sociaux. Ces « jeunes ambassadeurs » vont recevoir chez eux un colis comprenant deux bouteilles : rouges profonds, blancs éclatants, fines bulles festives, rosés savoureux, toutes les combinaisons sont possibles.

Un guide d’utilisation, un questionnaire à faire remplir, sans oublier le rappel à loi Evin. L’interprofession leur demande d’organiser des dégustations privées dans leur entourage familial et amical. Un peu comme les conseillers Tupperware !

L’idée peut surprendre, mais elle n’est pas nouvelle. Les panels consommateurs existent depuis toujours. Je me souviens d’un copain panéliste pour Hollywood chewing-gum dans les 70, c’était le roi de la récré !

Elle a le mérite d’aller droit au but : les jeunes urbains se détournent des vins – pas forcément des vins de Loire d’ailleurs. Alors il faut que les vins « se bougent » et qu’ils aillent à leur contact en leur proposant un deal -façon trumpiste ?

Sur le papier, c’est limpide. Tout l’enjeu de l’action va résider dans l’art d’exécution. Qui va recruter les jeunes ? Qui va s’assurer qu’ils font correctement le boulot, seront ils rémunérés ? Et là Alexis après un instant d’hésitation me livre le nom du prestaire-clé, grand-maître de l’opération.

DEMANDEZ NOS PRODUITS GRATUITS !

Vous n’avez probablement pas entendu parler de Sampleo, à moins que vous soyez genre malin en quête de produits « grande conso » gratuits. Le site vous explique très simplement le  déroulement- pour peu que vous soyez majeur, bien sûr !

01) candidatez à nos tests produits, 02) recevez les produits chez vous, 03) partagez votre avis sur le produit. Actuellement, il y a une campagne Spontex en cours, les pains Harrys et tiens, le whisky Glen Turner, le Porto Cruz et bien sûr les Vins de Loire.

Pour comprendre comment ça marche, laissez-vous guider par Laurabonplan en cliquant sur ce lien TikTok. Il semble que le succès dépasse les espérances puisque on en serait à 1900 ambassadeurs.

Les missions demandées aux panélistes sont claires : 1) Parler de la marque autour de soi- 2) Publier des posts sur les réseaux sociaux -3) Déposer un avis sur Sampleo -4) Se prendre en photo avec le produit.

Sampleo n’est pas un perdreau de l’année, l’entreprise développe et commercialise depuis 15 ans des programmes d’ambassadeurs sur mesure en s’appuyant sur sa communauté de plus de 760 000 membres. Filiale de Webedia Group (2000 collaborateurs), leader européen en régie digitale dont l’actionnaire majoritaire est le puissant groupe Fimalac.

Bref du beau monde et du lourd, qui pèse plusieurs centaines de millions d’Euros.

ATTAQUE EN RÈGLE

Hasard de calendrier ? Vitisphère publiait au même moment un article sur le rapport d’Addictions France « Promotion de l’alcool : les réseaux sociaux, un nouveau Far-West ». L’association a des mots très durs sur les industriels de l’alcool qui investissent massivement les réseaux sociaux pour promouvoir leurs produits auprès des jeunes.

Au total, ce sont plus de 11 300 contenus valorisant l’alcool qui ont été repérés en moins de 3 ans. Pour Addictions France, une seule mesure s’impose : l’interdiction totale de la publicité pour l’alcool sur les réseaux sociaux en alignant les règles sur celles de la publicité pour la télévision et le cinéma.

Pour Addictions France, le constat est sans appel : « le marketing de l’alcool est omniprésent, interactif et disponible en permanence, avec un impact réel sur l’envie de consommer des plus jeunes. Aussi l’association appelle maintenant l’ensemble du Parlement et le Gouvernement à se saisir de cette question et à agir pour la protection de la santé des jeunes. »

REMETTRE EN CAUSE LA LOI EVIN ?

N’est-ce pas un peu « fort de café » pour les Vins de Loire ? Les élus des fédérations ont dû tousser dans leur coude. Pensez-donc, on leur a vendu une campagne tout à fait sympathique auprès de gentils ambassadeurs de marque pour la découverte des merveilleux vins de Loire. Et là, le prestataire demande aux jeunes de publier des posts sur les réseaux sociaux et de se prendre en photo avec le produit.

 

 

Génération Vignerons n’a pas vocation à s’instaurer en donneur de leçons, ni en procureur ni à encourager les comportements hors la loi.

Il nous est arrivé d’être critique vis-à-vis de la loi Evin, en vigueur depuis 1991 censée « encadrer la vente et la promotion de l’alcool et du tabac ».

Pas sur le fond bien-sûr ; qui contesterait l’appel à modération ? Mais sur certaines modalités qui aujourd’hui font sourire tant elles sont décalées par rapport aux comportements des consommateurs.

Un exemple ? Voyez cette publicité du producteur italien Ruffino publiée dans le magazine américain WineSpectator. Interdite en France avec un risque d’amende jusqu’à 75000 € parce que le verre de vin est associé au « plaisir » incarné par cette jeune femme sensuelle.

 Bizarre, cette loi Evin qui s’attribue, pour une bonne part la déconsommation tendancielle des boissons alcoolisées en France alors qu’elle n’a jamais été un modèle dans aucun pays européen.

CONVOQUONS UN GRAND SAGE

Il en est un qui doit « se retourner dans sa tombe »- en nous excusant pour cette image un peu triviale – c’est le biologiste, oenologue, poète, philosophe et enseignant Jacques Puisais, enfant de Touraine et du Chinonais dont nous saluons la mémoire.

Dans l’hommage à sa disparition en décembre 2020 la journaliste du Monde, Laure Gasparotto conclut : Il a fait de l’apprentissage du goût du vin et des mets le combat de sa vie, le portant dans les écoles et dans le monde entier. D’autres comme le sommelier Antoine Pétrus n’hésite à la situer dans la lignée de Rabelais à Jean Carmet.

Et saviez-vous qu’il fut l’un des très rares trésors vivants honorés au Japon ? Son œuvre, sa passion et sa réalisation majeure, ce sont les classes du goût dans les écoles, pour enseigner aux enfants « à goûter comme on apprend à lire et à écrire ».

Son œuvre culmine en 2000 avec la création de l’Institut du Goût présidé aujourd’hui par Natacha Polony et plus de 100 000 enfants dûment formés. C’était il y a 25 ans, aujourd’hui on ressent cruellement l’abandon de cette ambitieuse politique du goût en France. Il fallait s’y accrocher, continuer à enseigner l’éveil sensoriel au goût en tant que discipline artistique. Prendre des mesures comme nos dirigeants l’ont fait pour l’exception culturelle qui a sauvé nos libraires et notre production cinématographique.

ÉDUQUER AU GOÛT, UN COMBAT QUOTIDIEN

Je me suis demandé comment aurait réagi Jacques Puisais à cette opération promotionnelle auprès de jeunes urbains. Bien sûr, faire parler nos chers disparus est une hérésie, mais l’homme, tellement encensé de son vivant a encore beaucoup de sagesse à nous transmettre.

Il n’était pas idéologue, il aimait agir, bâtir des projets pour consolider l’œuvre de sa vie : éduquer au goût du vin et des mets.

Alors, oui, je pense qu’il aurait dit : il faut y aller ! mais il aurait rajouté. Les quelques centaines de jeunes qui auront loyalement joué le jeu, il faut les récompenser. Alors Messieurs prévoyez pour 2026 une immense tablée rabelaisienne où ces jeunes citadins invités découvriront le meilleur de nos accords mets-vins !

Jean-Philippe

Ecrit par Jean-Philippe RAFFARD
--------------------------------------------------------------- Toujours volontaire pour une virée dans le vignoble du bout de la Loire, du bout de la France, du bout de l’Europe ou du bout du monde, là où il y a des vignerons, là où il y a du bon vin. Jean Philippe n’oublie pas sa vie antérieure en marketing-communication pour lever le voile sur le commerce du vin et l’ingéniosité des marchands.
Catégories : événements et salons

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